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éruditest un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.éruditoffre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « Textes visibles » Tiphaine Samoyault Études littéraires, vol. 31, n° 1, 1998, p. 15-27. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/501221ar DOI: 10.7202/501221ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 10 April 2016 09:50 TEXTES VISIBLES Tiphaine Samoyault • Les processus modernes d'éclatement des caractères linéaires et successifs du texte, qui donnent celui-ci à voir autant qu'à lire, n'affectent pas seulement le poème : le roman se trouve lui aussi atteint par le visible de l'éclat fragmentaire. Dans les années i960, un renouvellement de la lisibilité passe par un travail sur le visuel et sur le musical qui dérange des habitudes de lecture, instaure un protocole de récep- tion qui se cherche. La représentation sem- ble définitivement remise en cause par l'abstraction issue de la démultiplication des langages convoqués. Qu'advient-il dès lors du lecteur-spectateur des œuvres qui détournent le lisible par le visible et inscri- vent en fait l'illisibilité dans leur projet ? En quoi cette illisibilité peut-elle être sai- sie comme une forme poétique en quête de langage et non comme une vaine expé- rimentation ? En conservant pour amont le souvenir de Finnegans Wake, qui défait la continuité d'une lecture linéaire, l'inven- tion d'un langage exigeant la mise en œu- vre d'un nouveau mode de lecture, je me propose de faire reposer l'étude sur qua- tre textes contemporains les uns des autres où la tentation du visible, outre son intérêt formel, soumet le lisible à un certain nom- bre de dérèglements. Ils ont pour point commun de se placer dans une forme par- ticulière de filiation avec Joyce et ils offrent, ensemble, plusieurs modalités de détour- nement de la narration et de la représenta- tion qui défont les ordres de la figure et de l'expression. Le corpus est ainsi chronolo- giquement encadré par deux textes d'Arno Schmidt, Kaffauch Mare Crisium (i960) et Zettels Traum (1970) \ travaillant l'es- pace de la page et celui du livre de façons distinctes. Il prend appui aussi sur deux textes publiés en France entre ces deux 1 Arno Schmidt, Kaffauch Mare Crisium, Fischer, i960 ; Zettels Traum, Fischer, 1970 : aucun de ces deux textes, malgré leur reconnaissance extraordinaire en Allemagne, n'a été traduit en français, l'œuvre d'Arno Schmidt, en raison de ses formats et de sa complexité linguistique offrant une résistance radicale à la traduction. Abend im Goldrand (1975) a été traduit en français par Claude Riehl sous le titre Soir bordé d'or (Maurice Nadeau, 1991) ; sa mise en page sous forme de tapuscrit, sa typographie, son format, l'insertion de documents visuels présentent des points communs importants avec Zettels Traum. Études Littéraires Volume 31 N° 1 Automne 1998 ÉTUDES LITTÉRAIRES VOLUME 31 N" 1 AUTOMNE 1998 dates et qui font jouer des configurations spatiales et des modèles visuels : Mobile (1962) de Michel Butor et Compact (1966) de Maurice Roche 2. La difficulté à appré- hender ces œuvres provient certes d'abord de leur insoumission à la représentation mais aussi de leur absence de programma- tion a priori : si tous ces textes peuvent être considérés comme des romans, ils n'en admettent pas tous l'appellation. Les édi- tions d'Arno Schmidt n'indiquent aucune mention architextuelle ; Mobile est sous- titré « Étude pour une représentation des États-Unis » ; seul Compact est explicite- ment désigné comme roman. Outre que l'inscription du genre dépend aussi d'ha- bitudes éditoriales Ces éditions du Seuil le font systématiquement figurer, ce qui n'est pas le cas d'autres éditeurs, notamment en Allemagne), d'autres éléments du paratexte permettent de placer ces œuvres dans cer- taines modalités de ce genre : la collection blanche de Gallimard publie en général des romans et, en cas d'exception, le genre fi- gure sur la page de titre, suivant le choix de l'auteur ; les textes d'Arno Schmidt qui ne sont pas des romans l'indiquent, d'une manière ou d'une autre ; par exemple, Soir bordé d'or porte en sous-titre : « farce- féérie ». Kaff comme Zettels Traum ins- crivent la fiction dans une interprétation extensive du genre romanesque. Ce qui est en question reste ainsi sans conteste la condition de possibilité d'une lecture du texte devenu abstrait par refus du continu, dans une expression démultipliée et qui ne renvoie qu'à elle-même. Devant ces œu- vres, le lecteur retrouve l'hésitation du spectateur du tableau abstrait : hors du lieu de la figure, il la recherche ailleurs, dans la matière, dans le grain ou dans la couleur. L'univers du signe y est, dans les deux cas, singulièrement déplacé. 1. Les données du visible Des symptômes de l'éclatement du texte romanesque infléchissent si bien la maté- rialité des pages et des ouvrages qu'il con- vient de donner de ceux-ci une description quasi plastique. La première connivence établie avec le lecteur tient à l'exigence d'un regard qui n'opère pas la réduction du signe au signifié, qui invite à contem- pler la page comme on le fait d'un tableau, à saisir des masses. KAFF auch MARE CRISIUM : le titre fonc- tionne d'emblée à partir des données non habituelles du signe ; le signifiant prend des caractéristiques supplémentaires par la ty- pographie, l'utilisation concurrente des capitales et des minuscules mettant en évi- dence le parallèle entre un substantif de la langue populaire (« Kaff » signifie « bled », « patelin » en allemand) et les vocables nobles de la langue latine. L'entrée dans le volume, qui conserve ici le format habituel des romans, révèle aussi d'importantes va- riations typographiques (alternances ro- mains / italiques, minuscules / capitales) et surtout une utilisation fort singulière de la ponctuation : ensemble, ces deux caractè- res dérangent la lecture successive et cons- 2 Michel Butor, Mobile, Étude pour une représentation des États-Unis, Gallimard, 1962. Les réfé- rences renvoient à la réédition dans la collection « l'Imaginaire », Gallimard, 1991. Maurice Roche, Compact, Seuil, 1966. Je renvoie dans mes notes à la réédition polychrome, « version originale en couleurs », publiée par les éditions Tristram en 1996. 16 TEXTES VISIBLES tituent l'aspect visuel du texte (les œuvres ultérieures d'Arno Schmidt, texte et docu- ments graphiques). ... James Joyce batte kein Mensch mitgenom'm ; (auch bei den Russn befand sich kein Exemplar ; : » Nix. : Forma=List. « hattn sie erkleert. / Und nur gansgans widerwillich, & zôgernd, fur 1 H A U J I B A B A OF ISPAHAN. .. : » Du ! : Komm nie etwa einfach mit Dei'm > englischn Fach < an : das kenn'ich ! « ; (Schmidt, i960, p. 149) L'auteur ne se contente pas des signes habituels du discours : il leur ajoute les si- gnes arithmétiques. Il multiplie aussi ces signes, tirets, crochets, points d'interroga- tion suivis de points d'exclamation, succes- sions de parenthèses apparemment vides, qui créent un fort effet visuel. Ils sont par- fois une manière d'accélérer l'écriture en en simplifiant singulièrement la syntaxe, mais ils se présentent aussi comme des messages cryptés. Schmidt l'explique ainsi dans « Berechnungen III » : le lecteur doit voir dans les deux points un visage ouver- tement interrogatif ; dans le point d'inter- rogation, la contorsion d'un corps ; dans la succession d'un point entre guillemets et d'un point d'exclamation entre guille- mets (« . » - : « ! » ) , une réponse banale- ment laconique, suivie d'un haussement d'épaules de l'interlocuteur ; et dans la parenthèse, on doit reconnaître la main creuse, stylisée, derrière laquelle l'auteur chuchote quelque confidence 3. La volonté d'expressivité passe par un usage pictural, quasi figuratif, de la ponctuation et qui défait, dès lors, son abstraction4. L'autre caractéristique visuelle de Kaff, sans doute la plus frappante, tient dans la distribution, sur la page, des pavés de texte dont on re- trouve certains traits dans les soixante pre- mières pages du Jardin des Plantes de Claude Simon. Sur la partie gauche du ro- man de Schmidt, la vie terrestre est pré- sentée à travers l'histoire d'un jeune couple en week-end dans un village d'Allemagne du Nord et la partie droite est constituée d'un récit d'aventures lunaires. Mais avant même de construire un sens dans la linéarité de son double itinéraire, le lecteur est arrêté par des blocs qui semblent mobiles : un premier sens naît de cette plastique même. Mobile : le caractère plastique du texte mobile est évidemment poussé à un point plus extrême par Butor puisqu'il s'inspire, dès son titre polysémique mais dont une dimension, au moins, fait hommage, des compositions imprévisibles de Calder, créées par les uploads/Litterature/ textes-visibles.pdf

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