Pratiques Linguistique, littérature, didactique 191-192 | 2021 Théâtre contempo
Pratiques Linguistique, littérature, didactique 191-192 | 2021 Théâtre contemporain : Écritures et Représentations Qu’est-ce qu’une approche dramaturgique d’un texte de théâtre ? What is a dramaturgic approach to a theatre text? Joseph Danan Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/pratiques/10990 DOI : 10.4000/pratiques.10990 ISSN : 2425-2042 Éditeur Centre de recherche sur les médiations (CREM) Référence électronique Joseph Danan, « Qu’est-ce qu’une approche dramaturgique d’un texte de théâtre ? », Pratiques [En ligne], 191-192 | 2021, mis en ligne le 15 octobre 2021, consulté le 03 janvier 2022. URL : http:// journals.openedition.org/pratiques/10990 ; DOI : https://doi.org/10.4000/pratiques.10990 Ce document a été généré automatiquement le 3 janvier 2022. © Tous droits réservés Qu’est-ce qu’une approche dramaturgique d’un texte de théâtre ? What is a dramaturgic approach to a theatre text? Joseph Danan La dramaturgie est une pratique 1 La dramaturgie est une pratique : énoncer cette assertion invite à replacer cette pratique au sein de l’activité théâtrale, aux côtés d’autres pratiques auxquelles elle est reliée, telles que le jeu d’acteur, la scénographie ou la mise en scène. En même temps que nous proposerons une approche de cette pratique, nous garderons à l’esprit la question de sa possibilité ou de son adaptation dans un cadre scolaire lorsque celui-ci ne comporte pas structurellement une dimension pratique, comme c’est le cas dans les classes de spécialité ou d’option théâtre, ou encore dans un atelier. Il appartiendra à chaque enseignant·e de penser les modalités de son intégration à la classe de français (ou d’une autre discipline) afin que, lorsqu’un texte de théâtre est à l’étude, celle-ci ne se confonde pas avec une « explication de texte ». 2 Mais sans doute convient-il, avant toute chose, de rappeler que le mot « dramaturgie » a deux sens principaux (Danan, 2017 [2007]). Le premier, canonique, désigne la composition d’une pièce de théâtre et renvoie au travail du dramaturge-écrivain. Dans cette acception, la dramaturgie est inscrite dans l’œuvre, inhérente à la structuration des « catégories dramaturgiques » que sont le développement de l’action, les personnages, l’espace, la temporalité, le statut de la parole (Ryngaert, 1991). Le second sens, plus récent, désigne une activité qui précède ou accompagne le passage à la scène d’une œuvre dramatique. Elle est accomplie par un dramaturge (un dramaturg, pour évoquer son origine germanique) qui n’est pas l’auteur de la pièce mais un collaborateur·rice du metteur·se en scène (lorsque celui-ci n’est pas son propre dramaturge). C’est ainsi que s’est imposée une formule surprenante pour le profane : Qu’est-ce qu’une approche dramaturgique d’un texte de théâtre ? Pratiques, 191-192 | 2021 1 oui, il m’est arrivé de « faire la dramaturgie » d’une pièce de théâtre que je n’avais pas écrite. Néanmoins, la question se pose du rapport entre cette dramaturgie seconde et la dramaturgie interne de l’œuvre qu’elle doit nécessairement prendre en compte. Tout le travail consiste à aller de l’une à l’autre – du repérage à l’interprétation, pourrait-on dire. Plus justement, comme nous pourrons l’observer, c’est un aller-retour permanent. 3 En quoi consiste la pratique de la dramaturgie, dans ce sens second qui est celui qui nous intéressera ici ? Cette pratique ne se laisse pas aisément saisir, d’abord parce que, comme toute pratique, elle demande pour cela à être exercée ; ensuite parce qu’elle est hybride, entendons par là qu’elle fait appel, comme nous le verrons, à différents savoirs ; enfin parce qu’elle n’est pas uniforme. Autant de dramaturges (ou, plus justement, autant de duos dramaturge / metteur·se en scène), autant de pratiques différentes de la dramaturgie. Nous nous efforcerons cependant de dégager des constantes ou, du moins, des possibles. 4 Ce qui suit consistera donc en la mise au jour de ces possibles, un peu à la manière dont on ouvrirait une boîte à outils dans laquelle il appartient à chacun de puiser les outils qui lui conviennent, en fonction de la pièce travaillée et du cadre pédagogique dans lequel elle l’est, tout comme il ou elle le ferait, dans l’optique d’une « vraie » pratique théâtrale, en fonction de l’œuvre à monter et du projet de mise en scène, ainsi que du contexte spatio-temporel de la création. En effet, une approche dramaturgique d’un texte de théâtre est une approche qui considère ou interroge ce texte dans son rapport à une représentation, si possible effective, du moins, dans le cadre du cours de français, potentielle. On peut le dire autrement : une approche dramaturgique lève les questions qu’une pièce de théâtre pose à la scène. Elle concerne ce que J.-P. Sarrazac (2005, p. 63) appelle le « devenir scénique » du texte de théâtre, soit « la puissance et [les] virtualités scéniques de cette œuvre ». Il cite H. Gouhier, qui nous rappelle cette évidence fondatrice : « l’œuvre est faite pour être représentée, là est sa finalité » (ibid., p. 64 ; Gouhier, 1989, p. 26). 5 Pour être le plus concret possible, je vais me référer à ma propre pratique de dramaturge auprès d’un metteur en scène : Alain Bézu, fondateur du Théâtre des 2 Rives à Rouen Je prendrai l’exemple de deux mises en scène de L’Illusion comique (Corneille, 1639) qu’il a effectuées en 1978 1 et en 20062, et auxquelles j’ai collaboré. 6 J’ai souvent raconté l’anecdote suivante : lorsque A. Bézu m’a demandé pour la première fois de « faire la dramaturgie » de L’Illusion comique, je lui ai répondu avec confiance que je connaissais très bien la pièce pour l’avoir eue au programme de littérature comparée de l’agrégation de Lettres modernes peu d’années auparavant. Mais je me suis très vite aperçu que cette connaissance que j’avais de l’œuvre ne m’était d’aucune utilité pour répondre aux deux questions fondamentales de toute dramaturgie, à savoir : comment représenter cette pièce aujourd’hui ? Et, pourquoi la représenter ici et maintenant ? La question du pourquoi se pose pour toute œuvre classique (au sens large). Elle se pose aussi, en dépit de fausses évidences, pour une œuvre contemporaine, dont la contemporanéité ne justifie pas à elle seule qu’elle doive être montée. Il y faut une nécessité. A fortiori pour un classique si on ne veut pas se livrer à un pur travail de type muséal. Le théâtre est un art vivant. 7 La question se pose aussi lorsque l’on met une œuvre à l’étude dans le cours de français. Que ladite œuvre soit au programme, on peut sans doute s’accorder là-dessus, ne saurait être une raison suffisante pour qu’elle suscite d’emblée l’intérêt passionné des élèves (ni celui des enseignant·es d’ailleurs). Si les raisons de l’étudier ne sont pas Qu’est-ce qu’une approche dramaturgique d’un texte de théâtre ? Pratiques, 191-192 | 2021 2 évidentes, il faut les construire. C’est tout l’art de la pédagogie et la dramaturgie, à sa manière, en est une. La « première » Illusion comique 8 Il fallait, avant toute chose, se demander quel intérêt il y avait en 1978, après des décennies de brechtisme et de post-brechtisme, autant dire de critique raisonnée de L’Illusion, à aborder la question de sa production au théâtre. Et, comme la réponse ne viendrait sans doute qu’au terme ou dans le cours d’un processus, il fallait commencer par une question simple, une question, proprement, de représentation, qui ne m’avait pas effleuré lorsque je préparais l’agrégation. Cette question peut se décliner ainsi : qui serait pour nous, aujourd’hui, Alcandre, le magicien ? De quelle nature sont les images qu’il convoque pour répondre à la demande de Pridamant en quête de son fils, Clindor, disparu ? Quel traitement en faire pour que ce mage ne soit pas qu’un personnage folklorique, évoluant dans un imaginaire désuet et levant des apparitions à l’aide de sa baguette magique ? Pour qu’il soit crédible, en somme, et nous parle. La réponse que nous avions construite alors, en nous appuyant, faut-il le préciser, sur la lecture du texte (il s’agit bien d’un père rongé par la culpabilité d’avoir entraîné le départ de son fils), faisait d’Alcandre un psychanalyste suscitant des images mentales chez Pridamant afin de lui permettre de retrouver son fils et de se réconcilier avec lui en acceptant son choix d’être comédien, autant dire une altérité à rebours de la rigidité de son propre rôle social. Nous étions encore, je le mesure avec le recul, dans l’après Mai-68. La pièce devenait le récit d’une cure (aux résonances socio-politiques), pratique encore fort en vogue dans les années 1970, et que la série En thérapie3 semble avoir contribué récemment à remettre au goût du jour, en la situant habilement dans le contexte d’un traumatisme collectif (celui des attentats du 13 novembre 2015). Le recours à l’hypnose, la référence aux débuts mythiques de la psychanalyse, nous permettaient de donner un équivalent de l’éloignement du XVIIe siècle dans le temps. C’est que toute réflexion sur les “classiques” exige, certes, de rapprocher l’œuvre de nous mais sans oublier de quelle époque elle vient, autrement dit de se situer entre actualisation et historicisation. B. Dort (1975 [1972], p. 155-165) est souvent revenu sur cette question, qui travaille son œuvre critique, si importante à nos yeux. uploads/Litterature/ pratiques-10990.pdf
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- Publié le Jul 23, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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