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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Marthe Gonneville Études françaises, vol. 18, n° 3, 1982, p. 21-34. Pour citer cet article, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/036769ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 3 October 2011 07:19 « Poésie et typographie(s) » Poésie et typographie(s) MARTHE GONNEVILLE Depuis un siècle au moins, les écrivains — poètes surtout — portent un intérêt particulier et de plus en plus actif à la conception et à la réalisation plastique de leurs écrits, à la mise en forme et en page(s) de leurs oeuvres, à la présentation visuelle de leurs travaux, en un mot : à la matérialité du texte et du livre. Mise en espace du texte (Un Coup de dés de Mallarmé), figuration du poème (les Calligrammes d'Apollinaire), composition, mise en pages et impression personnelle/personnalisée (ouvrages de G.-L. Mano ou de R. Giguère), association du poème et de la gravure (Éluard et Léger, Miron et Bellefleur), utilisation ludique des lettres et des caractères (le Glossaire... de Leiris et le Compact de M. Roche), fabrication de livres-objets ou objets-livres (l'Abécédaire de Giguère et Tremblay, les boîtes de Ben), conception du manuscrit même en fonction d'une édition et d'un lecteur-voyeur (la Fabrique du pré-texte de Ponge), recherches scripto-graphiques (celles de P. Chamberland et de P.-M. Lapointe) illustrent quelques relations possibles entre poésie et visuel. Les futuristes, les dadaïstes, les surréalistes, les formalistes russes, les lettristes, les oulipistes, les auteurs de poésie concrète ont posé quelques autres jalons, parmi les plus fameux, de cet intime commerce entre espace et poésie. * Plusieurs poètes — et des plus grands — ont écrit des pages lumineuses sur le sujet : Claudel, Valéry, Reverdy, Butor, 22 Études françaises, 18,3 personnellement impliqués dans une aventure tangible et complémentaire. De plus en plus aussi, critiques et théoriciens s'intéressent aux divers rapports qu'entretiennent la lettre et le sens, le signe et l'image, le mot et l'imprimé, le poème et la page — et consacrent des travaux à un aspect ou l'autre de la question ou à l'œuvre exemplaire d'un poète (Lyotard dans Discours, figure, se penche sur le Coup de dés; Christin, Laufer, Meschonnic et même Ruwet abordent le sujet dans certains articles de revues1.) Il n'est pas dans mon intention ni dans mes ressources ici de dénombrer, d'analyser et d'évaluer toutes les relations concevables (ou même déjà réalisées) de la typographie avec la poésie, encore moins de l'espace plastique avec l'espace textuel; mais je voudrais montrer certains liens, parmi les plus intéressants, qui les ont déjà unies. Pendant des siècles — sauf quelques rares exceptions qui d'ailleurs ne ressortissent pas souvent à la poésie (voir Rabelais et sa fameuse bouteille, Restif de la Bretonne et Beaumarchais, typographes, Balzac et quelques autres) — on ne s'est pas tellement préoccupé de la «bonne forme» des lettres, c'est-à-dire de la typographie, alors que depuis toujours, pourtant, l'aspect visuel du poème est très particulier : division en strophes, longueur des vers, etc. Jusqu'à Mallarmé, en fait, on ne s'est pas ou peu soucié des possibilités que la typographie pouvait offrir à l'élaboration ou à la transcription d'un poème et, partant, à sa lecture ou même sa réception... Mais pour être bien honnête, disons que dès 1806, un certain Boismade et en 1840, un Nicolas Cirier avec ses calligrammes — car Apollinaire n'en est pas l'inventeur — un Lewis Carroll en 1865, un Gottfried Keller avec ses associations alphabétiques de 1867 et même un Rodenbach qui, en 1887, pense «la mise en page du livre comme l'orchestration d'une affiche», tous tentent des expériences qui préparent et annoncent la révolution typographique... de Mallarmé2. Oui, c'est vraiment Un Coup de dés qui tirera le premier coup de canon annonçant la révolution du livre. La plupart des textes 1. Christin, A.-M., «L'écrit et le visible», les Cahiers Jussieu 3, l'Espace et la lettre, n° 1180, 10-18; Laufer, R., «Texte et typographie», Littérature 8, octobre 1978; Meschonnic, H., «L'enjeu du langage dans la typographie», Littérature 35, Poâiques et Poésie, octobre 1978; Ruwet, N., «Blancs, rimes et raisons. Typographie, rimes et structures linguistiques en poésie», Revue d'esthâique, Rhâoriques, sémiotiques, 1979/1-2, n° 1324, 10-18. 2. La révolution typographique depuis Mallarmé est le titre d'un assez mauvais ouvrage de Jacques Damase publié en 1966 par la Galerie Motte de Genève. Néanmoins, ce livre a le mérite de présenter une iconographie abondante et intéressante. Poésie et typographie(s) 23 importants de poètes ou théoriciens écrivant sur le sujet font commencer leurs réflexions ou leurs études par ce texte — en tous cas, aucun de ces textes n'omet cette date : 1897 — que ce soit Claudel, Valéry, Butor ou Lyotard, tous y vont de leur hommage ou de leur interprétation. Inutile d'ajouter ici au concert de louanges; je ne ferai que montrer et souligner la présence de la typographie dans ce premier texte où le poète ne se contente pas d'écrire son poème sur des vers dont le cadre est prévu, la longueur imposée, l'allure immédiatement reconnaissable. Il devait être assez déroutant en effet, pour un lecteur du temps, ce texte de dix pages où les mots plutôt que d'être gentiment disposés sur la page, l'un à côté de l'autre, sans autres espaces que ceux convenus, étaient distribués apparemment de façon arbitraire sur les deux pages considérées comme une seule, c'est-à-dire sans recto verso (ce qui va à l'encontre de la typographie orthodoxe), avec certains vocables trônant tout seuls au beau milieu d'une page plus blanche que noire, imprimés en dix caractères différents, mêlant la grande capitale à toutes sortes de variétés de bas de casse, autant romains qu'italiques. De plus, ce texte n'était pas ponctué et coulait (presque au pied de la lettre : voyez le naufrage, en certaine page), très fluide, en une seule longue phrase, comme s'il se fût agi d'un seul long vers. Qu'avait apporté ici l'appareil typographique que de coutume le poète ne songeait pas à lui demander? Une simple parure, ornement, parergon (au sens où Derrida l'emploie, c'est-à-dire hors-d'œuvre, décoration comme le vêtement sur une statue, l'encadrement pour un tableau)? Pourquoi le poète avait-il eu recours à elle? Simple fantaisie? Improvisation intéressante? Curiosité intellectuelle? Jeu de hasard? Recherche d'esthète? Volonté de faire nouveau? «Semis de fioritures», comme il le dit lui-même? Mallarmé a présenté lui-même son texte dans une Préface où il est bien conscient de l'innovation de son entreprise; mais, en même temps, il veut tout de suite rassurer son lecteur en lui disant que «le tout est sans nouveauté qu'un espacement de la lecture». Pourquoi cet espacement? Pour deux raisons au moins : a) pour «mettre en scène les subdivisions prismatiques de l'Idée» et b) pour «maintenir le lecteur en haleine, avec appel à sa puissance d'enthousiasme». D'abord, il prend la page — et souvent même deux pages — comme Unité et répartit les éléments de façon architecturée, rythmée (comme une partition). Les vides et les pleins, les blancs et les caractères, il les imagine en vue d'un endroit spécial (cela se passe dans la conception même du poème : il n'a pas d'abord écrit le poème de 24 Études françaises, 18,3 façon normale puis l'a distribué sur la feuille — mais trouvé les mots et leur place en même temps); quelques années avant de l'écrire, il avait rêvé ce poème (voir le Livre, instrument spirituel). Les blancs, ici, ont plein pouvoir, remplissent la fonction de signes de ponctuation, opèrent les transitions d'une image à une autre, entraînent une immense interrogation dans l'esprit du lecteur (en fait, ni les vides ni les pleins ne sont significatifs : ce sont leurs rapports qui le sont); les grosseurs de caractères soulignent la plus ou moins grande importance des groupes de mots (la phrase principale, c'est-à-dire le titre du poème, est en grosses capitales éparses). UN COUP DE DÉS JAMAIS N'ABOLIRA LE HASARD — comme la main droite joue le thème d'une pièce musicale; puis, en petites capitales, on a l'explication — et les dérivés sont en bas de casse — le premier tiers : tout en romains; le deuxième : en italiques (comme une incluse, une digression, un discours au deuxième degré, comme un emprunt secret) et la dernière partie : en romains. Cette graduation des pages, cette proportion recherchée, cette disposition de «buissons typographiques» (j'emprunte le mot à Ponge), d'agglutinés et de trous, offre l'avantage de porter son propre rythme, l'imposant au lecteur qui s'arrête plus longtemps aux mots importants ou court sur les phrases fuyantes, traversant la page de biais, empruntant un chemin de traverse uploads/Litterature/ poesie-et-typographie.pdf

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