OTELAS OTHELLO ENTRETIEN AVEC OSKARAS KORŠUNOVAS Othello est la septième pièce
OTELAS OTHELLO ENTRETIEN AVEC OSKARAS KORŠUNOVAS Othello est la septième pièce de William Shakespeare que vous mettez en scène. Pourquoi cet auteur éternellement ? Pourquoi cette pièce aujourd’hui ? Oskaras Koršunovas : Le théâtre est un instrument qui m’aide à mieux me connaître et à mieux connaître la société dans laquelle je vis. Le désir d’acquérir cette connaissance me pousse à choisir précisément les pièces à mettre en scène. William Shakespeare fait partie des dramaturges qui dans leurs œuvres créent des matrices parfaites pour le monde moderne. Si nous essayons d’adapter ces modèles, nous constatons qu’aucune pièce actuelle ne peut révéler le contemporain aussi bien que lui. Il élève le contemporain à une dimension supérieure et nous permet de l’appréhender dans des termes plus universels. C’est pour moi un auteur parfait, car j’ai toujours tendance à mettre en scène les pièces classiques comme des pièces modernes, et les pièces modernes comme des pièces classiques. Othello peut être considéré comme une séquence de mon précédent travail, Eglė žalčių karalienė (Eglė, la reine des serpents) sur un ancien mythe lituanien faisant le récit d’un serpent de mer qui enlève et épouse une jeune paysanne et, en représailles, est assassiné par les frères de celle-ci. Ce qui m’intéresse est la question de l’autre, de la haine de l’autre, de l’hostilité envers « lui » ou « elle ». Cette problématique permet de nous rendre compte que les personnages et l’univers entier de William Shakespeare sont absolument contemporains. Elle nous permet aussi d’examiner les fractures actuelles entre les autochtones vivant dans les ruines des États providence et les réfugiés qui sont tenus à l’écart des possibilités qu’offrent les pays développés par les puissantes forces militaires opérant sur les frontières continentales. Ces similitudes entre l’époque de William Shakespeare et la nôtre ont apporté une nouvelle lumière à notre mise en scène et l’adaptation s’est ainsi étroitement liée aux problèmes mondiaux contemporains. Le personnage de Iago a un rôle très particulier dans votre adaptation, comment l’avez-vous mis en avant dans la dramaturgie ? Oui, Iago est un personnage très important, car il conduit William Shakespeare tout droit vers la culture pop et les gros titres des médias. Iago est central parce qu’il se distingue non seulement par son esprit brillant, englobant toutes les connaissances de la Renaissance, mais aussi par sa capacité à manipuler, à créer de nouvelles stratégies, à gagner la lutte pour le pouvoir non pas par la guerre mais à l’aide de la tromperie et de la trahison. Ces capacités, comme l’art de la politique propagé par Machiavel, tendent aujourd’hui à prédominer dans toute la culture, comme d’ailleurs l’habileté de certaines personnalités des médias, des célébrités et des icônes qui « influencent » nos modes de vie, nos actions et nos décisions. Iago est le créateur d’un réseau social dont l’issue est fatale pour tous, et même pour lui. C’est pourquoi, dans la pièce, il mérite une plus grande exposition. La pièce pose la question de l’altérité sous toutes ses formes, avec les notions de racisme, sexisme et préjugés. De votre point de vue, de quoi parle fondamentalement Othello et que vouliez-vous dire à travers lui de notre monde ? Othello est une pièce unique. Elle signe le début d’une modernité globale, d’une époque appelée par les auteurs contemporains « l’Empire postmoderne mondial » que nous voyons se démanteler rapidement. C’est la destruction des vieux murs et leur édification autre part. C’est l’époque où les structures rigides de pouvoir deviennent des réseaux de puissance plus fluides. Les crises contemporaines nous montrent l’urgence de repenser les conséquences de la modernité sur notre esprit, sur notre mentalité. Nous devons penser de façon critique et aussi comprendre William Shakespeare lui-même comme le porteur de l’idéologie impérialiste moderne, qui traite l’Othello domestiqué différemment du Caliban barbare et sauvage de La Tempête. Les enjeux sont importants ici, et l’histoire de la mise en scène d’Othello peut en dire long sur les différents points de vue concernant la race, le sexe, la nationalité qui ont prévalu au cours de ces siècles. Tout le Festival sur festival-avignon.com 74 e Dans Othello, Shakespeare est beaucoup plus subtil que dans La Tempête, parce que les problèmes impérialistes de l’extérieur deviennent les problèmes de l’intérieur, ceux du monde conquis. L’autre n’a pas besoin d’être tué, il doit être domestiqué. Cependant, toute tentative d’aller plus loin est tragique. Othello n’est pas capable de parler par sa propre voix, de poursuivre sa propre vision, il n’a pas le droit d’aimer. Il est souvent traité comme un être humain noble mais déraisonnable. Nous voulions ici l’inviter à s’exprimer. La mise en scène d’Othello nous permet de prêter attention à toute la gamme de discours produits dans le modèle contemporain, tels que les études postcoloniales et culturelles, la critique des grands récits ou les dichotomies binaires et bien d’autres sujets post-impériaux. Et ces sujets semblent être encore plus urgents aujourd’hui, en ces temps de crises mondiales. Nous avons besoin de beaucoup apprendre pour ne pas répéter nos erreurs. Les gens succombent facilement à la manipulation et nos sociétés semblent contrôlées par la peur. Pensez-vous que le théâtre est une forme d’art efficace pour contrer ces fléaux ? Je pense que notre théâtre doit détruire les murs et permettre aux autres de ne pas rester des « autres », de ne pas être simplement différents mais de devenir aussi, à bien des égards, les mêmes. Et le théâtre est le lieu parfait pour les mots inattendus, pour les prises de position imprévues, c’est une expérience participative permanente, une expérience démocratique. Le théâtre est une chance. C’est maintenant ou jamais. Et c’est aussi une sorte de manipulation, mais une bonne manipulation en vue d’une guérison, non seulement physique mais aussi spirituelle. Une guérison des préjugés, de la peur et de la manipulation. Ce genre de processus de guérison doit commencer dès maintenant. Il semble se dessiner un lien invisible entre les pièces que vous choisissez de mettre en scène, notamment entre Tartuffe que vous avez présenté en 2018 au Festival d’Avignon et Othello que vous donnez cette année. Iago serait-il en quelque sorte l’équivalent anglais de Tartuffe ? Non, je ne pense pas qu’il y ait un tel lien. Molière est différent de Shakespeare. Tartuffe est avant tout une pièce qui est capable de démontrer le pouvoir de la manipulation domestique. Il s’agit essentiellement d’une comédie, même si les conséquences peuvent être tragiques. Shakespeare dit que « le monde entier est une scène », et que nos actes et décisions peuvent provoquer des problématiques mondiales ou causer un changement planétaire. Le Tartuffe de Molière est le maître des intrigues de chambre qui peuvent ensuite se transformer en événements plus larges, mais Molière ne cesse de voir le côté comique, humain et intellectuel de ces situations. Le Iago de Shakespeare, lui, est un mégalomane, toujours désireux de conquérir complètement le pouvoir ici et à l’étranger. Les forces qui apparaissent dans la pièce sont à la fois instinctives et entières, elles associent la passion corporelle et le pouvoir global. Le Tartuffe de Molière connaît une transformation, commençant comme une comédie et se terminant en tragédie, alors que l’Othello de Shakespeare est une tragédie dès le début. Quelle atmosphère dégagera votre adaptation d’Othello, à la distribution très jeune ? Comment avez-vous envisagé le rôle d’Othello et la problématique délicate et épineuse de sa couleur de peau ? Dans notre spectacle, la chorégraphie contribue de manière significative à la scénographie, qui est empreinte de différentes techniques pour rendre le spectacle aussi dynamique, vibrant et vivant que le monde d’aujourd’hui. Comme la charge d’exercice physique est énorme, j’ai décidé d’inviter de jeunes comédiens à se produire. La jeunesse, le théâtre et la passion viennent habiter la scène. Le sujet de la couleur de peau du personnage d’Othello est d’une extrême subtilité, comme l’est le couple formé par Othello et Desdémone, tout comme l’est aussi la situation actuelle de l’amour dans une époque aux multiples crises. Au cours des répétitions, nous avons ainsi décidé de créer la surprise au sujet des personnages principaux, c’est pourquoi nous ne voulons pas dévoiler l’idée ici… Entretien réalisé par Malika Baaziz le 30 mars 2020 uploads/Litterature/ oskaras-korsunovas-fr.pdf
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- Publié le Nov 18, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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