Monsieur Jean-Daniel Dubois Où en sont les problèmes du gnosticisme ? In: Dialo

Monsieur Jean-Daniel Dubois Où en sont les problèmes du gnosticisme ? In: Dialogues d'histoire ancienne. Vol. 7, 1981. pp. 273-296. Citer ce document / Cite this document : Dubois Jean-Daniel. Où en sont les problèmes du gnosticisme ?. In: Dialogues d'histoire ancienne. Vol. 7, 1981. pp. 273-296. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/dha_0755-7256_1981_num_7_1_1435 DHA 7 1981 273 - 296 OU EN SONT LES PROBLEMES DU GNOSTICISME ? Le 16 mars 1933, Henri-Charles Puech donnait une conférence à l'Université Libre de Bruxelles sous le titre «Où en est le problème du gnosticisme?» (0. C'était un large tour d'horizon entrepris par un phénoménolo- gue des religions sur la cinquantaine d'années d'études gnostiques qui venait de s'écouler. On était alors en pleine découverte du mandéisme et à la fin de la période où les études des phénomènes religieux étaient dominées par l'Ecole de l'Histoire des Religions. H.-C. Puech traçait un état de la question, une sorte d'historique des recherches, tout en présentant un point de vue sur le contenu des études gnostiques de son époque. Cet article de Puech, récemment republié, nous paraît marquer un bon point de départ pour notre enquête ; cependant nous en modifions légèrement l'intitulé. Si l'on considère les recherches gnostiques des années 1930-1980, l'usage du pluriel s'impose à cause des bouleversements considérables entraînés par les découvertes des manuscrits coptes de Nag Hammadi, en Haute Egypte (1945), et par la diversité des travaux qu'elles ont suscités. Avec la publication lente et progressive de ces textes dont l'importance historique dépasse sans doute celle des manuscrits de la mer Morte, une mode de congrès et de publications s'est développée ces dernières années. Au milieu de ces publications, nous allons indiquer quelques pistes; après un rappel de la problématique de l'article de Puech, nous évoquerons la distance qui nous sépare de cette problématique; nous proposerons ensuite un panorama limité et partial de tendances significatives des études gnostiques aujourdTiui. I - L'ARTICLE DE H.-C. PUECH (1880-1930 env.) En guise d'introduction, Puech présentait deux citations célèbres, l'une de A. Harnack, l'autre de H. lietzmann ; elles résumaient d'un trait les deux courants de recherches marquant le demi-siècle étudié. Harnack prôna cette définition du gnosticisme : «les conceptions gnostiques représentent une sécularisation portée à son plus haut point, une hellénisation radicale et prématurée («aiguë», akute Hellenisierung) du christianisme, avec rejet de l'Ancien Testament; le système catholique, au contraire, une sécularisation, une hellénisation qui s'est faite graduellement et en conservant l'Ancien Testament»(2). C'était 1886! En 1932, H. Lietzmann revint à cette formule pour la modifier: «Nous pourrions tout aussi bien ajouter (à la formule de Harnack) que la gnose est une régression vers ses origines orientales, une réorientalisation (Ruckorientalisierung) également extrême du christianisme» (3). Fallait-il comprendre la gnose à partir de l'hellénisme ou à partir des religions orienta- 274 Jean-Daniel DUBOIS les ? Une affirmation est-elle censée nier l'autre ? H.-C, Puech dépassait ces deux extrêmes pour souligner l'évolution de la recherche gnostique, de Har- nack à Lietzmann, malgré les difficultés inhérentes à cette recherche : la gnose touche à tout (histoire de l'Eglise, situation du judaïsme à l'avènement du christianisme, mystères hellénistiques, religions orientales...); elle recouvre une infinité de systèmes; peut-on même traiter la gnose comme un tout ? Au temps de Puech, traiter du gnosticisme signifiait tout d'abord «toucher aux problèmes de son origine et de son évolution» (4). 1. H.-C. Puech décrivait ainsi les sources de nos connaissances sur le gnosticisme vers 1930 : a) les premiers écrits chrétiens (II Pierre, Epîtres Pastorales, Ignace d'An- tioche,Hermas...); b) les premières réfutations des hérésiologues ; parmi les oeuvres perdues dont on a quelques traces, on relève le Syntagma de Justin Martyr et celui d'Hippolyte (cf. aussi Eusèbe, H.E., IV, 7; IV, 25; IV, 28; V, 23 et les Mémoires d'Hégésippe); les principales réfutations sont celles d'Irénée, Adversus Haereses (vers 185), d'Hippolyte, Elenchos (après 222) et d'Epi- phane, Panarion (375-377); c) les citations des textes gnostiques dans les oeuvres des Pères de l'Eglise, comme les fragments de Théodote chez Clément d'Alexandrie, ou d'Héracléon dans le Commentaire de Jean d'Origène; d) les auteurs païens : Celse (vers 170), Platon et Porphyre (vers 260), des écrits alchimiques comme ceux de Zosime (fin du 3e s.); e) les écrits gnostiques eux-mêmes, souvent rédigés en grec et conservés aujourd'hui en copte, comme laPistis Sophia, les Livres de léou, Y Apocryphe de Jean ; il existe peu de pages conservées en grec, à côté des textes coptes. Sur l'ensemble des sources qui font connaître le gnosticisme, la plupart de ces documents représentent des témoignages indirects sur le gnosticisme, émanant d'hérésiologues. Il n'est donc pas étonnant que jusqu'au 19e s. les phénomènes gnostiques aient été considérés essentiellement comme des hérésies chrétiennes. Les gnoses étaient alors décrites comme des formes de christianisme contaminées par la philosophie grecque (pythagorisme, platonisme, cynisme...) ou par l'astrologie. De plus, l'hérésie était considérée comme postérieure à l'orthodoxie chrétienne , et cela dès l'époque des Pères de l'Eglise, ainsi que l'indique par exemple la position de Tertullien dans son traité De la prescription, 29, 4-6 (5). Or la documentation dont on dispose ne confirme pas toujours ces affirmations. Certaines gnoses relèvent des hétérodoxies du judaïsme (cf. les Samaritains, les Elchasaïtes, les Nazoréens...), alors que d'autres semblent sans relation avec les systèmes théologiques chrétiens, comme les Ophites, les Caïnites, peut-être les Simoniens, les Dosithéens. Celui que DIALOGUES D'HISTOIRE ANCIENNE 275 les Pères de l'Eglise désignent comme le «père de toutes les hérésies», Simon le Mage, se rattacherait même à des disciples de Jean le Baptiste, et précéderait donc le christianisme. Bref, ce sont autant de questions qu'il faudrait reprendre aujourd'hui avec un regard neuf. Ces options hérésiologiques sur le gnosticisme ont parfois laissé place à des réflexions plus systématiques sur la dispersion géographique des systèmes gnostiques. On a rattaché depuis longtemps Simon et Ménandre à la Samarie, Satornil à Antioche, Cérinthe à l'Asie Mineure, Cerdon à la Syrie, Basilide et Carpocrate à l'Egypte, Valentin et Marcion à Rome. Mais un examen plus approfondi des sources laisse apparaître une grande circulation des gnostiques et de leurs systèmes tout autour du Bassin méditerranéen. Et il semble maintenant difficile, pour ne pas dire exclu, de parler de gnose syriaque, égyptienne etc. Tout au plus reconnaît -on les différences entre unebranche occidentale du Valentinisme, avec Héracléon et Ptolémée, et une branche orientale de ce courant, avec Théodote et Marc le Mage. 2. Sur ce tableau marqué d'impasses, H.-C. Puech rappelle que la critique moderne a essayé, depuis la fin du 19e s., de résoudre deux sortes de questions, l'une plutôt littéraire, l'autre plutôt historique. La première sera toujours d'actualité : quelle est la valeur des sources utilisées par l'historien ? Ce questionnement insiste surtout sur le caractère partial et polémique des sources indirectes du gnosticisme. On soupçonne les Pères de l'Eglise d'avoir mal compris leurs sources, ou d'avoir mal interprété les systèmes qu'ils rapportent. En France, le nom d'E. de Faye illustre ce soupçon (6). Sur le plan historique d'autre part, cette attitude critique provoque un renversement progressif de la perspective hérésiologique adoptée jusqu'alors. Au lieu d'être des déviations, des produits dérivés, seconds, du christianisme primitif, les théologiens gnostiques s'inscrivent de plus en plus au coeur du christianisme jusqu'à devenir dans certains cas les précurseurs du canon du Nouvau Testament, de la règle de foi de l'Eglise du 2e s., des premières formules dogmatiques, de la théologie sacramentelle, de la vie monastique. Comme le remarque cependant Puech, «nous ne sortons guère de la thèse traditionnelle de la Gnose, hérésie chrétienne née d'une contamination du christianisme et des systèmes paï ens, sauf qu'ici on se montre parfois très favorable à cette tentative et qu'on réhabilite, alors qu'ailleurs on condamnait» ( '). Par delà la critique un peu désabusée de Puech, il faut reconnaître que ce courant de recherches gnostiques montre une fois pour toutes que «le gnosticisme est un problème qui, par essence, relève de l'histoire de l'Eglise» (8). 3. Dans ce type de travaux intervient l'impact de l'étude des religions comparées. Le gnosticisme devient alors un mouvement religieux, mythologi- 276 Jean-Daniel DUBOIS que, théosophique. On étudie les gnoses à partir des textes issus de milieux religieux variés. On recherche en Orient, mais aussi dans l'hellénisme et dans le christianisme ambiant l'origine des conceptions gnostiques. On présuppose une indépendance originelle de la gnose face au christianisme. Comme le note Puech, on assiste à une sorte de «généralisation» du problême de la gnose : on passe «d'une définition de la Gnose au sens restreint à un conception de la Gnose au sens large, Gnose dont le gnosticisme chrétien ne serait qu'un cas particulier... Le gnosticisme devient un phénomène de l'Histoire générale des religions» (9). R. Reitzenstein avec ses études sur le mystère du salut iranien, et W. Bousset constituent les meilleurs représentants de ce courant de recherches (10), encore vivant aujourd'hui 0 1). 4. Au temps où Puech écrivait son article, il participait de ce mouvement de recherches. Il pouvait résumer ainsi la problématique de son temps par une triple question, «le problème historique, dit -il, revient alors à établir : uploads/Litterature/ ou-en-sont-les-problemes-du-gnosticisme-jd-dubois-pdf.pdf

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