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PERVERSIONS ET ADDICTIONS : LES AFFINITÉS SÉLECTIVES Gérard Pirlot in Joyce Aïn

PERVERSIONS ET ADDICTIONS : LES AFFINITÉS SÉLECTIVES Gérard Pirlot in Joyce Aïn , Perversions ERES | Hors collection 2006 pages 111 à 133 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/perversions---page-111.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pirlot Gérard, « Perversions et addictions : les affinités sélectives », in Joyce Aïn , Perversions ERES « Hors collection », 2006 p. 111-133. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Vale André Luiz - 201.29.195.97 - 17/04/2014 14h36. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Vale André Luiz - 201.29.195.97 - 17/04/2014 14h36. © ERES Gérard Pirlot, psychiatre, psychanalyste, membre de la Société Psychanalytique de Paris, professeur à l’université de Paris X. « Il suffit de se déclarer libre pour se sentir aussitôt dépendant : si l’on ose se déclarer dépendant, on se sent libre. » J.W . von Goethe (1809), Les affinités électives, Paris, Union générale d’éditions, 1963, coll. « 10/18 », p. 201. L ’ EXTENSION DE L ’EMPIRE DES PERVERSIONS : POINT DE VUE MÉTAPSYCHOLOGIQUE Prolégomènes Notre propos ne présentera pas d’exemples cliniques particu- liers mais s’appuie sur une multitude d’observations tirées de notre pratique quotidienne qui demande à tenter d’élaborer les liens, parfois visibles, mais d’autres fois invisibles et complexes, entre perversion et addiction. Les comportements addictifs mobi- lisent-ils de la libido perverse ? Relèvent-ils de comportements dont l’aspect pervers disparaît sous les effets de leurs consé- quences psychophysiologiques ? L ’adolescent qui commence à s’addicter le fait-il pour fuir ce que la pulsion sexuelle en lui mobi- Perversions et addictions : les affinités sélectives Gérard Pirlot Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Vale André Luiz - 201.29.195.97 - 17/04/2014 14h36. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Vale André Luiz - 201.29.195.97 - 17/04/2014 14h36. © ERES Perversions, aux frontières du trauma… 112 1. F . Gaffiot, Dictionnaire Latin-Français, Paris, Hachette, 1934, p. 1415. 2. P . Quignard, Vie secrète, Paris, Gallimard, 1989, p. 218-219. lise de prégénitalité perverse – en « utilisant autrement celle-ci » – ou, au contraire, pour « jouer » cette libido perverse en dissolvant, par le comportement et le produit addictif, un surmoi interdicteur (il est connu que « le surmoi se dissout dans l’alcool ») ? D’un autre côté, le pervers sexuel est-il « addicté » à sa conduite transgressive ? Ces questions sont difficiles et j’ai conscience de ne pas pouvoir répondre tout à fait aux problèmes cliniques et métapsychologiques qu’elles soulèvent. Néanmoins il me faut tenter d’articuler ce que ces concepts (perversion et addic- tion) recèlent de commun et de différent pour approcher les « croisements » dont ils sont l’objet et que la métapsychologie freudienne peut éclairer. Perversion et séduction : étymologies L ’extension du concept de perversion au-delà des pratiques sexuelles, y compris dans la problématique des addictions, sa légi- timité dans le champ de la psychopathologie quotidienne, impli- quent de rappeler son étymologie. Ce terme vient du latin « per- vertere » signifiant retourner, renverser, au départ une construction puis, avec une connotation péjorative, les mœurs elles-mêmes : « perversitas » désigne l’extravagance, l’absurdité, la corruption, le dérèglement, la dépravation. On retiendra de ces définitions origi- nelles, l’idée de sortir de la mesure, de renverser, de détourner. Rappelons ici, puisque nous en sommes à l’étymologie, que l’idée de « détourner » se retrouve également dans le mot « séduc- tion » : « seductio » c’est, en latin, « prendre quelqu’un à part » ou encore « séparer ». Le mot vient de « seduco », « emmener quelqu’un à l’écart », « le tirer à soi 1 ». « Seducere », ajoute Pascal Quignard, « est un ancien verbe romain qui veut dire conduire à l’écart. Tirer à soi hors du monde. C’est être dux (deux) à part. Royaume de l’ailleurs. Séduire est le contraire d’épouser. En romain se marier est dit ducere, emmener. Ducere uxorem domum, emmener l’épouse en la maison, chez soi. Se-ducere au contraire, c’est séparer une femme de la domus, c’est l’emmener à l’écart, dans le secretus, tout d’abord dans le “hors de chez soi”, ensuite dans le “à l’écart des autres hommes” 2 ». Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Vale André Luiz - 201.29.195.97 - 17/04/2014 14h36. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Vale André Luiz - 201.29.195.97 - 17/04/2014 14h36. © ERES Perversions et addictions : les affinités sélectives 113 3. G. Pirlot, J.-L. Pedinielli, Les perversions sexuelles et narcissiques, Paris, A. Colin, 2005. 4. « Sub-version » rime avec « pèr(e)-version », c’est-à-dire, sans être lacanien, comme autant de possibilités de contourner la « version » la plus élaborée d’une hiérarchie organisationnelle ou d’un « ordre » quelconque (social, biologique, sexuel, etc.) : œdipienne et génitale dans le psychique, différence des sexes et des générations, loi dans le système symbolique social, grammaire dans la langue, etc. Ainsi « se-ducere », séduire conduisant à « détourner » rejoint le « détournement » et le « retournement » propre à l’idée de « per- versitas » définie plus haut . Littré, en 1875, définit la perversion en l’appliquant également à la physiologie : « Perversion : changement de bien en mal… » Est ainsi pervers, ce qui va détourner une règle, une loi, un fonctionne- ment (qu’il soit psychique, social ou physiologique !), un processus pour un surplus de plaisir, de jouissance, parfois à l’insu du sujet lui- même. Je laisserai ici de côté les quelques mises au point historiques, judiciaires, psychiatriques et épistémologiques que j’ai pu déve- lopper ailleurs concernant les perversions sexuelles 3, non sans d’emblée souligner que les difficultés cliniques et théoriques liées à la description des conduites sexuelles perverses proviennent du fait d’une sexualité humaine qui s’est éloignée, par sub-version 4, de la sexualité instinctuelle de l’animal ; la « psychosexualité » diphasée (sexualité infantile puis sexualité génitale survenant avec la puberté) de l’homme est tributaire de sa prématurité, du pul- sionnel, de certains « complexes » infantiles, des stades d’évolu- tion prégénitale de la libido et de l’impact affectif de l’environne- ment familial, culturel. La « perversité » de la libido est donc inscrite, du point de vue psychanalytique, dans sa genèse, ses investissements, ses retraits d’investissement, sa plasticité, ses régressions et ses mouvements divers y compris sur les relations ego-alter (perversions narcis- siques) ou encore les fonctions somatiques dont elle peut « détourner » les rythmes et les activités. Perversion transitoire à l’adolescence Le terme de perversion transitoire est intéressant car il permet de faire un premier lien entre des conduites addictives qui com- mencent volontiers à l’adolescence, et des pratiques que l’on peut Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Vale André Luiz - 201.29.195.97 - 17/04/2014 14h36. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - Vale André Luiz - 201.29.195.97 - 17/04/2014 14h36. © ERES Perversions, aux frontières du trauma… 114 5. F . Ladame, « Adolescence et solution perverse », RFP, 61, 1992, p. 1679-1684. 6. C. Balier, Psychanalyse des comportements sexuels violents, Paris, PUF, 1996. 7. P .-C. Racamier, « Le génie des origines », Psychanalyse et psychoses, Paris, Payot, 1992. 8. J. Laplanche, Vie et mort en psychanalyse, Paris, Flammarion, 1970. qualifier de perverses qui apparaissent également pendant cette même période, lors de réorganisations ou de moments patholo- giques : après des phases délirantes ou dissociatives, des moments d’errances et de passages à l’acte, voire d’une thérapie… En effet à l’adolescence, par exemple, la pulsion sexuelle qui s’accom- pagne d’une quête objectale, représente un réel enjeu antinarcis- sique : après la puberté, l’érotisme passe en effet de l’autoérotisme à l’amour d’objet (sexuel), ce qui oblige l’adolescent à certaines « négociations » avec son narcissisme. De ce fait, la « perversion transitoire » peut représenter une régression sur des points de fixa- tion permettant de retrouver une omnipotence (déni de la castra- tion 5), ce que tenteront de faire également nombre d’addictions, nous y reviendrons. Perversion/perversité, séduction sexuelle/narcissique Le « pervers-perversité » (C. Balier 6) ou le « perversif » (P .-C. Racamier 7) exerce sa domination sur l’objet (sexuel ou pas) par la séduction : il peut ainsi ériger la pédophilie en système de vie et se justifier aux yeux de tous en restant totalement inacces- sible à la culpabilité, et même en se donnant une singularité. C’est ici le narcissisme à l’état pur qui organise une personnalité redou- tablement séductrice mais aussi destructrice et habile à saisir les réactions et uploads/Litterature/ pirlot-g-perversions-et-addictions-les-affinites-selectives.pdf