Pratiques Linguistique, littérature, didactique 165-166 | 2015 Étudier les figu
Pratiques Linguistique, littérature, didactique 165-166 | 2015 Étudier les figures en contexte : quels enjeux ? Les figures au collège : un objet didactique complexe The Rhetorical Figures in Secondary School: A Complex Learning Object Nicole Biagioli Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/pratiques/2570 DOI : 10.4000/pratiques.2570 ISSN : 2425-2042 Éditeur Centre de recherche sur les médiations (CREM) Référence électronique Nicole Biagioli, « Les figures au collège : un objet didactique complexe », Pratiques [En ligne], 165-166 | 2015, mis en ligne le 01 octobre 2015, consulté le 14 novembre 2019. URL : http:// journals.openedition.org/pratiques/2570 ; DOI : 10.4000/pratiques.2570 Ce document a été généré automatiquement le 14 novembre 2019. © Tous droits réservés Les figures au collège : un objet didactique complexe The Rhetorical Figures in Secondary School: A Complex Learning Object Nicole Biagioli Introduction 1 Les figures au collège : le choix du niveau d’études est provocateur et historiquement significatif. La classe de rhétorique qui correspondait à l’actuelle classe de 1re des lycées généraux était le fleuron de l’enseignement secondaire quand celui-ci était réservé à une élite. On devine du coup que la complexité visée n’est pas seulement de l’ordre de la dénotation (qu’appelle-t-on figures ? quelles structures linguistiques – chaine parlée, syntaxe, lexique, énoncé – concernent-elles ? appartiennent-elles à la langue et/ou au discours ?), mais aussi de la connotation. Réduites dans le programme à une douzaine d’items1, les figures continuent à occuper autant sinon plus de place dans l’imaginaire scolaire, mais leur rôle emblématique s’est désormais clivé. 2 D’un côté, elles représentent l’aboutissement des apprentissages littéraires. Rapportant le récit par Gracq de sa première demi-heure en classe de rhétorique, durant laquelle le professeur avait donné à analyser la phrase de La Bruyère « À mesure que la faveur et les grands biens se retirent d’un homme, ils laissent voir en lui le ridicule qu’ils couvraient et qui y était sans que personne s’en aperçût » sans qu’aucun élève ne repère la métaphore de la marée, A. Boissinot (2001 : 10), ne retient que le souvenir positif laissé au futur écrivain par la « petite révélation » de la solution. Il ne cache pas son admiration pour « un enseignement qui conjuguait heureusement art de lire et art d’écrire », pour lequel le texte n’est pas seulement « objet d’admiration passive », mais « déclenche une démarche d’appropriation, de voracité ». D’un autre côté, les figures paraissent un objet didactique daté, quasiment obsolète, chichement dosé pour éviter d’ennuyer les élèves : « Sans introduire de manière systématique une connaissance prématurée de la rhétorique, on peut en exploiter quelques éléments, notamment dans le domaine des Les figures au collège : un objet didactique complexe Pratiques, 165-166 | 2015 1 figures, en les inscrivant toujours dans la perspective globale du discours et de sa visée » lit-on dans l’Accompagnement du programme de 3e (1999 : 171). Cette position médiane, entre lecture et écriture, langue et langage, littérature et discours quotidien, serait-elle le secret de leur étonnante résistance ? 3 Pour répondre à cette question, nous organisons notre étude en deux parties. La première, diachronique, suit l’évolution de la didactique des figures du XVIIe au XXe siècle en parallèle avec la mise en place de l’institution scolaire. 4 La seconde partie, synchronique, montre quelle place les figures occupent dans l’enseignement actuel du français au collège en France, en termes de contenus, de progressions didactiques et de stratégies d’enseignement. 1. Historique 5 Les figures font partie à la fois de l’histoire de l’école et de celle de la formation professionnelle. Si l’éloquence, née de l’éclosion dans la Grèce du Ve siècle des notions de justice et de démocratie, a permis de prendre conscience du fonctionnement des figures et de les classer, elle a aussi ouvert leur application à d’autres champs professionnels que la justice ou la politique, à commencer par celui de leur enseignement. Certains habitus professionnels des rhéteurs antiques ont perduré jusqu’à l’époque moderne. Ce sont : • la conscience de la transversalité des compétences rhétoriques. Jusqu’à la seconde moitié du XVIIe siècle l’expression « belles-lettres » recouvre aussi bien les sciences, le droit, la médecine que les lettres (Viala, 1985 : 28) ; • la tendance à associer les figures à la seule élocution bien qu’elles interviennent aussi dans l’invention, en stimulant l’imaginaire des auteurs (Mauron, 1963), et dans la composition ; • le choix du discours comme champ d’apprentissage au détriment de la langue, avec deux conséquences : ◦l’usure des figures se voit légitimée dans certains usages, car la nouveauté d’une figure peut faire obstacle à la communication, ◦les tropes ne sont abordés que lorsque le discours les remotive. Il faut attendre P. Fontanier (au XVIIIe siècle) pour que la rhétorique fasse une place (secondaire) à la catachrèse (Genette, 1977 : 11). 1.1. Les figures dans les traités de rhétorique 6 Il est difficile d’expliquer la place occupée par les figures dans l’histoire de la discipline « français » si l’on oublie que leur enseignement est à la fois un effet et un facteur de l’institutionnalisation de la littérature à l’époque classique : « Si le cursus scolaire restait accaparé par le latin et les humanités, la littérature française gagnait du terrain à la périphérie. Son progrès est lié aux débuts d’un enseignement en langue française qui s’amorça alors […] et pour lequel les maîtres de Port-Royal jouèrent un rôle d’avant-garde. Elle se manifesta aussi dans l’étude de la rhétorique, un des piliers du programme de formation : La Rhétorique française de l’oratorien Bernard Lamy marque à cet égard une étape importante, les oratoriens étant après les jésuites l’ordre le plus actif par ses collèges. Et, dans les collèges jésuites, les exercices complémentaires de l’enseignement de base […] firent de plus en plus de place au français dans la seconde moitié du siècle » (Viala, 139-140). 7 La littérature a fait son entrée à l’école par les exemples des manuels de rhétorique. Les figures apparaissent d’emblée comme un facteur de légitimation de la profession Les figures au collège : un objet didactique complexe Pratiques, 165-166 | 2015 2 littéraire. De par ses fonctions d’enseignant de grammaire, rhétorique et philosophie et sa triple qualité de mathématicien, philosophe et physicien, B. Lamy (1640-1715) était particulièrement bien placé pour établir les bases d’une didactique moderne de la rhétorique. Dans la préface de La Rhétorique ou l’art de parler (1675), il valorise l’imprégnation mimétique et le réemploi : « Une rhétorique peut être bien faite, sans qu’on en retire du fruit, lorsqu’à la lecture de ses préceptes on ne joint point celle des orateurs, et l’exercice (XIII) ». Ceci le conduit à choisir un mode de citation extensif qui respecte l’intégrité des textes et facilite leur compréhension : « Il faut donc que les Maîtres fassent lire à leurs Disciples les excellentes pièces d’éloquence, & qu’ils ne se servent de la Rhétorique que pour leur faire remarquer les traits éloquents des auteurs qu’ils leur font voir ; ce qui ne peut bien se faire qu’en lisant les pièces tout entières. Les parties détachées, qu’on en propose pour exemple, perdent les graces quand elles sont hors de leur place : séparées du reste du corps elles sont, pour ainsi dire, sans vie (XXII) ». 8 Les figures constituent un point névralgique de la didactique du discours. On ne peut les repérer sans modélisation préalable, ce qui exige des exemples brefs, limités à l’illustration des définitions. En même temps, on ne peut les pratiquer sans les réinvestir en situation, dans la lecture-écriture d’énoncés authentiques. L’oscillation, pour les supports d’enseignement, entre la forme du dictionnaire et celle du traité, et pour les objectifs, entre maitrise de la langue et maitrise du discours, est déjà perceptible. Toutefois Lamy ne s’inscrit pas dans une aire linguistique particulière. Au plan pratique, il nourrit les compétences plurilingues de ses élèves en entremêlant les originaux latins et grecs avec leurs traductions françaises et avec des originaux français. Au plan théorique, situant les figures au seul niveau du discours, il ne doute pas de la nature transdiscursive et translinguistique de son propos : « Mon Ouvrage, comme je l’ai insinué, ne regarde pas seulement les Orateurs, mais généralement tous ceux qui parlent et qui écrivent, les Poètes, les Historiens, les Philosophes, les Théologiens. Quoique j’écrive en français, j’espère que mon travail sera utile dans toutes les langues » (ibid.). 9 La posture énonciative est proche de celle de nos manuels. B. Lamy s’adresse à l’élève tout en visant les pratiques du maitre : « Cet Ouvrage sera donc utile aux jeunes gens qu’il faut accoutumer à aimer la vérité, & à consulter la raison pour penser et agir selon sa lumière » (ibid.). Il ne sort pas du cadre institutionnel : catholique (nombreuses références aux Écritures et aux Pères de l’Église), préprofessionnel (allusions aux professions libérales ou religieuses auxquelles il forme ses élèves), dogmatique (à preuve les titres des chapitres 4 : « les tropes doivent être clairs » et 8 « Les figures sont utiles et nécessaires »), axiomatisé (traitant des causes : uploads/Litterature/ pratiques-2570 1 .pdf
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- Publié le Oct 24, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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