PIERRE MICHEL JANER CRISTALDO ET LE JARDIN DES SUPPLICES Plusieurs années avant
PIERRE MICHEL JANER CRISTALDO ET LE JARDIN DES SUPPLICES Plusieurs années avant Glauco Mattoso, auteur d’un « Sonnet naturaliste » inspiré par Le Jardin des supplices1, c’est un autre écrivain brésilien, Janer Cristaldo, qui a consacré à la même œuvre tout un passage d’un de ses romans au titre un peu énigmatique pour les Français, Ponche Verde2. Commencé à Paris en 1980, achevé à Florianopolis en 1985, il a été publié à Rio de Janeiro en 1986, chez Nórdica. Mais qui est Janer Cristaldo ? Fort connu au Brésil, où il participe à maintes polémiques et où ses chroniques sur Internet, EleCrônicas, suscitent d’abondantes et contrastées réactions, il l’est fort peu en France, où il a pourtant passé plusieurs années et soutenu en 1981, une thèse de troisième cycle à la Sorbonne sur La Révolte chez Ernesto Sábato et Albert Camus3. Il est né en 1947 à Santana do Livramento, dans le Rio Grande do Sul. Après des études de droit et de philosophie, il a entamé, en 1969, une carrière de journaliste à Porto Alegre, puis, en 1971, il a fui « le pays du football et du carnaval » et s’est exilé en Suède, où il a poursuivi des études de cinéma, et d’où il a tiré la matière de son premier volume, Le Paradis social-démocrate (1973), puis en France, grâce à une bourse du gouvernement français. Plus, à vrai dire, par dilettantisme, par amour du voyage et pour goûter « les vins, les fromages et les femmes », comme il l’avoue avec une franchise non dénuée de provocation4, que pour poursuivre sérieusement des recherches approfondies. De retour au Brésil après la soutenance de sa thèse, il est professeur à l’université de Florianopolis pendant quatre ans, qui lui laissent un goût d’amertume, puis enseigne à l’ Institut de Cooperation Iberoamericain de Madrid pendant six mois, grâce à une bourse espagnole, et par la suite mène parallèlement une carrière de journaliste (il a été pendant dix-huit mois rédacteur de politique internationale dans un quotidien de São Paulo) et de traducteur polyglotte : du suédois, il a traduit Maria Gripe et Olof Johansson ; du français, Michel Déon et Michel Tournier (Gilles et Jeanne) ; et. de l’espagnol, Borges et Bioy Casares, Camilo Cela et José Donoso, et surtout la quasi-totalité de l’œuvre d’Ernesto Sábato. Après Ponche Verde, sa première fiction, il a publié encore un roman (Laputa) et des essais : Engenheiros de Almas.[“ingénieurs d’âmes”], sur son 1 Voir notre article « Glauco Mattoso et Le Jardin des supplices », Cahiers Octave Mirbeau, n° 12, 2005, pp. 286-290. 2 Ce roman est accessible en ligne depuis avril 2006 : http://www.ebooksbrasil.org/eLibris/ponche.html. C’est à cette édition électronique que sont empruntées les citations que j’ai traduites, mais elle n’est pas paginée, ce qui ne permet pas d’en donner précisément les références. 3 Cette thèse a été traduite en portugais et publiée au Brésil sous le titre Mensageiros das Fúrias – Uma Leitura Camusiana de Ernesto Sábato [“Messagers des furies – Une lecture camusienne d’Ernesto Sábato”]. La version portugaise, de 128 pages, est également accessible sur Internet : http://cultvox.locaweb.com.br/frame_universia.asp? IDParceiro=4&Pagina=http://cultvox.locaweb.com.br/download.asp? File=http://cultvox.locaweb.com.br/livros_gratis/mensageiros_furias.pdf. 4 Voir son interview par Guilherme Alpendre : http://br.geocities.com/sitecristaldo/entrevistaalpendre.htm. compatriote Jorge Amado, qu’il n’aime guère, Flechas Contra o Tempo [“flèches contre le temps”], Crônicas da Guerra Fria [“chroniques de la guerre froide”], mises en ligne sur son blog, et A Vitória dos Intelectuais [“la victoire des intellectuels”]. Il collabore actuellement à plusieurs sites Internet et alimente quotidiennement son blog (http://cristaldo.blogspot.com/), parce qu’il est convaincu que « le secret de l’indépendance de pensée réside aujourd’hui dans Internet ». Autant que j’aie pu en juger, Janer Cristaldo est aussi “politiquement incorrect” que Mirbeau, et il est lui aussi un démystificateur patenté, qui risque fort, ce faisant, de se mettre à dos bien des ennemis de tous bords. Esprit libre, revenu de toutes les idéologies, allergique à la langue de bois, fût-elle étiquetée “de gauche”, réfractaire à tous les dogmes et à toutes les propagandes, hostile à toutes les « églises politiques ou idéologiques », qu’elles soient marxistes ou chrétiennes5, il considère que la vérité est toujours bonne à dire, dût-elle susciter le scandale, et il fait preuve d’une lucidité désespérée6 et d’un esprit critique impitoyable, qui ne manquent pas de susciter la polémique : ainsi n’a-t-il jamais partagé les illusions (et la bonne conscience) des communistes, brésiliens autant qu’européens, sur l’U.R.S.S., la Chine et Cuba et, après George Orwell, un de ses auteurs de prédilection, a-t-il dénoncé avec constance toutes les dictatures, sous quelques étiquettes qu’elles se présentent, ce qui, encore aujourd’hui, choque la “bien-pensance de gauche” des indécrottables nostalgiques7. Comme Mirbeau, il dénonce la vénalité et la soumission d’une presse aliénante, et ce n’est qu’avec un profond dégoût qu’il a pratiqué un temps le métier de journaliste, qu’il assimile également à celui des prostituées8, et qui, de son propre aveu, l’a fait vomir quotidiennement9. Comme Mirbeau, il est radicalement athée et anti-chrétien, voyant dans les monothéismes en général « l’origine de la majorité des guerres10 », et dans le christianisme en particulier un « facteur de misère pour le tiers monde », un poids étouffant et totalement inutile pour l’individu, « l’institutionnalisation d’une paranoïa », et un ensemble de croyances tout juste bonnes pour 5 Il considère néanmoins que le marxisme a été une doctrine moins « funeste » que le christianisme, puisqu’il « est mort en moins d’un siècle », alors que « le christianisme et ses variantes jouissent d’une bonne santé après deux mille ans » (interview de 2005, http://br.geocities.com/sitecristaldo/entrevistacanecaum.htm). Deux ans plus tard, il précise sa pensée sur le christianisme : « C’est une doctrine plus perverse que le marxisme. Le marxisme dépend de la force pour être inculqué dans les esprits. Le christianisme, lui, est insidieux : il s’insinue dans les esprits » (http://opequenoburgues.org/colunistas/entrevistas/entrevista:_janer_cristaldo/, 20 janvier 2007). Toutes les traductions des extraits d’interviews sont également de moi. 6 Pour Janer Cristaldo, le désespoir semble inhérent à la nature humaine : « Aucun homme n’est assez sublime pour ne pas comporter le désespoir », écrit-il dans Ponche Verde. 7 Janer Cristaldo écrit par exemple, dans Ponche Verde : « Les intellectuels français défendaient le socialisme en Asie, en Union Soviétique, en Amérique latine, jamais en France ». De même, il distingue soigneusement « le révolutionnaire luttant contre le pouvoir » et « le révolutionnaire installé au pouvoir ». 8 Dans Ponche Verde, il écrit par exemple : « La professionnelle du trottoir a plus de dignité [que les journalistes], elle loue son corps pendant un moment tout en gardant son esprit libre, alors que nous, nous vendons corps, âme et opinions ; le plus libre des journalistes n’est absolument pas libre, le journal appartient à son chef, et ses pensées aussi. » Rappelant qu’il y a trente mille prostituées à Porto Alegre, ville d’un million d’habitants, il ajoute avec humour: « Je ne sais pas si les journalistes sont compris dans les trente mille »... Comme Mirbeau, il souhaite réhabiliter le dur « travail » social accompli par les prostituées. 9 Dans l’interview citée précédemment, il déclare : « L’obligation de rédiger des textes qui m’indignaient, l’impuissance face à cette obligation, le fait de sentir que j’améliorais des textes qui seraient signés par d’autres, tout cela me donnait la nausée ». Comment ne pas penser au premier conte de Mirbeau, « Un raté » ? 10 Interview par Diogo Chiuso, 2003 : http://br.geocities.com/sitecristaldo/entrevistaexpressionista.htm. les asiles de fous, obligeant en principe jusqu’aux penseurs chrétiens à croire, par exemple, que le pain et le vin consacrés par un prêtre sont réellement, et non symboliquement, de la chair et du sang, ce qui transformerait du même coup les fidèles en « cannibales et hématophages11 »... Comme Mirbeau enfin, il voit dans la littérature « une expression de la révolte », dans le livre la condition d’une véritable culture et dans la contestation de son époque le seul moyen, pour un écrivain, de ne pas produire un vulgaire « divertissement » anesthésiant et de ne pas être condamné au « formol » académique en usage dans les l’universités ; et, à l’instar de notre imprécateur, il se donne pour mission de combattre ce qu’il appelle « la corruption littéraire et universitaire12 ». Quand il écrit son autobiographique roman d’exil, Ponche Verde, Janer Cristaldo tourne la page de ses errances d’exilé volontaire et, de retour au pays natal après avoir beaucoup voyagé à travers l’Europe de l’ouest et de l’est et séjourné en Suède et en France, il sent le besoin de faire le point sur cette dizaine d’années de formation, où il a frotté sa cervelle à celle d’Européens baignant dans une autre culture. Mais, pour nous relater quelques épisodes, symptomatiques et discontinus, de ces pérégrinations, il adopte un système narratif original en inversant la trame chronologique : le roman commence par le chapitre X, où le personnage central retrouve le Chalé, café bien connu de Porto Alegre, et s’achève par le chapitre 0 où, encore adolescent, le jeune gaucho vit dans l’estancia paternelle uploads/Litterature/ pierre-michel-janer-cristaldo-et-quot-le-jardin-des-supplices-quot.pdf
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- Publié le Jui 29, 2021
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