Sémiotique et etudes bibliques. Évolutions méthodologiques et perspectives épis

Sémiotique et etudes bibliques. Évolutions méthodologiques et perspectives épistémologiques1 Louis Panier La sémiotique littéraire et les études bibliques se sont rencontrées en France au début des années 70. On rappellera rapidement les circonstances de cette rencontre pour montrer ensuite, avec quelques exemples, comment la pratique de l’analyse et sa confrontation avec les particularités du corpus biblique ont permis la mise en lumière et la réarticulation de certains éléments de la théorie sémiotique, en particulier en ce qui concerne la dimension figurative du discours et son rapport à la problématique de l’énonciation. De ces réflexions, et de quelques exemples d’analyses, peuvent être dégagées des propositions sur l’épistémologie de la sémiotique et sur les rationalités dont l’étude du corpus biblique permet de faire l’hypothèse: on distinguera ainsi une rationalité narrative, une rationalité sémiologique et une rationalité figurale, à partir desquelles le sens s’élabore, trouve ses points d’émergence mais aussi ses limites. On montrera également comment, à partir de là, cette approche sémiotique des textes bibliques et de leur interprétation ouvre des perspectives aux problématiques des disciplines théologiques. 1. Histoire d’une rencontre À la confluence des recherches linguistiques (Saussure, Hjlemslev, Benveniste), anthropologiques (Propp, Dumézil, Lévi-Strauss) et phénoménologiques (Merleau-Ponty, Ricoeur), la sémiotique apparaît en France dans les années 60 avec les travaux de Greimas et de Barthes en particulier. Ses premières applications concernent les récits2. La rencontre de la sémiotique et des études bibliques s’est faite en France à la fin des 1 Relazione presentata al XXXV Congresso dell’Associazione Italiana di Studi Semiotici, Destini del Sacro, Reggio Emilia, 23 - 25 novembre 2007. 2 Voir R. BARTHES, 1968, “L’analyse structurale du récit. A propos d’Actes 10-11”, Communication n°8, 287-314 2 années 603. Les études bibliques sont à cette époque, dans leur ensemble, marquées principalement par une problématique philologique et historique (on parle des méthodes historico-critiques de l’exégèse). Il s’agit d’étudier l’histoire des formes littéraires rencontrées dans la Bible et de leurs fonctions: d’où viennent les textes qui composent la Bible (problème des traditions), quelle fonction jouent-ils dans les communautés qui les produisent et les reçoivent… C’est à partir de ces formes et de ces couches rédactionnelles qu’on propose un découpage des textes et une interprétation qui vise à rapporter chacun des fragments ainsi découverts aux milieux et aux circonstances qui en supportent la signification. Quelques exégètes, toutefois, posent la question du langage, des manières d’exprimer, de nommer les événements, et leur sens: des études ont lieu par exemple sur le langage de la résurrection dans les textes du Nouveau Testament4. Par ailleurs dans le champ de l’herméneutique, des philosophes, comme P. Ricœur, s’intéressent aux modalités particulières de la vérité dans les récits. Il reste que la proposition d’une approche “immanente” et globale de la signification des textes et d’un recours aux modèles épistémologiques de la linguistique était difficilement recevable dans le contexte des études bibliques. Rappelons-nous également que cette période est celle du “structuralisme” supposé prôner “la mort du sujet”5 et l’on comprend bien qu’un tel projet soit difficilement acceptable dans le contexte d’une lecture croyante de la Bible6… En France, les premières rencontres entre biblistes et sémioticiens (Greimas en l’occurrence) ont eu lieu en 1967 lors de la préparation d’un congrès des biblistes français sur les méthodes en exégèse. À la suite de ces rencontres, Greimas mit au travail sur des textes bibliques certains des étudiants de son séminaire de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes7. Ce congrès eut lieu en 1969; P. Ricoeur, R. Barthes, L. Marin… y donnèrent des communications8. Ce fut pour certains exégètes de la Bible une heureuse découverte. Des groupes de biblistes (enseignants et étudiants) se sont alors constitués, à Lyon (autour de J. Delorme, J. Calloud et E. Haulotte), à Paris (autour de P. Geoltrain). À l’Ecole des Hautes Études, un atelier biblique fut organisé dans le Séminaire de Greimas (F. Bastide, C. Combet-Galland, C. Turiot). Plusieurs chercheurs et étudiants participèrent à l’université d’été à Urbino. C’est à partir des travaux du séminaire de Greimas et dans la dynamique de l’élaboration de sa théorie sémiotique que se sont surtout développées les études sémiotiques de la Bible. Aux États-Unis, autour de D. Patte (Nashville) et de la revue Semeia, 3 Pour une présentation plus complète des applications de la sémiotique dans les études bibliques, on pourra lire J. DELORME et P. GEOLTRAIN, “Le discours religieux”, dans J.C. COQUET (éd.), Sémiotique. L’école de Paris, 1982, Paris, Hachette, p. 103-126; J. DELORME, 1982, “Incidences des sciences du langage sur l’exégèse et la théologie”, dans B. LAURET et F. REFOULÉ (éd.), Initiation à la pratique de la théologie, I, Paris, Cerf, p. 299-311; J.C. GIROUD et L. PANIER, 1986, “Sémiotique du discours religieux”, Revue des Sciences Humaines, Université de Lille III, n°201, p. 119-128; J. DELORME, , 1992 “Sémiotique” dans Dictionnaire de la Bible – Supplément, Paris, Letouzey & Ané, col. 282-333 ; L. PANIER, 2002, “La sémiotique et les études bibliques”, in HÉNAULT A. éd. – Questions de Sémiotique, PUF, coll. 1er cycle. Voir également Jean-Yves THERIAULT, “Quand la bible s’ouvre à la lecture sémiotique”, Protée, 34/1, printemps 2006, p. 67-76. 4 J. DELORME, 1972, “La résurrection de Jésus dans le langage du Nouveau Testament”, dans Le langage de la foi dans l’Ecriture et dans le monde, Paris, Cerf, p.101-182. 5 On peut rappeler les débats entre Ricœur et Lévi-Strauss dans la revue Esprit. Cf. P. RICOEUR, 1963, “Structure et Herméneutique” (La Pensée sauvage de Claude Lévi-Strauss), Esprit. 6 Signalons qu’en1993, la Commission Biblique Pontificale publie un document, Les Interprétations de la Bible dans l’Eglise dans lequel un chapitre est consacré à l’Approche sémiotique. 7 On trouve un écho de ces travaux dans Langages , n°22, 1971. 8 Les actes de ce congrès ont été publiés: R. BARTHES et al. , 1971, Exégèse et Herméneutique, Paris, Seuil. 3 et en Allemagne avec E. Güttgemans (Bonn) et la revue Linguistica Biblica se diffusaient également des recherches en sémiotique appliquées au domaine biblique et théologique. À Lyon, à l’initiative de J. Delorme et J. Calloud, fut créé à l’Université Catholique un centre de recherche, le Centre pour l’Analyse du discours Religieux (CADIR)9, qui publie depuis 1975 la revue Sémiotique et Bible10. Ce centre, consacré à l’approche sémiotique des discours religieux, bibliques en particulier, propose des cours, des séminaires de recherche, des stages de formation, et assure la publication de la revue Sémiotique et Bible. Il a organisé plusieurs colloques et dirigé la publication d’ouvrages collectifs. En lien avec le CADIR, sont nés des groupes de recherche en France et à l’étranger: États-Unis (Nashville), Pays-Bas (Groupe SEMANET, Tilburg – Nimègue), Québec (groupe ASTER), Corée du Sud… Un enseignement de la sémiotique fut également organisé dans le cursus de théologie à la Faculté de théologie de l’Université Catholique de Lyon. Des sessions eurent lieu régulièrement pendant plusieurs années à l’Institut Catholique de Paris. 2. Une approche sémiotique de la Bible. Si, comme le défendait Greimas, la sémiotique est un “projet scientifique”, son développement suit les deux voies que sont, d’une part, l’élaboration progressive de concepts et de définitions donnant naissance à une théorie du langage et à un métalangage de description, et d’autre part, la confrontation à des “objets” qu’il convient de construire comme des “ensembles signifiants”. La mise en œuvre des outils descriptifs de la sémiotique a permis de mettre en lumière dans le corpus biblique des “effets de sens” et des structures de signification singulières11. Mais la Bible est “un texte à lire”12, elle s’inscrit dans une tradition de lecture, il appartient alors à la sémiotique de se situer comme un projet herméneutique; les travaux sémiotiques sur la Bible ont privilégié cet aspect, d’un point de vue théorique en abordant la “lecture” comme un acte d’énonciation et en développant une réflexion sur la fonction de l’énonciataire, et d’un point de vue didactique et pédagogique en suscitant des pratiques nouvelles de la lecture biblique, dans des contextes confessionnels ou non. La sémiotique se donne comme projet, l’analyse et la description des structures de signification qui permettent la manifestation du sens. Les textes que nous lisons manifestent “du sens”, et il appartient à la démarche sémiotique de construire une cohérence du sens perçu et de proposer, de celle-ci, une représentation rigoureuse. La signification d’un texte n’est pas “donnée”, elle est construite dans un parcours d’interprétation à partir de la distinction d’un plan de l’expression et d’un plan du contenu, de la constitution des formes qui articulent ces plans, et dans un acte qui présuppose en installe une instance d’énonciation. Ce point est capital, il a parfois été désigné sous le nom de “principe d’immanence”, que Greimas se plaisait à exprimer avec un brin de provocation: “Hors du texte pas de salut!”. Si l’on se donne comme projet la description de l’articulation du sens manifesté par un texte, il 9 Actuellement dirigé par Anne Pénicaud, le CADIR et rattaché à la Faculté de Théologie de l’Université Catholique de Lyon. 10 Sémiotique et Bible, bulletin d’études et d’échanges publié par le Centre pour l’Analyse du discours Religieux, 25 rue du Plat, 69288 Lyon Cedex 02 (Tables disponibles uploads/Litterature/ panier-28-02-08.pdf

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