Cahiers de civilisation médiévale De la fin'amor Paul Imbs Citer ce document /
Cahiers de civilisation médiévale De la fin'amor Paul Imbs Citer ce document / Cite this document : Imbs Paul. De la fin'amor. In: Cahiers de civilisation médiévale, 12e année (n°47), Juillet-septembre 1969. pp. 265-285; doi : 10.3406/ccmed.1969.1492 http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_1969_num_12_47_1492 Document généré le 01/06/2016 MÉLANGES De la fin'amor i. Version remaniée d'une thèse d'université de Paris (1957) dirigée par Jean Frappier, l'ouvrage de Moshé Lazar, Amour courtois et 'fin'amors'1, s'attaque à un vieux sujet qu'on croyait épuisé après les travaux de Gilson, d'Ernest Hoepffner, de Rita Lejeune, du P. Denomy, de Jean Frappier, d'B. Koehler, etc., mais qui, comme beaucoup d'autres, dès qu'une exacte philologie s'en empare, se révèle neuf comme si jamais personne n'y avait touché. Cela est vrai en particulier des notions fondamentales — des notions-mères, pourrait-on dire, — sur lesquelles les géants du dernier siècle avaient dit des choses qu'eux-mêmes croyaient provisoires, mais que les disciples pressés que nous sommes ont acceptées comme définitives parce que gagées par leur autorité. Notre excuse est l'immensité du domaine à explorer, avec les difficultés réelles d'une langue « populaire » — disons mieux, naturelle — riche en vocables concrets bien délimités, mais flottante, en première approximation, dans la conceptualisation abstraite, dont le soin incombait, d'institution, à des spécialistes rompus aux subtilités logico-grammaticales. Or, dans le milieu médiéval des spécialistes, pour qui seul méritait le nom de littérature ce qui s'écrivait en latin, quelle critique se souciait de définir les notions de base d'une littérature en langue vulgaire, et de les définir en langue vulgaire ? On se trouve donc trop souvent en présence : ou bien de notions qui n'ont point d'expression dans l'ancienne langue, tel que le concept d'amour courtois lancé par G. Paris, mais que, selon le P. Denomy, on ne trouve qu'une fois sous cette formulation chez les troubadours (Peire d'Auvergne, X, 58) [p. 22] ; ou bien de mots ou d'expressions médiévales, qu'en l'absence d'une lexicologie quelque peu vaste sinon exhaustive chacun interprète selon son intuition du moment : la notion de fin' amor est de ce nombre, comme le montre, après d'autres, M. Lazar. Pour un thème aussi répandu que l'amour, il y a fort à parier que viennent s'abattre sur lui de brillants essayistes, dont les livres trouvent des éditeurs et qui de ce fait influencent l'opinion même savante ; quand il s'agit du moyen âge, la tentation d'une exégèse mystique ou symbolique est proche (saint Bernard, les Victorins), et d'aucuns, parmi les meilleurs, n'ont pas manqué d'y céder un peu vite ; si en outre, comme c'est le cas des troubadours, l'affaire a une connotation politico-religieuse (la croisade des Albigeois), de vieux ressentiments se font jour et colorent ou même faussent les perspectives ; ajoutons l'esprit de système, qui, oubliant la chronologie, prête aux plus anciens ce qui n'est qu'interprétation postérieure (que de ravages dans ce domaine sont dus aux deux traités tardifs d'André I,e Chapelain !) ; et l'on n'a rien dit du problème des origines (arabes ou folkloriques, par ex.), qui n'est certes pas pour faciliter la tâche de l'humaniste désireux de se faire une idée correcte de la réalité historique. I/impression dominante est dès lors, selon un mot souvent répété par M. Lazar, celle de confusion, dont les principaux témoins sont à ses yeux les ouvrages déjà anciens (mais à influence persistante) ou plus récents, de E. Wechssler. C. Appel, H. Dupin, A. Jeanroy (ce dernier avec nuance), G. Cohen, D. de Rougemont, Reto Bezzola, P. Belperron, 1/. Spitzer à l'occasion, et surtout la thèse de J. Wettstein ÇMezura' L'idéal des troubadours : son essence, ses aspects, Zurich, 1945). Les répondants ou intercesseurs de M. Lazar sont, sauf désaccords partiels, E. Hoepffner, Jean Frappier, R. Briffaut et d'autres dont on trouvera les noms dans les nombreuses notes, dans l'abondante bibliographie et dans l'index très soigné qui termine l'ouvrage (il manque 1. M. I^AZAR, Amour courtois et 'fin'amors' dans la littérature du XIIe s., Paris, Klincksieck, 1964, 8°, 300 pp. (« Bibl. franc, et romane », s.C, Études littéraires, 8). 265 PAUL IMBS cependant, pour l'acribie de la méthode, le nom de J. Rychner), mais surtout, et on comprendra bientôt pourquoi, É. Gilson (La théologie mystique de saint Bernard, 1934) et les nombreuses et importantes études du P. Denomy, publiées depuis 1944 dans les « Médiéval Studies » ou dans « Spéculum ». C'est dire que M. Lazar aborde le problème en philologue, le philologue étant cet être qui va se raréfiant, pour lequel du commencement à la fin il y a les textes, dénombrés, puis caractérisés d'après leur sédimentation ou leur stratification spatio-temporelle, et interprétés au premier chef selon le sens littéral et contextuel de leur expression linguistique, les hypothèses de base étant que ceux qui écrivent au moyen âge ne sont pas nécessairement incohérents, même dans leurs œuvres en langue vulgaire, même dans le maniement de l'abstraction, et qu'en poésie comme ailleurs l'histoire est en mouvement, même si ce mouvement est lent, et qu'on y rencontre des personnalités irréductibles même si elles sont portées par une tradition continue et acceptée : s'il est formé à bonne école, tout à la fois « littéraire » et « grammairien » (tantôt plutôt cela que ceci, ou plutôt ceci que cela), le philologue, après de patientes enquêtes, allie le courage de l'affirmation nette au sentiment des nuances ; il n'oublie pas les relations des cas particuliers avec l'environnement qui les conditionne toujours, mais parfois aussi les dépasse quand il ne s'oppose pas à eux ; il apporte ainsi, avec ses techniques propres, le sens des proportions, qui est un élément essentiel de ce qu'on a coutume d'appeler le sentiment historique. 2. On se plaît à trouver chez M. Lazar quelques-unes de ces qualités et notamment le goût de l'analyse minutieuse, le sens de la spécificité des notions, le soin des vues d'ensemble encadrant le détail, avec en outre une certaine alacrité passionnée dans la position des thèses, qui fait que son livre se lit comme une œuvre d'actualité. L'historien se manifeste dans une large introduction (p. 9-19) où sont résumées à grands traits les influences socio-culturelles qui se sont exercées sur la littérature courtoise ; Marc Bloch est son guide, avec E. Faral, et surtout J. Frappier. I/influence majeure est selon lui celle de l'Orient, découvert à la faveur des croisades, et cet Orient est un Orient non-chrétien : « une civilisation qui n'était pas chrétienne, qui faisait une large part à la vie terrestre, qui préférait la joie et l'enthousiasme, les festins et l'amour à la souffrance et à la contrition » (p. 9) . Au changement survenu dans les mœurs de l'aristocratie guerrière correspondra très vite une idéologie amoureuse, empruntée aux poètes et aux philosophes hispano-arabes (p. 12-13), diffusée dans les cours du Midi par les premiers troubadours dès la fin du xie s. et transposée dès le xne dans les cours du Nord par les premiers trouvères conteurs. La thèse centrale de l'ouvrage est que cette idéologie s'est introduite dans la société féodale chrétienne à la fois comme un corps étranger au christianisme et comme un élément nullement gêné par celui-ci : « Les préceptes de l'amour provençal, sa morale, son caractère adultère, sont absolument irréconciliables avec l'enseignement de l'Église. Pour les troubadours, l'amour adultère tel qu'ils le concevaient n'était pas condamnable et ne représentait pas un péché. La contradiction fondamentale entre la morale chrétienne et leur amour, entre la théologie et leur idéologie amoureuse, ne créait pas un conflit dans les cœurs » (p. 13). Il y aurait eu ainsi dès le xne s., et comme par anticipation, un premier essai de coexistence de deux morales contraires, qui se déploiera au siècle suivant dans le mouvement philosophique de l'averroïsme latin. Psychologiquement et moralement, il s'agit d'un phénomène de libération de l'esprit et de la reconnaissance du droit au bonheur par la libre disposition de son corps, phénomène dont les premières bénéficiaires furent les femmes du Midi, plus « aliénées » (p. 12) peut-être que d'autres, mais aussi plus indépendantes à l'égard de leurs maris ; socialement il s'agit d'un phénomène limité à l'aristocratie, qui fournit les premiers troubadours, mais trouve, à partir de 1150 environ, dans le chômage des clercs, les serviteurs zélés, parce que intéressés, du nouvel idéal moral (p. 15). On voit par ces thèses, qui ne sont pas nouvelles, que l'auteur ne vise pas à l'originalité à tout prix, son travail tentant seulement « une mise au point critique » (p. 18) sur les textes qu'il a choisis : la lyrique des troubadours (p. 21-148), le roman de Tristan (Béroul, Thomas, les deux Folies) [p. 149-173], les lais de Marie de France (p. 174-198), l'œuvre romanesque de Chrétien de Troyes, à l'exception du Perceval (p. 199-256), avec en outre deux appendices consacrés, le premier à la fine amour chez les trouvères (p. 258-267), le second à la finamors codifiée par André Le Chapelain (p. 268-278). Les chapitres du livre obéissent tous à un même schéma : sur un florilège de passages jugés pertinents, M. Lazar procède à uploads/Litterature/ paul-imbs-de-la-fin-x27-amor.pdf
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- Publié le Jul 11, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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