dossieR 064 _ Les Actes de Lecture n°104 _ décembre 2008 _ [dossier]  « La mus

dossieR 064 _ Les Actes de Lecture n°104 _ décembre 2008 _ [dossier]  « La musique incite au dépassement de soi, mais aussi au dépassement des normes et des règles. C’est un moyen de sub­ version et les régimes totalitaires interdisent toujours certaines musiques, comme certains types de littérature. ». Dominique Grassart, conseillère pédagogique. Le vocabulaire associé à la partition recouvre significative­ ment celui de l’écrit : déchiffrer, lire, écrire, transcrire, composer, phrase musicale, anticipation, empan, langage musical, interpréta­ tion... Plutôt que d’une commodité de langage ou d’un usa­ ge approximatif lié à la « chose imprimée », on peut penser que ce recouvrement relève d’une communauté d’usage, de fonction et de fonctionnement. Apprendre à lire La partition, objet de la « musique classique », est support d’apprentissage, d’enseignement, d’entraînement. On la trouve dans les écoles de musique, dans les bibliothèques des musiciens. Retrouve-t-on autour d’elle des enjeux et des représentations similaires à ceux et celles de l’écrit ? Voici, prélevée sur le forum d’un site Internet consacré à la musique, une « conversation » sur la musique et son apprentissage, mais on peut aisément la transposer entre parents à la sortie du conservatoire : - Auriez-vous une bonne méthode pour pouvoir lire bien une partition de piano, et pas passer 10s pour déchiffrer un accord ou une note !! - Le manuel pratique de lecture de Georges Dandelot !!!! Après quelques années dessus, tu lis dans toutes les clés à l’endroit, à l’envers, et même les yeux fermés !!! Un peu vieillot peut-être. Partition musicale et lecture Thierry Opillard En comparant ce que requièrent, chez le lecteur et chez le musicien, l’acte lexique et le déchiffrage de la partition musicale, tant au niveau des as­ pects techniques et des habiletés partielles qu’au niveau des réfé­ rences culturelles et de la mobilisa­ tion des connais­ sances, Thierry Opillard illustre en quelque sorte le contenu de l’ar­ ticle de Nicolas Meeùs et justifie son « apologie de la partition ». Et ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater les similitudes entre l’enseignement de la lecture, apa­ nage de l’école, initiatique et contraignant, et celui de la mu­ sique, domaine des artistes censé faire appel à la sensibilité et sus­ citer l’émotion - Manger des tonnes de partitions pour pouvoir repérer graphiquement les styles d’accords et leur position dans les doigts. - T’entraîner, déchiffrer, passer des heures et des heures sur ton piano, je connais pas d’autres méthodes. - Malheureusement le prix à payer n’est pas celui d’une méthode mais bel et bien de passer des heures à lire, lire et encore lire !! Ensuite tout paraît évident en clé de sol ou de fa ! - Recopier une partition avec feuille et crayons est aussi très très bien... Comme j’ai déjà affirmé... C’est fou ce que l’on peut redécouvrir une œuvre en la recopiant... - Et en relevant : tu associes ainsi une graphique avec un bout de musique que tu sais chanter ! Le demandeur est clair : il veut lire et ne plus déchiffrer. La vox populi lui répond presque unanimement qu’il doit passer par de longues années de systématisation, apparemment subie et douloureuse, qu’il ne doit pas hésiter à employer la méthode Boscher du cru. Mais il est difficile de répondre autre chose que ce qui se pratique presque partout... On s’interroge sur les raisons qui font perdurer les types de méthodes alphabétoïdes. La volonté d’une classe qui consi­ dère comme sien ce patrimoine culturel à ne pas trop par­ tager ? Le mercantilisme des tenants du système éducatif musical qui voudrait voir son enseignement durer dans le temps ?1 Une raison réside aus­ si dans la contamination à la partition de la conception saussurienne occidentale du texte écrit, conception qui ne voit dans les signes sur le papier que la transcription de signes sonores. Mais les conceptions contemporai­ nes ne permettent plus de voir la partition comme un simple système de notation des sons. (voir l’article précédent de Nicolas Meeùs) La voie ascendante du code au message se­ rait donc la seule ? Il semble pourtant que des voix différentes voudraient, dans ce concert assourdissant, se faire entendre. François Couperin, en 1716, dans L’Art de toucher le clavecin, écrit : « On devrait ne commencer à montrer la tablature aux enfants qu’après qu’ils ont une certaine quantité de pièces dans les mains. Il est presque impossible, qu’en regardant leur livre, les doigts ne se dérangent, et ne se contorsionnent, que les agréments même n’en soient altérés. D’ailleurs, la mémoire se forme beaucoup mieux en apprenant par cœur. » Des pratiques instrumentales ou orchestrales socialisées et des pratiques de lectures expertes de grandes œuvres qui précèdent l’enseignement du code existent2, en France, comme les contraires opprimés d’une pratique dominante (celle de nombre d’écoles de musique et de conservatoi­ res). Le solfège n’y est plus le préalable indispensable à une pratique repoussée à une maîtrise supposée minimale, mais un travail de systématisation qui vient en appui d’une pra­ tique pour l’améliorer, la rendre plus aisée. L’examen du comportement expert peut grandement aider à fixer l’objectif d’un enseignement, qui ne devrait pas faire autre chose que ce à quoi il veut aboutir. Acte lexique et partition musicale Si la partition n’est plus vue comme un simple système de notation de sons où l’œil ne serait que l’organe par où transite mécaniquement l’information entre le papier (l’écran), le cerveau et la main, il faut aller voir comment l’œil se comporte dans ce langage organisé suivant des règles syntaxiques précises. C’est ce que fait Gilles Comeau3 de l’Université d’Ottawa4 avec son « Laboratoire de recherche en pédagogie du pia­ no » (le « Labo-piano »). « Apprendre à lire la musique est une activité complexe et diffici­ le, car les pianistes doivent déchiffrer simultanément une partition dans son axe horizontal et vertical. Or, la nature et la fréquence  Les Actes de Lecture n°104 _ décembre 2008 _ [dossier] _ Partition musicale et lecture _ Thierry Opillard _ 065 1. Il est légitime de se poser la question quand on observe de près l’enseigne­ ment de l’équitation, du ski ou du tennis depuis leur... «dé­ mocratisation». 2. Tous les pédago­ gues qui s’inspirent des principes de la «méthode Suzuki» qui se base sur le principe de l’appren­ tissage de la langue maternelle (du message au code) se reconnaîtront. 3. Auteur de Com­ paraison de trois approches d’édu­ cation musicale, Jaques-Dalcroze, Orff ou Kodály ?, 1995. Vanier (Ont). : Centre franco-onta­ rien de ressources pédagogiques. 4. http://www. piano.uottawa.ca/ projects_fr_3.htm ci-dessus : Université d’Ottawa (appareillage qui permet d’enre­ gistrer le mouvement des yeux sur la partition). ci-contre : Gilles Comeau avec un groupe d’élè­ ves observés avec un matériel très sophistiqué. 066 _ Les Actes de Lecture n°104 _ décembre 2008 _ [dossier] _ Partition musicale et lecture _ Thierry Opillard  des difficultés d’apprentissage en lecture de la musique ne sont pas bien comprises, et les remèdes à ces difficultés n’ont pas été étudiés à fond. Trop souvent on s’en remet à la notion du talent, ou du manque de talent, pour expliquer les problèmes qui se posent dans l’apprentissage de la musique. Notre laboratoire a donc entrepris d’étudier l’apprentissage de la lecture musicale dans le but d’en mieux saisir les processus cognitifs et les enjeux. [...] Une étude sur la coordination des mouvements des yeux et des mains pendant le déchiffrage d’un morceau de musique au piano a pour but de renforcer notre connaissance fondamentale des processus de lecture de la musique chez les jeunes enfants et des rapports entre ces processus et les activités motrices accompagnant le jeu pianisti­ que. Des systèmes de caméras sophistiqués permettent de mesurer le mouvement oculaire du musicien pendant la lecture d’une par­ tition. Cette analyse nous permet de mieux comprendre les processus neurologiques et cognitifs actifs pendant la lecture musicale. » 5 C’est le travail que Véronique Drai-Zerbib et Thierry Baccino, du Laboratoire de Psychologie Ex­ périmentale et Quantitative de l’Université de Nice Sophia Antipolis, présentent dans le résumé de l’ar­ ticle publié dans l’Année Psychologique : « Cet article présente une expérience qui utilise l’analyse des mouvements oculaires pour décrire le rôle de l’expertise dans la lecture à vue musicale et notamment la construction d’une structure de récupération (Ericsson et Kintsch, 1995) apte à faciliter l’ac­ cès aux connaissances musicales. L’expérience comporte une écoute préalable de partitions de piano suivie d’une lecture et d’une réalisation musicale. Deux versions des partitions sont utilisées : avec ou sans marques de phrasé que ce soit lors de la phase d’écoute (modalité auditive) ou de lecture (modalité visuelle). Les résultats montrent que les lecteurs experts sont très peu sensibles au code écrit sur la partition et qu’ils réac­ tivent une représentation de la phrase musicale à partir des éléments fournis lors de l’écoute. À l’inverse, les non-experts semblent très liés au code écrit et à la modalité d’entrée (audi­ tif vs visuel) de l’information et doivent construire une nou­ velle représentation fondée sur les uploads/Litterature/ partition-musicale-et-thierry-opillard.pdf

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