DONNER LA PAROLE AUX SANS-VOIX Serge Martin Armand Colin | « Le français aujour
DONNER LA PAROLE AUX SANS-VOIX Serge Martin Armand Colin | « Le français aujourd'hui » 2005/3 n° 150 | pages 79 à 89 ISSN 0184-7732 ISBN 9782200920722 DOI 10.3917/lfa.150.0079 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2005-3-page-79.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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J’aimerais d’une part souligner l’intérêt qu’il y a à ouvrir un enseignement conflictuel de la lecture des œuvres et d’autre part montrer qu’il serait dangereux de confondre débat et subjectivisme sous peine de voir revenir au galop l’autoritarisme et son vernis moraliste. La lecture de ces programmes1 et les prescriptions et formations qui les ac- compagnent engagent donc une réflexion sur le sens du sens dans le rap- port lecture-écriture : il semble alors que dans les stratégies du sens et des lectures-écritures en présence, la conceptualisation de la voix soit un révé- lateur précieux. Entre les voix de l’interprétation et les voix du texte, les voix autorisées et les voix inexpérimentées, les voix bruyantes et les voix si- lencieuses, les voix conversantes et les voix de la sous-conversation… bref, entre les voix il y a les voix entre, les voix de passage, les voix-relations. Cel- les qui à la fois rappellent que « dans le langage, c’est toujours la guerre » (O. Mandelstam) et que « le langage sert à vivre » (É. Benveniste). C’est à quelques activités qui font de la voix un problème critique que cette ré- flexion voudrait ouvrir pour que s’entendent au mieux les enjeux du « débat interprétatif » à l’école. Les voix alléguées : instrumentalisation ou invention ? La construction d’une culture commune par la fréquentation des œuvres littéraires est un objectif décisif pour l’école fondamentale. Ce qui implique une politique et une éthique du sujet qui ne peuvent que continuer une poétique du sujet. Une telle implication réciproque passe par le continu du sujet de l’œuvre, du sujet de la lecture et du sujet élève(s) – ce dernier étant lui-même la tenue du continu de l’individu et du collectif, de l’histoire individuelle et de la dynamique collective dans la classe, dans l’institution d’enseignement. C’est donc à l’interaction précise des processus d’in- dividuation individuel et collectif que doit se penser le processus de subjectivation : de ce point de vue, la voix constitue un opérateur concep- tuel inévitable puisqu’il mêle étroitement une dimension politique et une 1. Ministère de l’Éducation nationale, Qu’apprend-on à l’école élémentaire ?, Paris, Scéren, CNDP , 2002. © Armand Colin | Téléchargé le 25/04/2022 sur www.cairn.info via Université de Lausanne (IP: 130.223.6.95) © Armand Colin | Téléchargé le 25/04/2022 sur www.cairn.info via Université de Lausanne (IP: 130.223.6.95) Le Français aujourd’hui n° 150, Voix. Oralité de l’écriture 80 dimension éthique dans une pensée de la pluralité et de l’unicité pour la spécificité. Cet opérateur permet de tester des notions qui tiennent le haut du pavé dans la réflexion didactique : « horizon d’attente », « communauté interprétative » et leurs constellations métaphoriques (« habitus », « limites de l’interprétation », « dialogue des textes », « textes résistants, proliférants » etc.). Quand la métaphore l’emporte, la voix, c’est-à-dire le sujet, disparait : la subjectivation est rendue à l’inaudible, à l’invisible, à l’impos- sible même… quand elle ne l’est pas au définitivement perdu dans une opération de renversement habituelle aux instrumentalismes langagiers qui oscillent entre le fantasme de la perte et son (dé)chant d’une part, la natu- ralisation du réel rendu à l’ordinaire d’autre part. Si l’on s’en tient à l’utilisation du terme, il intervient dans les pro- grammes du cycle 3 à ce passage : « La pratique de la voix est au cœur des activités musicales comme du théâtre ou de la poésie » (p. 160) ; plus avant, la compétence est reformulée clairement : « mettre sa voix et son corps en jeu dans un travail collectif portant sur un texte théâtral ou sur un texte poétique » (p. 173). Il est bien évidemment employé dans le syntagme traditionnel qui met la voix dans la diction réservée d’abord aux textes poétiques : « dire à haute voix un texte poétique qui a été lu et travaillé » (p. 168), puis apparemment élargie : « en situations d’exercice […] lire à voix haute tout texte utile à l’avancée du travail » (p. 171) et « en toute situation […] oraliser des textes (connus, sus par cœur ou lus) devant la classe pour en partager collectivement le plaisir et l’intérêt » (ibid.). Conceptualisation triple qui distingue lecture à voix haute, orali- sation et diction : s’agit-il d’un continuum ou d’une organisation hiérar- chisée qui va de la restitution à l’interprétation en passant par la compréhension rendue audible (« lecture expressive », disaient les anciens programmes de l’école) ? Deux compétences relevant du « parler » en littérature précisent cette dernière étape : « être capable de restituer au moins dix textes (de prose, de vers ou de théâtre) parmi ceux qui ont été mémorisés ; dire quelques-uns de ces textes en en proposant une interpré- tation (et en étant susceptible d’expliciter cette dernière) » (p. 173). Où la typologie textuelle mêle les genres (roman, poésie, théâtre) aux formes (les proses, les vers, les dialogues2) occultant le fait que genres et « formes » ne sont pas assimilables puisqu’elles ne se recouvrent jamais terme à terme ! Les « lectures à haute voix (du maitre ou des élèves) » (p. 185) accompa- gnent les « lectures silencieuses » et constituent un moment essentiel des « rencontres avec les œuvres » en permettant « d’affermir la compréhen- 2. J’utilise le pluriel mais les programmes utilisent, semble-t-il, le singulier homogénéisant des écritures dans des formes elles-mêmes rendues à l’homogène quand l’empirique des lectures obligent à pluraliser, et justement à chercher les valeurs toujours singulières et sur- tout à écouter les voix qui ne peuvent tenir dans des formes prédéfinies : la prose des vers et/ou des dialogues en fait souvent le récitatif, c’est-à-dire le continu d’une voix ; par quoi il y a des proses et jamais la prose. Et qu’on arrête avec la dichotomie intenable de la prose et de la poésie ! N’oublions pas, non plus que l’alexandrin (qui est un 6-6) de Racine n’est pas celui des drames hugoliens, et que ce sont des dialogues… On voit combien la confu- sion règne quand on oublie les œuvres et les lectures. © Armand Colin | Téléchargé le 25/04/2022 sur www.cairn.info via Université de Lausanne (IP: 130.223.6.95) © Armand Colin | Téléchargé le 25/04/2022 sur www.cairn.info via Université de Lausanne (IP: 130.223.6.95) « Donner la parole aux sans-voix » 81 sion de textes complexes, sans pour autant s’enfermer dans des explications formelles difficilement accessibles à cet âge » (ibid.). Est réaffirmé à cette occasion le statut privilégié des « œuvres poétiques et théâtrales » pour les « transmettre au public de leurs camarades ou à un public plus large » en vue d’une « mise en voix » et « en scène des textes » (ibid.). Mais on a oublié entretemps que la voix haute a ses silences et que la silencieuse est pleine de voix qui doivent s’entendre (pas seulement dans la subvocalisa- tion…). Quand aux mises en voix, si elles oublient la voix, elles oublient le poème, le texte et font entendre au mieux des clones télévisuels, des échos culturels trop bien identifiés et au pouvoir identifiant redoutable (du cabotinage enfantin aux singeries fabuleuses d’une Star Academy… adap- tées au show-biz scolaire de fin d’année…). Si l’on passe sur la confusion apparente de ces programmes, il semble bien qu’il y ait au fond deux « voix » qui soient conceptualisées ou que la voix le soit doublement : la voix y est un instrument de transmission et d’interpré- tation du sens. De transmission quand le sens est monosémique et d’inter- prétation quand il est polysémique… Ce qui repose donc sur un fonction- nalisme double : uploads/Litterature/ artigo-martin-donner-la-parole-aux-sans-voix 1 .pdf
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- Publié le Dec 26, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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