LETTRES INÉDITES DE MIRBEAU À GEORGES DE PEYREBRUNE1 Georges de Peyrebrune (184

LETTRES INÉDITES DE MIRBEAU À GEORGES DE PEYREBRUNE1 Georges de Peyrebrune (1841-1917) est le pseudonyme de Mathilde Georgina Elisabeth Judicis de Peyrebrune, certainement la romancière la plus discrète de la scène parisienne de la Belle Époque. Elle fut remarquée du grand public avec la parution, en 1882, de Marco, puis de Gatienne. L’Académie Française couronna deux de ses œuvres : Vers l’amour (1896) et Au pied du mât (1899). Elle fut présente aux côtés de Joseph Reinach pendant l’Affaire Dreyfus, et participa, en 1904, au premier jury du prix Femina. Fin 1883, Plon faisait paraître Victoire la Rouge. D’inspiration naturaliste, ce titre scandalisa le public de l'époque par la naïveté et les appétits bestiaux de son héroïne, une fille de ferme. Grâce au succès qu’il connut – il sera réédité jusqu’en 1921 –, son auteure, Georges de Peyrebrune devint une des romancières les plus en vue des années 1880. C’est elle qui assura la promotion de son œuvre : elle envoya un exemplaire à nombre de périodiques parisiens, dont Les Grimaces. Octave Mirbeau accusa réception de l’ouvrage en expédiant sa carte de visite. Celle-ci inaugure la brève correspondance qui nous est parvenue. Document 1 : Enveloppe à en-tête Les Grimaces, datée 83 ? Adressée à Madame Georges de Peyrebrune 16, rue des Vosges 16 Paris Document 2 : début novembre 1883 ? Carte de visite : Octave Mirbeau 35, Boulevard des Capucines Avec tous ses remerciements et l’expression de son admiration pour le beau livre Victoire la Rouge, dont il sera rendu compte dans Les Grimaces. Le compte rendu en question parut dans Les Grimaces du 10 novembre 1883. Mirbeau présentait ce titre comme un « joli roman2 », louant la poésie des paysages périgourdins au détriment de l’intrigue et de l’écriture de l’auteure. Ses échanges épistolaires avec Peyrebrune auraient pu se borner à ces politesses, s’il n’avait emporté Victoire la Rouge lors d’un de ses voyages en Bretagne. Cette relecture lui fit prendre conscience du talent de sa consœur, ainsi que l’explique la lettre qu’il lui adressa à son retour à Paris. Document 3 : Datée de Paris, le 26 novembre 1883, papier à en-tête Les Grimaces 35, Boulevard des Capucines Madame, Au retour d’un assez long voyage, je trouve aujourd’hui, votre gracieuse lettre. Et je vous écris pour m’excuser de l’iniquité de la note que j’ai consacrée à Victoire la Rouge. J’ai relu votre roman, durant mon voyage, il m’a encore plus vivement impressionné à cette seconde lecture, et je tiens à vous dire qu’en plusieurs de ses pages, il atteint à la hauteur du chef-d’œuvre. Je compte, très prochainement, dans un article sur la littérature contemporaine, louer votre grand talent, comme il mérite d’être loué. Car si j’exprime parfois de la haine contre les œuvres chétives de nos auteurs à succès, je sais aussi avoir de l’enthousiasme pour les belles œuvres, comme Victoire la Rouge. C’est une revanche que je me dois et que je paierai. 1 Documents conservés à la Bibliothèque municipale de Périgueux, Fonds Georges de Peyrebrune. 2 Octave Mirbeau, Les Grimaces du 10 novembre 1883. 1 Quant aux critiques ordinaires du journalisme, ils sont bien trop occupés à tresser des couronnes à de faux artistes, à de mauvais écrivains comme les Delpit et les Claretie, pour prendre la peine d’apercevoir les talents qui naissent. D’ailleurs, ils ne comprennent pas. N’en ayez nul souci. C’est un honneur pour un artiste sincère et pour un véritable écrivain, que de mériter leur indifférence et leur dédain. Il vous reste l’opinion de ceux qui aiment la littérature, qui la comprennent et dont c’est une bien douce jouissance de se réfugier dans une œuvre de vérité comme l’est la vôtre. Veuillez agréer, madame, l’hommage de mon profond respect et de mon admiration, Octave Mirbeau L’article en question paraît dans Les Grimaces du 1er décembre 1883, sous le titre « Les livres ». Même si l’intrigue est une nouvelle fois oubliée, Mirbeau s’applique cette fois-ci à détailler les qualités esthétiques du roman. Ce nouveau compte rendu, fort élogieux pourtant, n’a pas davantage rapproché les deux écrivains. S’ils font assaut de courtoisie, ils ne semblent pas s’être liés d’amitié. Les quelques lettres, qui datent vraisemblablement de 1883, font état de divers contretemps qui empêchèrent leur rencontre. Faut-il voir là une série d’actes manqués ? La réputation de femme froide et prude que s’est faite Georges de Peyrebrune a-t-elle décontenancé Mirbeau3 ? Peyrebrune appréhendait-elle de recevoir ce pamphlétaire redouté ? Document 4 (soit octobre 1883, avant la parution des articles, soit décembre 1883, après sa parution) Carte à en-tête Les Grimaces Madame, Je suis désolé de vous savoir souffrante, et je ne souhaite rien tant que votre guérison très rapide, pour vous, d’abord, et aussi pour l’honneur que vous voulez bien me faire de venir causer avec moi. Merci de votre lettre gracieuse et croyez bien, Madame, que l’admiration que j’ai de votre talent est très sincère et que sais la ressentir plus vivement encore que je ne sais l’exprimer. Veuillez agréer, Madame, l’hommage de mon respect. Octave Mirbeau Document 5 : Carte Les Grimaces, sans date. Madame, Je regrette vivement de n’avoir point été chez moi, quand vous m’avez fait l’honneur d’y venir. Je voulais pour y aller, aujourd’hui, présenter mes hommages, mais j’ai dû rester jusqu’à sept heures, occupé d’une affaire imbécile et qui ne souffrait pas de retard. Veuillez agréer, madame, l’hommage de mon profond respect. Octave Mirbeau Document 6 : Papier à lettres, en-tête Les Grimaces (22 décembre 1883 ?) Chère madame, Merci, merci de votre si touchante et si charmante lettre. Je voudrais vous remercier de vive voix mais je pars ce soir, pour une longue et lointaine villégiature. Je vais, à l’extrême point du Finistère, dans le paysage tragique et sublime du raz, me reposer de Paris, et de sa vie infernale. Je vais terminer mon roman, ou essayer de le terminer. 3 La Correspondance de Camille Delaville à Georges de Peyrebrune (1884 ?-1888) à paraître sur le site du laboratoire du CNRS (UMRS 6365) Correspondances et Journaux intimes des XIXe et XXe siècles (Brest, France) contient en préface des éléments biographiques sur Georges de Peyrebrune. 2 Merci encore, chère madame, permettez-moi de vous baiser les mains et de vous adresser un adieu attendri Octave Mirbeau Rien ne permet d’affirmer que Mirbeau et Peyrebrune se soient un jour rencontrés. Dans son testament, la romancière demandait à ses héritiers de détruire « ce qu'ils doivent détruire » et les autorisait à vendre « les autographes sans intimité4 », aussi peut-on craindre que certains courriers soient irrémédiablement perdus. La dernière lettre conservée peut être datée de juillet 1888, mois au cours duquel Victoire la Rouge est réédité. Assurant la promotion de cette œuvre, Peyrebrune demande à Mirbeau l’autorisation de reproduire l’article paru dans Les Grimaces de décembre 1883. Document 7 : Lettre à l’encre noire (juillet 1888 ?) Madame, Je crois bien que je vous donne cette autorisation que vous n’avez pas besoin de me demander. Le bout d’article que j’aurais bien voulu plus complet, vous appartient. Et je serai très heureux d’apprendre qu’il a servi à votre beau livre, mais je compte, pour votre succès, sur le livre lui-même, qui est une belle chose, une des plus belles que vous ayez faites. Je ne l’ai point oublié, et je serai très charmé de le relire. Outre la figure, très humainement évoquée de Victoire, je me souviens d’admirables paysages et d’une charmante peinture de la mort d’un cochon, digne du mâle pinceau d’un Bonvin. Veuillez agréer, madame, l’expression de mes sentiments respectueux et très affectueusement confraternels, Octave Mirbeau Kerisper, par Auray, Morbihan Seul un fragment de son article paraît, dans le Figaro du 12 juillet 1888, sous le titre « Un beau livre ». Les changements apportés à son compte rendu initial ne sont pas pour plaire à Mirbeau qui adressera un courrier à Francis Magnard, alors rédacteur en chef du Figaro5. Mirbeau ne semble pas avoir eu de nouveau contact avec Peyrebrune. Ce silence ne signifie pas pour autant qu’il ait oublié Victoire la Rouge : ce roman lui servira pour élaborer Le Journal d’une femme de chambre6. Nelly SANCHEZ 4 Testament de Georges de Peyrebrune, in dossier de la Société des Gens de Lettres conservé aux Archives Nationales. 5 Octave Mirbeau, Correspondance générale, tome 1, Lausanne, L’Age d’Homme, 2003, p. 830 (lettre 552). 6 Voir http://mirbeau.asso.fr/darticlesfrancais/Sanchez-Peyrebruine.doc. 3 uploads/Litterature/ nelly-sanchez-lettres-inedites-de-mirbeau-a-georges-de-peyrebrune.pdf

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