Parce qu’il s’agit du « chef-d’oeuvre » (au sens où l’entendaient les compagnon

Parce qu’il s’agit du « chef-d’oeuvre » (au sens où l’entendaient les compagnons du Tour de France) d’un chercheur de talent, qui a fait ses preuves de « spécialiste » dans l’élaboration d’une thèse de doctorat. Ch. Puren est un « professionnel » des documents d’époque, un « amateur » de papiers jaunis, qui sait aller au charbon, trouver sa peine (et sa joie) dans les sous-sols poussiéreux et mal chauffés des bibliothèques. Un homme enfin qui connaît les limites de son art, donc qui doute et ne confond jamais hypothèses interprétatives et résultats « scientifiques » (avec de gros guillemets, comme il dit). À l’appui de cette assertion, voici un passage de la lettre qu’il m’adressait le 26 février dernier, dans le soulagement du labeur accompli : « Je livre ce travail avec une grande humilité, parce qu’au regard des exigences de la connaissance scientifique, je le ressens comme dérisoire, mais en même temps avec une grande fierté, parce que je crois qu’il constituera malgré tout un bon outil d’autoformation professionnelle ». La fin de cet extrait servira de transition pour exposer les objectifs d’un auteur qui, en tant que chercheur-enseignant, ne conçoit pas l’idée sans l’action et rappelle, dans cette même lettre, les termes de notre contrat. Je le cite de nouveau : « C’est cet objectif d’autoformation (...) qui était premier dans le projet initial (...) ; je te parlais de la mémoire collective des professeurs de langues vivantes étrangères, qui constituait, à mes yeux, un bon antidote à tous les autoritarismes, qu’ils soient institutionnels, pratiques ou théoriques ; je pense dans ce dernier cas, bien sûr, à la linguistique, à la psychologie, à la sociologie mais aussi à l’histoire elle-même de la didactique des langues vivantes étrangères, qui de fait appartient à tous les professeurs : en ce sens mon ouvrage ne se veut pas étude universitaire, mais oeuvre de vulgarisation », Dois-je préciser que, comme directeur d’une collection qui ambitionne d’être la bibliothèque du professeur de langue, je suis complètement d’accord, a posteriori – comme je l’étais a priori – avec cet exposé des motifs ? L’histoire des grands hommes et des batailles a longtemps occulté l’histoire des acteurs sociaux obscurs et multiples ; de la même manière, en didactique des langues, l’histoire des politiques linguistiques, des institutions, des théoriciens est en marche, alors que celle des enseignants et des pratiques de classe est dans les langes. D’un point de vue éthique, le mérite de Ch. Puren est d’avoir abordé le problème par le bon bout, de s’être tenu au plus près des professeurs et des élèves. Même si l’histoire des pratiques en classe de langue reste à faire (elle sera longue à voir le jour, parce que les témoignages pointus n’abondent pas), il a compris que ce sont les obscurs et les sans-grades qui font bouillir la marmite et permettent à tous les autres de tenir des discours didactiques. Je suis également sensible à une autre vertu de cette Histoire des méthodologies : alors que le phénomène de balkanisation se renforce en didactique des langues, cette plongée diachronique, cette interrogation par-dessus les siècles, cet effort de recul et de cohérence globale ont quelque chose d’oecuménique, au contraire. Personnellement, cela me conforte dans l’idée qu’il faut choisir la transversalité contre la spécificité, la didactique des langues et des cultures en général contre les didactiques des langues et des cultures en particulier. J’ai déjà beaucoup « prêché » en ce sens, j’ajouterai qu’au moment où le français langue étrangère résiste mal à la tentation de faire bande à part et de revendiquer pour lui seul une autonomie qu’il pourrait avantageusement partager avec les autres langues, cet ouvrage est de nature à rassembler les énergies dispersées. Il montre, en effet, que les méthodologues Christian PUREN, Histoire des méthodologies d’enseignement des langues vivantes (1988) p. 8 ont compris, depuis longtemps, la vanité d’une didactique pour chaque langue et qu’ils ont su canaliser l’effet d’entraînement des plus dynamiques vers les autres. Après avoir lu ce livre, les professeurs de langues (de toutes les langues), devraient avoir envie de réfléchir et de construire... ensemble. Quand une discipline perd son passé, elle perd aussi son avenir, parce qu’elle n’a pas (ou n’a plus) confiance en elle, qu’elle a peur d’un passé trop lourd à dépasser. En tirant de l’oubli une partie du legs de la didactique des langues, Histoire des méthodologies délivre sa discipline d’une amnésie paralysante et fait d’elle une héritière équanime de la longue durée. Par ailleurs, poussant le passé à faire irruption dans le présent pour féconder l’avenir, elle introduit l’histoire dans les cursus de formation et lui assigne du même coup la place qu’elle aurait dû tenir depuis longtemps. L’avènement de l’histoire en période de crise identitaire comme celle que traverse la didactique des langues pourrait bien stopper la « fuite en avant », si souvent dénoncée, vers la novation coûte que coûte : la mémoire retrouvée interdisant alors à l’imagination débridée de monopoliser le pouvoir. Mais quand le présent est lourd à assumer et que se réfugier dans le passé paraît plus confortable que se jeter à esprit perdu dans le futur, gare à la nostalgie envahissante et à la « fuite... en arrière » ! Ch. Puren a su conjurer ce risque en refusant de verrouiller l’histoire sur elle-même et en l’articulant à l’actualité. Je lui sais gré de cette nécessaire précaution et plus encore de la tranche essentielle d’histoire qu’il nous livre ; s’il ne règle pas tous les problèmes qu’il soulève, il les fait au moins tous avancer, ne serait-ce que parce qu’il les pose et les pose bien. Robert GALISSON, Paris, le 8 avril 1988 uploads/Litterature/ parce-qu.pdf

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