300 Serge Boiirjca Narcisse qui se cherche pour ne pas rencontrer en lui l'Abse
300 Serge Boiirjca Narcisse qui se cherche pour ne pas rencontrer en lui l'Absence de toutes choses. Ecrire un deuil paradoxal : infini/impossible... On pourrait donner du texte valéryen une dernière image qui reprendrait de façon fulgurante tous ces traits et achèverait de leur donner une cohérence. Valéry parlant de son travail dans les Cahiers l'identifie comme un «travail de Péné- lope», visant à «piquer et repiquer» sans fin la «surface tramée» de sa tapisserie, en un geste quelque peu absurde et cependant vital : Mon travail est de Pénélope, ce travail sur ces cahiers... (XII, 606). Or, Pénélope est la Veuve essentielle, d'un veuvage du moins redouté. Elle est celle qui appréhende, sur la mer et au-delà de la mer, la mort de l'être cher, et qui retarde infiniment l'évidence en faisant et défaisant sur son ouvrage la figure du Destin, en y traçant sans cesse ce qui ne se promet qu'à l'effacement : un trait justement in-fini, existant et n'existant pas, illustre et vain, traçant et ne marquant pas. Son texte est réductible au pur canevas, à une simple « broderie » qui vient en ourler le vide régulièrement retrouvé: l'œuvre d'un fil qui « pique et reparaît », mettant ainsi enjeu l'absence et la presence, le Désir et la Mort. Le jeu mortel d'un désir qui voudrait une presence tout en étant condamné à se maintenir dans son oubli... Que dessine Pénélope en son ouvrage? Qu'est-ce qui se trame et se destine dans sa littéralité? Je gage quant à moi que la mère de Télémaque écrit sur sa toile sans fin la mer en son absence, l'oubli de cette mer où s'inscrit la mort possible/impossible, de cette eau funèbre qui «vomira» ou «ravalera» le souvenir défunt. Une mer qui fait de tout ce qu'elle louche une « ruine », de tout ce qu'elle abandonne une « nouveauté » (VIII, 259) : « la mer, la mer toujours recommencée ». Ulysse retrouvé pourrait lire sur la tapisserie le patient poème d'un Cimetière marin. Université de Montpellier III Pierre Missac Aphorisme et paragramme * Exposé des motifs Les pages qui suivent ont avant tout leur origine dans l'extrême rareté en France des études portant sur l'aphorisme. De tout temps, et singulière- ment depuis deux tiers de siècle, l'attention des critiques littéraires, des linguistes et des sémiologues a été accaparée par les formes discursives, narratives, de l'écriture (quand celle-ci n'était pas considérée comme une simple fixation, sans spécificité particulière, du langage parlé). Rien notamment qui approche les études publiées en Allemagne qui, de qualité très différente, ont en commun d'être consacrées aux «formes brèves» (Kurzformen) dont l'aphorisme prétend être la plus riche et la plus accomplie '. Il ne saurait être question de reprendre à notre compte, pour les louer ou les critiquer, les études en cause, mais bien plutôt, en les supposant plus ou moins connues, de les prolonger ou de les compléter. C'est ce que cherche à faire un bref examen des possibilités qu'offre à l'aphoriste l'utilisation de la technique du « paragramme ». Une insuffisance pire encore se constate en français à propos du phénomène du titre. Sauf erreur ou omission, évidemment toujours possibles, les deux seules études qui fassent exception sont celles de Christian Moncelet et de Leo H. Hoek 2. Or, elles sont très loin d'être satisfaisantes, encore qu'elles contiennent toutes deux nombre de rensei- * Le présent article reprend et précise des idées contenues dans une étude (à paraître en allemand) sur le Titre, et plus spécialement le titre de l'aphorisme, étude elle-même extraite d'un livre, en cours de rédaction, consacré à l'aphorisme. Dans toute cette affaire le paragramme, forme dérivée de l'anagramme, n'est pas le personnage principal. Ce qui explique, sinon justifie, le caractère sommaire de la documentation qui est utilisée ici à propos de Saussure et qui fait contraste avec celle présentée par Jan Baetens dans l'étude parue dans le numéro d'avril de Poétique (et que le soussigné ne pouvait connaître en écrivant ces lignes). 1. Le dernier ouvrage publié en Allemagne et consacré à l'aphorisme est, à notre connaissance celui de H. Fricke, Aphorismus, Stuttgart, 1984. On peut se reporter à sa bibliographie et en retenir l'ouvrage de P. Krupka : Der polnische Aphorismus, München, 1976; l'étude de H. Krüger, Studien über den Aphorismus als philosophische Form, Frankfurt, 1957,'et les études de F.H. Mautner en y ajoutant l'introduction aux Œuvres complètes de Lichtenberg, 6 vol., Frankfurt, 1983. 2. Ch. Moncelet, Essai sur le titre en littérature et dans les arts. Ed. Bof, 1972 ; L. H. Hoek, la Marque du titre. La Haye-Paris, Mouton, 1981. 310 Pierre M issue gnemcnts intéressants, à des niveaux différents. En effet, tandis que la première cache sous une désinvolture assez artificielle une information et surtout une réflexion sommaires, la seconde, utilisant pesamment les notions de la grammaire generative et de la dialectique matérialiste, fait bon marché des aspects proprement littéraires qui, pourtant, méritent mieux. 1 1 n'en va pas très différemment en Allemagne, bien que, de Lessing à Adorno, la réflexion sur le titre ait été plus fournie 3. Nulle part la relation qui unit ou peut unir le titre à la forme brève, notamment l'aphorisme, n'est prise en considération, ce qui est regrettable : à la limite, le titre peut être regardé comme une « forme brève », soumise à des principes généraux mais dotée de traits spécifiques; par ailleurs, et surtout, en s'appliquant à un aphorisme, le titre prend un relief - on n'ose dire une dimension! - particulier et ouvre des perspectives parfois inattendues. Dans cette optique il est également dommage qu'aucun spécialiste de l'aphorisme, aphoriste lui-même ou critique, n'ait jusqu'ici, que l'on sache, abordé le problème de l'aphorisme, lié à celui du titre, sous l'éclairage enrichissant que peut leur donner la référence à Ferdinand de Saussure, et cela en fonction moins du Cours que des études de caractère plus « littéraire » qu'il a consacrées à I' « anagramme » dans les poésies grecque et surtout latine. Sur la base des quelque cent cinquante cahiers relatifs à ce sujet, Jean Starobinski a publié une introduction qui sert de base aux présentes réflexions4, dans lesquelles, pour s'adapter au cas spécial de l'aphorisme et de son titre, les idées du linguiste genevois ont dû sinon être violentées ou sollicitées, du moins parfois s'infléchir ou connaître des déplacements d'accent. Un premier point a trait à la terminologie, en particulier ce «gramme» qui est à la fois racine et désinence 5. On sait que pour Saussure tout, ou presque tout, en matière de linguistique repose non sur l'écriture, mais sur la phonie, sur l'ouïe et non sur la vue. Lui-même reconnaît qu'il vaudrait donc mieux pour l'instrument de base parler d'anaphone au lieu d'ana- gramme, ce qu'il ne fait pas car il affecte au premier un autre rôle, celui d'une anagramme imparfaite, reposant sur une allitération partielle et non totale. De ce fait, les autres composés de « phonie », hypophone, para- phone, etc. n'apparaissent pas. La décision sera moins radicale sur un autre point : le préfixe adverbial précédant «gramme», l'heureux élu; ana- gramme est certes moins approprié que paragramme, mais ses nuances et sa malléabilité, sinon sa polysémie, présentent des avantages dans une matière fluctuante. L'hypogramme, forme « spéciale » de l'anagramme, 3. T.W. Adorno, Titel in Noten zur literatur. Œuvres complètes, Frankfurt, 1974, p. 325- 335. 4. J. Starobinski, les Mots sous les mots, Paris, Gallimard, 1971. C'est à ce volume que renvoient dans les pages qui suivent les indications de pages données entre parenthèses sans aut_re mention. Voir aussi P. Wunderli, F. de Saussure und die Anagramme, Tübingen, 5. Du point de vue de la terminologie, sur laquelle on reviendra, il serait à coup sûr bon de l'uniformiser pour toutes les formes dérivées (verbe, adjectif) d'anagramme et de paragram- me, alors que Saussure emploie anagrammisé et anagrammatique : c'est de cette pratique que l'on se rapprochera en utilisant la forme la plus simple pour le verbe et la plus compliquée (en -atique) pour l'adjectif. Iphorisnie et paragramme 303 est aussi employé, justifiant le titre les Mots sous les mots donné par .1. Starobinski à son petit ouvrage. On trouve également, plus rarement, antigramme, logogramme. variations des trois notions de base, qui seronl seules retenues ici avec des sens bien, peut-être trop, délimités: para- gramme désignera le développement (mot auquel on préférera déploie- ment) du thème en variations; hypogramme, le mot-thème dans sa fonction, parfois comme titre, de noyau du paragramme; enfin ana- gramme, traitement possible du mot-thème préalablement à son utilisation en paragramme, c'est-à-dire dans une acception restreinte. Il en sera de même de la notion de « mannequin » (d'abord nommé locus princeps), pour Saussure un mot ou groupe de mots, dont «l'initiale et la finale correspondent à l'initiale et à la finale du mot-thème et en constituent l'indice » (p. 50). alors que l'on verra plutôt en lui une sorte de double ou de doublet du niot-thème qu'il convient précisément d'habiller (voire de déguiser, on le verra). D'autres aménagements uploads/Litterature/ pierre-missac-aphorisme-et-paragramme-pdf.pdf
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- Publié le Oct 01, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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