Dans les années 1960, à une époque où les recherches formalistes irriguent la l
Dans les années 1960, à une époque où les recherches formalistes irriguent la littérature comme les arts (théâtre, musique, peinture, sculpture…), des écrivains, des intellectuels, des poètes et même des mathématiciens, unis par des intérêts communs autour d’une certaine conception de l’écriture, ont l’idée de créer « l’Ouvroir de littérature potentielle » (en abrégé Oulipo). Mais qu’est-ce que l’Oulipo ? Ni un mouvement littéraire – il ne vise pas à promouvoir des œuvres particulières – ni une académie, ni même un groupe de recherche scientifique. Il s’agit de la réunion, autour de nouvelles règles et jeux d’écriture, d’écrivains comme François Le Lionnais, Raymond Queneau, Italo Calvino, Jacques Roubaud ou encore Georges Perec et Marcel Bénabou. Les créateurs de l’Oulipo s’adonnent ainsi à une exploration méthodique des potentialités de la langue, pour la sortir de son fonctionnement routinier et en révéler les ressources cachées. L’Oulipo : mode d’emploi Rédaction : Isabelle Le Pape Feuillet extrait du dossier préparatoire de La Vie mode d’emploi (page de brouillon avec dessins), vers 1977. BnF, Arsenal, Fonds Georges Perec. Au fond, je me donne des règles pour être totalement libre. Georges Perec Il n’y a de littérature que volontaire. Raymond Queneau Au commencement L’art de la combinatoire Une littérature ouverte L’écriture dans un champ élargi À sa création, le 24 novembre 1960 à Paris, l’Oulipo réunit autour de François Le Lionnais et de Raymond Queneau, une dizaine de leurs amis écrivains ou poètes, dont certains sont également mathématiciens ou peintres : Jacques Bens, Noël Arnaud, Claude Berge, Jacques Duchateau, Albert-Marie Schmidt, Jean Queval, Jean Lescure, Latis. Dans un esprit de liberté et de partage, ils mettent leurs trouvailles à la disposition d’utilisateurs éventuels. Contraintes, jeux de mots et principes construits autour de formules mathématiques fondent les principes d’une écriture où l’exploration joue un rôle incontestable. Les oulipiens partent du principe que toute poétique obéit à des règles qui, tout en étant arbitraires, n’entravent pas la création. C’est ce que prouvèrent jadis les Grands Rhétoriqueurs du XVIe siècle ou les auteurs classiques de tragédies et de comédies, tels que Racine ou Molière. L’alexandrin, le sonnet, la règle théâtrale des trois unités constituaient des contraintes. De la même manière, la contrainte d’’écriture agit en amont de l’œuvre oulipienne, générant de fascinants jeux textuels comme des anagrammes (mélanges des lettres d’un mot ou d’un groupe de mots pour en extraire un sens nouveau) ou des palindromes (texte ou mot que l’on peut lire de gauche à droite et inversement). Les réunions très régulières des membres de l’Oulipo, au cours desquelles le groupe s’est agrandi, ont depuis plus de quarante ans, engendré de nombreux textes collectifs ou individuels. La collection de La Bibliothèque oulipienne (216 fascicules) permet de saisir l’ampleur et la richesse du travail déjà réalisé. Ces textes courts, mêlant théorie et pratique, sont un laboratoire qui met à jour les mécanismes de la création littéraire. Faisant l’objet de rencontres et de lectures ouvertes à tous, le travail des membres de l’Oulipo est en constant renouvellement. Ces moments collaboratifs, les Jeudis de l’Oulipo, sont prolongés à la radio avec une approche pédagogique. Françoise Treussard réunit oulipiens et sympathisants sur France Culture tous les dimanches de 12h45 à 14h, dans Des Papous dans la tête, émission qu’elle a créée avec Bertrand Jérôme en 1984. Des séances de travail ludiques sont aussi proposées dans Les Décraqués, du lundi au vendredi, de 13h30 à 13h38, sur la même antenne. Je me souviens que j’étais fier de connaître et d’utiliser, relativement tôt, des mots et des expressions comme « à la rescousse », « estafette », « caducée », « dès potron- minet ». Georges Perec Le colloque de Cerisy intitulé Raymond Queneau ou une nouvelle défense et illustration de la langue française, dirigé par Georges-Emmanuel Clancier et Jean Lescure, du 1er au 11 septembre 1960. De gauche à droite : Jacques Bens, Jean-Pierre Rosnay (non oulipien), Jacques Duchateau, François Le Lionnais (tenant la poussette), Jean Queval, André Blavier, Raymond Queneau, Jean Lescure © Archives Pontigny-Cerisy. Au fil du temps, le groupe s’étoffe et ses activités sont diffusées sous la forme d’ouvrages collectifs, à travers des colloques et par des rencontres. Le rayonnement du groupe dépasse nos frontières. Les activités font l’objet de traductions et sa réception internationale s’effectue souvent par le biais de ses membres étrangers, comme Ross Chambers (Australie), André Blavier (Belgique), Stanley Chapman (Angleterre) ou l’artiste Marcel Duchamp (États-Unis). On devient membre de l’Oulipo sans avoir jamais demandé à en faire partie et à condition d’être élu à l’unanimité par l’assemblée. On est oulipien à vie, parfois « excusé pour cause de décès ». Animant depuis une vingtaine d’années des ateliers d’écriture dans le monde entier, les oulipiens ont pour but d’ouvrir l’écriture à un large public en stimulant l’imagination afin de diminuer l’angoisse de la page blanche. L’acte d’écrire devient un jeu, une libération. Il n’est guère aisé de discerner à l’avance, à partir du seul examen de la graine, ce que sera la saveur d’un fruit nouveau. François Le Lionnais Jean Lescure, enveloppes illustrées envoyées à Raymond Queneau, 1947-1960. Fonds Oulipo. Extrait du dossier préparatoire à Lente sortie de l’ombre de Jacques Bens (cahier à spirales), manuscrit autographe, années 1990. BnF, Arsenal, Fonds Jacques Bens. Il n’y a pas un mot fortuit, car tout y a, illico, sa justification, donc sa signification. Georges Perec Quelques figures oulipiennes Réunion de l’Oulipo du mardi 23 septembre 1975 dans le jardin de François Le Lionnais. Assis de g. à d. : Italo Calvino, Harry Mathews, François Le Lionnais, Raymond Queneau, Jean Queval, Claude Berge. Debout, de g. à d. : Paul Fournel, Michèle Métail, Luc Étienne, Georges Perec, Marcel Bénabou, Paul Braffort, Jean Lescure, Jacques Duchateau. Bnf, Arsenal. Raymond Queneau Fortement marqué par le surréalisme auquel il a été lié de 1924 à 1929, Raymond Queneau adresse un clin d’œil aux formes historiques de l’écriture et se révèle un maître de l’humour. Né au Havre en 1903 et mort en 1976 à Paris, c’est un esprit brillant et encyclopédique, doué pour la philosophie, les sciences du langage et les mathématiques. Queneau trouve sa voix littéraire avec ses Exercices de style (1947) dans lesquels il reprend quatre-vingt-dix-neuf fois de suite l’histoire d’un jeune homme qui se dispute avec un voisin sur la plate-forme d’un autobus en modifiant chaque fois le point de vue du narrateur, le vocabulaire, le style. Renouvelant la poésie comme un espace d’innovations, Queneau associe jeux sur les lettres et les sons, trouvailles de dispositions ou de rythmes. Peuplant ses romans de gens ordinaires (concierges, chauffeurs de taxi), il s’intéresse à la langue orale comme on le voit dans Zazie dans le métro. Cette histoire d’une adolescente venue à Paris pour voir le métro (qu’elle ne verra jamais en raison d’une grève) est le prétexte à une découverte de la capitale sous un angle dérisoire et absurde. Zazie ponctue son périple de ses remarques franches et crues. Queneau, fervent lecteur des Pieds Nickelés à dix ans, bricole des objets-poèmes et créé des œuvres poétiques à partir de contraintes formelles comme Cent Mille Milliards de poèmes (1961), où des feuillets découpés permettent au lecteur d’inventer une infinité de poèmes. Parallèlement à ces activités, Queneau prend la direction de la collection L’Encyclopédie de la Pléiade et entre, en 1951, à la fois à l’académie Goncourt et au Collège de ’Pataphysique, une société où l’on parodie les académies et les cérémonies officielles. Georges Perec Né en 1936 et mort en 1982, Georges Perec a connu une enfance difficile d’orphelin juif pendant l’Occupation. Après avoir abandonné ses études d’histoire, il se consacre au roman et devient membre actif de l’Oulipo, puisant son inspiration dans la sociologie, l’autobiographie (W ou le Souvenir d’enfance, 1975) et le quotidien (La Vie mode d’emploi, 1978). Focalisé sur la réalité de la vie contemporaine, son roman Les Choses (1965) met en scène l’enquête sociologique menée par un jeune couple d’intellectuels, interrogeant les gens sur des sujets variés. Composant des isogrammes (textes où les mêmes lettres sont réutilisées), des acrostiches (poèmes où les premières lettres de chaque vers forment un mot) ou des palindromes (textes lisibles dans les deux sens), Perec s’invente des contraintes pour renouveler les modes du récit ou de la poésie. La Disparition (1969) repose ainsi sur la contrainte du lipogramme (texte dans lequel une voyelle n’est jamais employée). Ici, la voyelle e, pourtant la plus utilisée dans la langue française, n’apparaît jamais dans le roman. Dans Je me souviens (1978), une série de courts paragraphes numérotés permet à Perec d’exposer ses souvenirs intimes d’enfant et d’adolescent sans souci de chronologie. Toutefois, ces contraintes d’apparence ludique ne sont pas gratuites, dans la mesure où elles peuvent, par l’entrelacement de récits, dire les horreurs de l’histoire. Je me souviens qu’au pied de la passerelle qui, en haut de la rue du Ranelagh, traversait le chemin de fer de ceinture et permettait d’aller au bois de Boulogne, il y avait une petite construction qui servait d’échoppe à un cordonnier et qui, après la guerre, fut couverte de uploads/Litterature/ qu-x27-est-ce-que-l-x27-oulipo 1 .pdf
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- Publié le Dec 16, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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