Les Fleurs du Mal Charles Baudelaire, 1857 Thomas Berthet-Reverdy - 23 mai 2022
Les Fleurs du Mal Charles Baudelaire, 1857 Thomas Berthet-Reverdy - 23 mai 2022 LA POÉSIE - BAUDELAIRE 1 Introduction Charles Baudelaire (1821-1867) est un très grand poète français, contemporain de Victor Hugo, dont l’oeuvre poétique assez mince (deux recueils, les Fleurs du Mal et le Spleen de Paris) a marqué son époque et, plus largement, notre modernité. Il est à la croisée de plusieurs courants littéraires du XIXe siècle. Le romantisme d’abord, qui exalte les sentiments et présente souvent des personnages angoissés et solitaires, que l’amour malheureux pousse vers le désespoir. Mais ses poèmes, on le verra adoptent une forme classique le plus souvent (beaucoup de sonnets, forme très contraignante qui vient du M-A). Il est aussi à la croisée également du symbolisme (romantisme tardif qui insiste sur l’idéal de la beauté) et donne de celui-ci une version volontiers décadente (la beauté chez Baudelaire est totalement libérée de la morale, elle est donc éventuellement choquante). Ses thèmes principaux sont l’exotisme, l’appel de l’idéal, le « spleen » c’est-à-dire la mélancolie qui résulte de la chute dans le réel, la beauté vénérée mais inaccessible, poursuivie à travers l’érotisme, les paradis artifiiciels et l’ivresse. Il a lui-même une vie dissolue, fréquente les cabarets la nuit, boit et fume l’opium, et fréquente une prostituée métisse, Jeanne Duval, qui est sa « muse », son inspiratrice. Poursuivi pour ses dettes, et chassé parfois par les grands travaux du baron Haussmann, il déménagea une quarantaine de fois à Paris. En 1857 son recueil, Les Fleurs du Mal, est attaqué en justice pour « offense à la morale religieuse » et « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs ». La même années, Madame Bovary de Flaubert était attaquée pour les mêmes raisons. Il faut dire que c’est alors Napoléon III qui règne (élu depuis 48, empereur depuis 52) et qui impose en France une censure morale un peu ridicule. Le recueil fait scandale. Il est pourtant tout de suite reconnu par ses pairs, dont Victor Hugo qui lui adresse ses félicitations depuis son exil à Guernesey. LA POÉSIE - BAUDELAIRE 2 Thèmes et oeuvre Parisien, Baudelaire est emblématique, pendant le Second Empire (1848-1870), de cette période qui fut une entrée dans la modernité industrielle et urbaine (Londres éclaire à l’électricité son exposition universelle de 1850 ; à Paris Baudelaire déménage plus de 40 fois, criblé de dettes mais aussi expulsé pour les besoins des travaux d’Haussmann qui transforment la ville en un chantier géant). Ce fut aussi une période vécue, dans la suite du romantisme, comme une sorte de décadence esthétique et morale (retour de la censure, triomphe de la bourgeoisie, laïcisation de la Société…). Le marché de l’art naissant voit se développer les oeuvres des modernes impressionnistes (Baudelaire est critique d’art). L’exode rural et le développement de l’industrie jettent en ville des foules d’ouvriers et d’ouvrières dans la misère, qui vivent dans les bidonvilles des faubourgs. La nuit, l’univers des cafés et des cabarets se développe. C’est bientôt l’époque des danseuses peintes par Toulouse Lautrec quelques années plus tard. Les artistes, peintres et poètes, se réunissent dans ces lieux qui sont aussi des lieux d’ivresse et de prostitution, où l’opium et le haschisch commencent à arriver de Chine et d’Afghanistan. L’absynthe, un alcool qui contient un alcaloïde psychotrope, fait des ravages, ainsi que la syphilis, maladie sexuellement transmissible qui s’en prend au système nerveux, dégénérative et fatale. Les deux ont en commun de provoquer la folie. C’est tout cet univers qui forme les thèmes abordés par Baudelaire dans les Fleurs du Mal : la rue parisienne, l’ivresse, la muse et le sexe, l’imagination érotique, l’appel du voyage et de l’exotisme, mais aussi des thèmes plus classique comme la peur du temps qui passe, de la mort qui menace. S’y ajoute une dialectique entre la beauté et le mal, comme l’indique le titre. Une beauté satanique, et une quête alchimique (« tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or », écrit-il à propos de la ville). Pour plus de renseignements sur les Fleurs du Mal : article wiki. Sur Charles Baudelaire : article wiki. L’alchimie poétique : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or » Baudelaire cherche à peindre son époque. Lui aussi entend être moderne, comme les peintres qu’il admire. Il s’attaque à Paris, ses faubourgs, ses petits métiers, ses passants, sa vie nocturne, ses cabarets, ses danseuses, ses mendiants et tout ce qui jusqu’alors n’était pas considéré comme poétique. Il va jusqu’à chercher des matières provocatrices, le sexe, la prostitution, l’ivresse, l’usage des drogues. Il cherche « la boue ». Il voudrait en faire LA POÉSIE - BAUDELAIRE 3 une matière, un sujet poétique, quelque chose qui puisse donner lieu à un poème, dans lequel on pourrait trouver de la beauté. C’est le premier sens des Fleurs du Mal : trouver de la beauté dans le mal, dans l’indigne, le sale, le laid. De cette boue, faire « de l’or », comme les anciens alchimistes cherchaient à transformer le plomb en or. Mais bien sûr, cette quête de beauté échoue. La « passante » est fugitive. Comme l’Atalante poursuivie par les alchimiste, elle se dérobe sans cesse, ne se laisse pas posséder. C’est que la « Beauté » est devenue inaccessible. C’est le revers de la médaille de cette modernité. « La Beauté » idéale, parfaite, idée platonicienne du Beau, cette beauté-là, si elle existe, est comme Dieu dans cette Société qui se laïcise : éloignée dans un « azur », un ciel divin et inaccessible, elle est muette, ou on ne la comprend plus. C’est l’autre sens des Fleurs du Mal : les épines. Le poète s’abime, il se blesse, en poursuivant une beauté qui ne se donne plus à lui. Seul et impuissant, il éprouve le « spleen ». Toulouse Lautrec, au salon de la rue des Moulins, vers 1894 LA POÉSIE - BAUDELAIRE 4 Sélection de poèmes L’Alabatros Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers. À peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à côté d’eux. Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule ! Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid ! L’un agace son bec avec un brûle-gueule, L’autre mime, en boitant, l’infiirme qui volait ! Le Poëte est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l’archer ; Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. Correspondances La Nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles ; L’homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l’observent avec des regards familiers. Comme de longs échos qui de loin se confondent Dans une ténébreuse et profonde unité, Vaste comme la nuit et comme la clarté, Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants, Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, — Et d’autres, corrompus, riches et triomphants, Ayant l’expansion des choses infiinies, LA POÉSIE - BAUDELAIRE 5 Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens, Qui chantent les transports de l’esprit et des sens. L’ennemi Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage, Traversé çà et là par de brillants soleils ; Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage, Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils. Voilà que j’ai touché l’automne des idées, Et qu’il faut employer la pelle et les râteaux Pour rassembler à neuf les terres inondées, Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux. Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve Trouveront dans ce sol lavé comme une grève Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ? — Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie, Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur Du sang que nous perdons croît et se fortifiie ! La vie antérieure J’ai longtemps habité sous de vastes portiques Que les soleils marins teignaient de mille feux, Et que leurs grands piliers, droits et majestueux, Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques. Les houles, en roulant les images des cieux, Mêlaient d’une façon solennelle et mystique Les tout-puissants accords de leur riche musique Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux. C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes, Au milieu de l’azur, des vagues, des splendeurs Et des esclaves nus, tout imprégnés d’odeurs, Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes, Et dont l’unique soin était d’approfondir Le secret douloureux qui me faisait languir. LA POÉSIE - BAUDELAIRE 6 L’homme et la mer Homme libre, toujours tu chériras la mer ! La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme Dans le déroulement infiini de sa lame, Et ton esprit n’est pas un gouffre moins uploads/Litterature/ baudelaire.pdf
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- Publié le Oct 23, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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