Le biographique Qu'est-ce que le pacte autobiographique ? Philippe Lejeune C'es

Le biographique Qu'est-ce que le pacte autobiographique ? Philippe Lejeune C'est l'engagement que prend un auteur de raconter directement sa vie (ou une partie, ou un aspect de sa vie) dans un esprit de vérité. Le pacte autobiographique s'oppose au pacte de fiction. Quelqu'un qui vous propose un roman (même s'il est inspiré de sa vie) ne vous demande pas de croire pour de bon à ce qu'il raconte : mais simplement de jouer à y croire. L'autobiographe, lui, vous promet que ce que qu'il va vous dire est vrai, ou du moins est ce qu'il croit vrai. Il se comporte comme un historien ou un journaliste, avec la différence que le sujet sur lequel il promet de donner une information vraie, c'est lui- même. Si vous, lecteur, vous jugez que l'autobiographe cache ou altère une partie de la vérité, vous pourrez penser qu'il ment. En revanche il est impossible de dire qu'un romancier ment : cela n'a aucun sens, puisqu'il ne s'est pas engagé à vous dire la vérité. Vous pouvez juger ce qu'il raconte vraisemblable ou invraisemblable, cohérent ou incohérent, bon ou mauvais, etc., mais cela échappe à la distinction du vrai et du faux. Conséquence : un texte autobiographique peut être légitimement vérifié (même si c'est dans la pratique très difficile !) par une enquête. Un texte autobiographique engage la responsabilité juridique de son auteur, qui peut être poursuivi par exemple pour diffamation, ou pour atteinte à la vie privée d'autrui. Il est comme un acte de la vie réelle, même si par ailleurs il peut avoir les charmes d'une oeuvre d'art parce qu'il est bien écrit et bien composé. Comment se prend cet engagement de dire la vérité sur soi ? A quoi le lecteur le reconnaît-il ? Parfois au titre : Mémoires, Souvenirs, Histoire de ma vie... Parfois au sous-titre ("autobiographie", "récit", "souvenirs", "journal"), et parfois simplement à l'absence de sous-titre "roman". Parfois il y a une préface de l'auteur, ou une déclaration en page 4 de couverture. Enfin très souvent le pacte autobiographique entraîne l'identité de nom entre l'auteur dont le nom est sur la couverture, et le personnage dont l'histoire est racontée dans le texte. Autre conséquence : on ne lit pas de la même manière une autobiographie et un roman. Dans l'autobiographie, la relation avec l'auteur est embrayée (il vous demande de le croire, il voudrait obtenir votre estime, peut-être votre admiration ou même votre amour, votre réaction à sa personne est sollicitée, comme par une personne réelle dans la vie courante), tandis que dans le roman elle est débrayée (vous réagissez librement au texte, à l'histoire, vous n'êtes plus une personne que l'auteur sollicite). Si vous voulez des exemples de pacte autobiographique, vous trouverez sur ce site les préambules de Jean-Jacques Rousseau et de Marie Bashkirtseff . © Philippe Lejeune 2002 Philippe Lejeune – Vingt-cinq ans après Le pacte autobiographique, je n’ai donc pas eu à l’inventer, puisqu’il existait déjà, je n’ai eu qu’à le collectionner, le baptiser, et l’analyser. Le collectionner. Mon livre propose, sur soixante pages, une anthologie d’une vingtaine de pactes, de Rousseau à François Nourissier. Je donne la parole aux autobiographes. C’était tout simple. Pourquoi ne l’avait-on pas fait avant ? Parce qu’on s’en méfiait ! Ce moment où quelqu’un vous prépare à ses confidences et essaie de vous séduire était sans doute vu comme une faiblesse ou une roublardise, sur lequel il fallait passer avec indulgence, plutôt que comme un moment fort et vrai. Moi je leur ai fait confiance. J’avais été ébloui par les deux préambules des Confessions de Rousseau, surtout par le premier, celui qu’on trouve en tête du manuscrit de Neuchâtel, très long et explicite : il annonce une triple révolution, psychologique (un nouveau modèle de la personnalité et un nouveau type de communication entre les hommes), politique (valeur exemplaire du vécu de l’homme indépendamment de sa position sociale) et littéraire (il faut inventer pour l’autobiographie un nouveau langage). Écrit en 1764, ce texte n’a pas pris une ride. Il m’a semblé qu’il y avait à s’instruire en glanant dans les déclarations liminaires d’autobiographie. Oui, leur rhétorique est un peu répétitive, mais c’est comme la rhétorique de l’amour : finalement, dans ces situations-là, on insuffle toujours une force nouvelle à des mots qui ont déjà servi... Cette partie de mon livre, c’était celle dont j’étais le plus fier, quoiqu’il n’y eût pas un mot de moi. Je passais mes troupes en revue, ou plutôt j’avais organisé une espèce de « chœur » antique dont j’étais le coryphée. Le baptiser. L’expression « pacte autobiographique » figure dans L’Autobiographie en France, éd. 1971, p. 24. La première fois que je l’emploie, je mets des guillemets, conscient que c’est une formule inédite. Ensuite, plus de guillemets, je considère qu’elle est entrée dans la langue courante. Le livre avançant, elle prend du galon, elle coiffera la première partie de l’anthologie. Pourquoi des guillemets ? Quelques lignes plus haut, j’en avais déjà employés pour dire que l’autobiographie était un genre « fiduciaire », métaphore renvoyant au vocabulaire de l’économie et des finances. A quoi renvoie « pacte » ? Sans doute à une idée juridique de « contrat », mais évidemment on pense aussi à une alliance mystique ou surnaturelle – à un « pacte avec le Diable », qu’on signerait de son sang... C’est un peu exagéré, mais cet excès frappe l’imagination, et a assuré le succès de la formule. Je ne suis pas un théoricien révolutionnaire, mais plutôt un publicitaire qui a eu une bonne idée, comme celui qui a inventé La vache qui rit. Revenons au côté juridique : l’une des critiques qu’on a pu faire à l’idée de pacte, c’est qu’elle suppose la réciprocité, un acte où deux parties s’engagent mutuellement à quelque chose. Or dans le pacte autobiographique, comme d’ailleurs dans n’importe quel « contrat de lecture », il y a une simple proposition, qui n’engage que son auteur : le lecteur reste libre de lire ou non, et surtout de lire comme il veut. Cela est vrai. Mais s’il lit, il devra prendre en compte cette proposition, même si c’est pour la négliger ou la contester. Il est entré dans un champ magnétique, avec des lignes de force qui orienteront sa réaction. Quand vous lisez une autobiographie, vous n’êtes pas débrayé, comme dans le cas d’un contrat de fiction, ou d’une lecture simplement documentaire, mais embrayé : quelqu’un demande à être aimé, et à être jugé, et c’est à vous de le faire. D’autre part, en s’engageant à dire la vérité sur lui-même, l’auteur vous impose de penser à l’hypothèse d’une réciprocité : seriez-vous prêt à faire la même chose ? Et cette simple idée dérange. A la différence d’autres contrats de lecture, le pacte autobiographique est contagieux. Il comporte toujours un fantôme de réciprocité, virus qui va mettre en alerte toutes vos défenses. Relisez la fin du préambule publié des Confessions. « Que chacun découvre à son tour son cœur avec la même sincérité... ». Ce qu’on n’a jamais pardonné à Rousseau, ce n’est pas la folie de croire qu’il est seul, unique et différent des autres hommes, c’est la sagesse qu’il a eue de conseiller à chacun de balayer d’abord devant sa porte... Le biographique Pactes autobiographiques Marie Bashkirtseff Marie Bashkirtseff (1858-1884) a tenu son journal sans interruption de 1873 (elle avait 14 ans) à sa mort en 1884 (elle allait avoir 26 ans). En 1877, elle a commencé à apprendre la peinture à l'Académie Julian, et quand elle est morte elle avait déjà une certaine notoriété comme peintre (voir au Musée d'Orsay son tableau "Le Meeting", et au musée des Beaux-Arts Chéret à Nice son "Autoportrait à la palette"). Vous pouvez voir des reproductions de ses principales oeuvres sur le site www.geocities.com/mbashkirtseff. Son journal manuscrit (106 cahiers et carnets, 19000 pages) est pour l'essentiel conservé aujourd'hui au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale. En mai 1884, atteinte de tuberculose, elle savait qu'elle ne vivrait plus longtemps. Elle a alors décidé d'écrire elle-même une Préface en vue d'une édition posthume de son journal. A quoi bon mentir et poser ? Oui, il est évident que j'ai le désir, sinon l'espoir, de rester sur cette terre, par quelque moyen que ce soit. Si je ne meurs pas jeune, j'espère rester comme une grande artiste ; mais si je meurs jeune, je veux laisser publier mon journal qui ne peut pas être autre chose qu'intéressant. - Mais puisque je parle de publicité, cette idée qu'on me lira a peut-être gâté, c'est-à-dire anéanti, le seul mérite d'un tel livre ? Eh bien ! non. - D'abord j'ai écrit très longtemps sans songer à être lue, et ensuite c'est justement parce que j'espère être lue que je suis absolument sincère. Si ce livre n'est pas l'exacte, l'absolue, la stricte vérité, il n'a pas raison d'être. Non seulement je dis tout le temps ce que je pense, mais je n'ai jamais songé un seul instant à dissimuler ce qui pourrait me paraître ridicule ou uploads/Litterature/ pacte-autobio.pdf

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