Orion voyeur: L'Ecriture intertextuelle de Claude Simon Author(s): Michael Riff

Orion voyeur: L'Ecriture intertextuelle de Claude Simon Author(s): Michael Riffaterre Source: MLN, Vol. 103, No. 4, French Issue (Sep., 1988), pp. 711-735 Published by: The Johns Hopkins University Press Stable URL: http://www.jstor.org/stable/2905013 . Accessed: 22/09/2013 20:38 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. . The Johns Hopkins University Press is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to MLN. http://www.jstor.org This content downloaded from 192.236.36.29 on Sun, 22 Sep 2013 20:38:07 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions CLAUDE SIMON Orion voyeur: L'Ecriture intertextuelle de Claude Simon Michael Riffaterre Comment un roman peut-il retenir l'attention et continuer 'a inte- resser son lecteur lorsque ce roman n'a pas d'intrigue, 'a part des allusions indirectes 'a des evenements dont la chronologie reste confuse? Telle est la question qu'on se pose 'a la lecture de Claude Simon. Telle est sans douts la raison pour laquelle le Prix Nobel a surpris, le public s'etonnant de voir couronner un roman qui ne ressemble 'a rien. La dispersion de l'histoire qui nous est racontee, et dont chaque episode est mutile, separe de ce qui devrait le faire attendre, et chatre de son denouement, par l'insertion d'un recit chronologiquement parallele mais incompatible avec lui, tarit les sources habituelles de l'interet, telles que le suspens, l'identifica- tion du lecteur avec tel ou tel personnage, sa participation mo- mentanee mais sans risque 'a un drame. Je crois possible de rendre compte de ce paradoxe par un cas particulier de surdetermination de la sequence narrative: bien que celle-ci soit initiee par une diegese interieure au texte et parfaite- ment comprehensible en contexte, la derivation 'a partir de cette donnee est orientee, motivee, controlee par l'intertexte. Certes, la generation du texte par developpement d'une matrice, d'un mot valorise dont la structure semantique dicte celle du passage issu de ce mot a ete fort etudiee par la critique, depuis Ricardou dans Pour This content downloaded from 192.236.36.29 on Sun, 22 Sep 2013 20:38:07 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 712 MICHAEL RIFFATERRE une theorie du nouveau roman, il y a seize ans. Mais ce qui ne me parait pas avoir ete compris, c'est qu'il faut distinguer entre la deri- vation explicite dont le mecanisme est analogue 'a celui de la repeti- tion ou de la tautologie, et la derivation implicite qui releve de la contradiction, de l'antithese ou de l'oxymore, qui ne laisse substi- tuter que des contraires, et qui surtout refoule, fait disparailtre le lien, le chainon de la chaine, contraignant le lecteur 'a devenir scripteur. Elle l'y contraint parce que la lecture n'a plus de sens 'a moins de recuperer les composantes refoulees. Cette deuxieme modalite de decodage du texte n'est autre que la lecture intertex- tuelle. La preface d'Orion aveugle montre que l'auteur en use tres consciemment: Une epingle, un cortege, une ligne d'autobus, un complot, un clown, un Etat, un chapitre n'ont que (c'est-a-dire ont) ceci de commun: une Ote. L'un apres l'autre les mots eclatent comme autant de chandelles romaines, de- ployant leurs gerbes dans toutes les directions. Ils sont autant de carrefours ou plusieurs routes s'entrecroisent. Et si, plut6t que de vouloir contenir, do- mestiquer chacune de ces explosions, ou traverser rapidement ces car- refours en ayant dej'a deide du chemin 'a suivre, on s'arrete et on ex- amine ce qui apparait 'a leur lueur ou dans les perspectives ouvertes, des ensembles insoupconnes de resonances et d'echos se r~ve'lent. I Ces ensembles sont l'intertexte, c'est-a'-dire tous les sens du mot matriciel qu'exclut le contexte car ils y seraient incompatibles avec un enonce mimetique et ref6rentiel. Aussi l'intertexte est-il soit le complementaire de ce qui manque dans le texte, soit le contraire de ce qui est present dans ce texte. Dans le premier cas, le manque est si paralysant, il represente un tel obstacle 'a la comprehension que seul l'intertexte peut relancer le decodage, lever l'obstacle 'a la progression narrative. Dans le second, il est impossible de com- prendre ce qu'enonce le texte 'a moins de mobiliser des representa- tions que cet enonce contredit, exclut ou met en question, des rep- resentations dont il nous faut neanmoins prendre conscience 'a seule fin de les annuler. Cet effort paradoxal discipline les lecteurs en les forcant 'a centrer l'attention sur la forme. Elle restreint leur tendance 'a des interpretations qui n'auraient de validite que dans le cadre d'experiences trop personnelles ou idiosyncratiques pour etre partagees ou etablir une norme. ' Claude Simon, Orion aveugle (Geneve: Skira, 1970), [12]-[13]. Les references entre crochets renvoient aux pages non numerotees de lintroduction, compos~e d'un fac-simil6 d'un manuscrit de Simon. This content downloaded from 192.236.36.29 on Sun, 22 Sep 2013 20:38:07 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions M L N 713 Les critiques ont su retrouver les procedes de fabrication dont la citation precedente donne la recette, mais ils n'ont pas rendu compte de l'effet de ces procedes. Ayant montre qu'ils restaient latents, et qu'il fallait les mettre au jour par une analyse dont le lecteur ne serait que rarement capable, ils n'ont pas vu que cette latence etait compensee par un exercice conscient de l'intertextua- lite. Prenons pour exemple une derivation intratextuelle interes- sante, voire amusante, mais qui est vite perdue de vue, et oui donc la genese du texte et la production du texte, son ecriture et sa lecture, ne sont pas liees visiblement l'une 'a l'autre. Comparons-la a une derivation intertextuelle oui genese et production sont au contraire interdependantes et imposent au lecteur un dechiffrage obligatoire. Pour la premiere, pour l'intratextuelle, mais sans force particuliere, ou en tout cas sans rien qui differencie l'ecriture si- monienne d'autres ecritures, et dont le decodage devient aleatoire des que le recit est morcele et que tout rapprochement entre ses fragments separes depend de la memoire de lecteurs plus ou moins attentifs, examinons la sequence associationnelle generee par un nom propre. Le narrateur se rappelle les phantasmes qu'il batissait enfant sur ce nom: Cette baronne Cerise qui avait autrefois brille dans les concours hippiques . . . et dont le nom etait pour moi la source de multiples associations, affublee d'un maquillage ridicule dont elle enluminait maladroitement son visage ravine, les vieilles levres crevassees peintes d'un rouge evo- quant de facon boufonne la fraicheur du mot cerise qu'on retrouvait aussi dans les couleurs pimpantes agrestes (casaque verte, manches et toque cerise) portees par les jockeys que grand-mere et maman m'avaient montres 'a Pau la premiere fois oui j'avais assiste 'a une course de che- vaux, le mot toque lui-meme amenant 'a mon esprit ... le qualificatif de toquee qui paradoxalement la nimbait pour moi d'un prestige particu- lier, . . . parce que si dire toquee d'une femme encore jeune, comme je l'avais parfois entendu faire par oncle Charles, impliquait mepris ou apitoiement, son accouplement avec le mot vieille lui conferait au contraire dans mon esprit une sorte de majeste et de mystere l'englobant dans cette aura d'obscure puissance qui les entourait toutes: ... retirees dans leur royale solitude, cette roide majeste qui contrastait avec leur fragilite phy- sique.2 2 Histoire (Paris: Minuit, 1967), 12-13; c'est moi qui souligne. Sur ce passage, cf. Ralph Sarkonak, Claude Simon: Les Carrefours du texte (Toronto: Editions Paratexte, 1986), 95. Ii est significatif qu'un critique aussi attentif que Sarkonak n'ait pu per- cevoir les derivations 'a partir de toque ni l'6quivalence ou la co-occurrence de toque et de mystere. This content downloaded from 192.236.36.29 on Sun, 22 Sep 2013 20:38:07 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 714 MICHAEL RIFFATERRE La toque cerise des jockeys est surdeterminee, valorisee, parce qu'elle se situe au point de rencontre d'une derivation 'a partir du patronyme de la baronne et d'une autre 'a partir de toque.3 Comme ce mot peut designer aussi bien un chapeau feminin et un couvre- chef d'equitation (aussi appele bombe), cette pertinence potentielle est activee en contexte parce que la dame en question avait au- trefois brille' dans les concours hippiques, la baronne e'tant 'a la femme ce que le jockey est a l'homme. De cette surdetermination est issue une sequence narrative qui rationalise le choix de toque'e pour sug- gerer un comportement typiquement f6minin. Le lecteur accepte cette rationalisation sans peine, parce qu'il y reconnalt un pro- cessus mental familier, le coq-a'-l'ane, et parce que le coq-a'-l'ane est un lien commun de l'idee qu'on se fait de la pre-logique propre aux enfants. Mais cette rationalisation est vite oublie'e, car elle ap- partient 'a la classe la plus elementaire, la moins structuree, des procedes du realisme romanesque: c'est tout au plus ce qu'on est convenu d'appeler une observation juste. Or voici que, presque uploads/Litterature/ orion-voyeur-l-x27-ecriture-intertextuelle-de-claude-simon 2 .pdf

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