Recherches & Applications - Le Français dans le Monde 47 Janvier 2010 Quelques

Recherches & Applications - Le Français dans le Monde 47 Janvier 2010 Quelques réflexions sur des pratiques croisées entre formation linguistique et enseignement disciplinaire CHANTAL PARPETTE Université Lumière-Lyon 2, ICAR, France Les étudiants étrangers qui relèvent d’accords bilatéraux, et ne se fondent pas dans l’anonymat d’une inscription individuelle, suivent souvent des formations linguistiques dont le but est de les amener à la maitrise langagière de leur cursus universitaire en France. Dans un grand nombre de cas, l’écart est très important entre leur compétence linguistique et à leur arrivée en France et celle qui, idéalement, permettrait un bon déroulement de leurs études1. Avec le temps et la multiplication des expériences, force est de constater que laisser aux seuls étudiants allophones et enseignants de français langue étrangère (fle) la tâche de combler cet écart par la formation linguistique donne des résultats limités. Nous travaillons maintenant sur l’hypothèse d’une intégration à double sens : la première, traditionnelle, consiste à fournir aux étudiants allophones la possibilité de faire progresser leur compétence linguistique à travers une offre de cours de langue ; la seconde vise à adapter les pratiques d’enseignement dans les différentes disciplines de manière à faciliter la maitrise des situations universitaires par les étudiants allophones. Cette seconde stratégie a à voir avec le constat largement établi depuis deux voire trois décennies des difficultés rencontrées par nombre d’étudiants dans l’université française. A. Coulon analysait en 1997 tout le parcours intellectuel que doit effectuer un lycéen accédant à l’université pour acquérir les compétences académiques que l’université attend de lui, sans que celle-ci d’ailleurs se soit clairement interrogée sur l’accompagnement qu’elle pourrait lui fournir pour l’amener à remplir efficacement sa fonction2 d’étudiant. Le rapport d’O. Rey (2005) montre que les recherches en ce domaine sont relativement récentes. Si de nombreux étudiants étrangers rencontrent des difficultés liées à leur maitrise incomplète de la langue (cf. Pollet dans ce même numéro), on constate que les discours tenus par les enseignants universitaires sur les difficultés des étudiants français en général ne sont guère éloignés de ceux que l’on entend à propos des allophones. Dans les disciplines de sciences humaines qui pratiquent beaucoup le cours magistral - sciences économiques, droit, entre autres - , nombreux sont les enseignants qui considèrent que les étudiants français ont des difficultés de réception, de prise de notes, de compréhension d’ensemble des données. « Le cours magistral est mort » affirme un enseignant, entendant par là que la fonction du cours magistral est de permettre à un enseignant de transmettre des données, mais aussi de les remettre en cause, d’énoncer la doxa tout en affichant ses propres positions, d’avoir à la fois la distance du chercheur et l’implication de l’individu, etc. (Bouchard, Parpette 2007), et que globalement les étudiants ne sont pas/plus en mesure de maitriser toute cette complexité discursive. Lors d’un cours magistral de droit, un autre enseignant reproche aux étudiants leur attitude inefficace : « (...) vous feriez mieux d’essayer de comprendre ce que je dis au lieu d’essayer de noter mot à mot (…) c’est ça l’exercice qu’il faut faire en permanence c’est 1 Cf certaines analyses sur la complexité des discours universitaires oraux (Bouchard, Parpette 2008, Parpette 2007, Bouchard, Parpette, Pochard 2005) 2 Terme qui nous paraît préférable à celui de « métier d’étudiant » utilisé par A. Coulon d’abord comprendre et pas se lancer dans une rédaction mot à mot (...) ». Les travaux écrits donnent lieu au même type de remarques sur les difficultés rédactionnelles, morpho- syntaxiques et orthographiques des étudiants dans leur ensemble. L’évocation de ces difficultés tend à dessiner un profil de l’étudiant natif qui le rapproche étrangement de celui de l’allophone. Et l’on voit ce qui parait être initialement un problème de compétence linguistique devenir plus largement un problème de réception des cours et donc de compétence académique qui concerne tout le monde. Dans le même temps, l’implantation des environnements numériques dans les universités entraine la mise en place de procédures d’enseignement sur lesquelles les enseignants des disciplines semblent compter, mais de manière très intuitive, floue, pour répondre partiellement aux difficultés qu’ils constatent chez leurs étudiants. Nous allons voir que ces procédures croisent celles qui sont à l’œuvre dans l’enseignement du fle. 1. Effet des environnements numériques sur les modalités d’enseignement Les données qui suivent rendent compte de dispositions plus ou moins répandues selon les lieux, les disciplines et les enseignants, qui ont toutes pour but d’apporter une aide aux étudiants, sans que celle-ci soit pour le moment réellement analysée, encore moins systématisée. Ce sont des initiatives individuelles liées à l’expérience acquise avec les années, et à l’évolution des environnements numériques en milieu universitaire. Il s’agit pour le moment de moyens mis à disposition, pas encore de méthodologie constituée. 1.1 Des discours de plus en plus oralo-graphiques Face à une difficulté de compréhension manifestée par un apprenant, quel qu’il soit, pendant un cours, la procédure la plus immédiate consiste pour l’enseignant à noter au tableau ce que l’apprenant perçoit mal. L’écrit est un outil majeur d’explicitation du fait de sa permanence. Il fixe un discours fugace, le transforme en un objet sur lequel on peut ensuite s’attarder. Les enseignants de fle préparant les étudiants allophones à suivre des cours universitaires se sont dès le début appuyés sur cette combinaison pour aider le développement de la compréhension orale. Les activités linguistiques consistent par exemple à travailler simultanément sur des enregistrements de cours et sur les documents écrits auxiliaires : descriptifs et plans de cours, polycopiés. À ceux-ci s’ajoute la transcription des extraits de cours étudiés. Parmi les activités de réception orale pour lesquelles l’écrit vient à la rescousse de l’oral, on peut citer : la lecture du polycopié en préparation à l’écoute du cours, l’analyse d’une transcription afin de mettre en évidence certains mécanismes discursifs complexes, la comparaison entre les données du polycopié et ce que dit l’enseignant. Le recours à l’écrit comme outil de travail en compréhension orale est par ailleurs une constante de l’enseignement des langues ; les questionnaires, consignes et transcriptions présents dans les supports pédagogiques dédiés à la compréhension orale sont là pour en témoigner. La mise en oeuvre récente d’environnements numériques dans les universités rejoint cette démarche. Si les sciences exactes ont toujours eu besoin de supports au tableau (écrits, symboles et schémas), les sciences humaines en font, elles, un usage réduit, limité pour l’essentiel à des besoins terminologiques et orthographiques. L’équipement des salles de cours en vidéoprojecteurs induit des modifications de comportement chez les enseignants qui recourent de manière croissante à la projection (au « powerpoint »), ce qui les conduit à intégrer à leurs cours une dimension écrite importante. On passe d’un discours oral, avec un écrit au tableau occasionnel et spontané, à une véritable organisation oralographique du cours (Bouchard, Parpette 2008). Les formes et les fonctions de cet accompagnement écrit sont certes variables - du simple plan de cours au résumé des idées essentielles, d’énoncés en mots-clés à un discours développé - mais son intégration progressive dans les amphithéâtres et les salles de cours signale une évolution des modalités d’enseignement qui pourrait constituer un réel élément d’intégration des étudiants allophones dans la maitrise des cours. Dans cette combinaison discursive oral-écrit, s’inscrit également le « poly » de cours. Sous forme papier ou en ligne, celui-ci connait des fortunes diverses, selon les habitudes des institutions, des disciplines, et des individus. Les étudiants sont généralement demandeurs de ce support écrit. Certains enseignants le fournissent sytématiquement, d’autres n’en rédigent pas, ou le rédigent dans le cadre de leur préparation sans pour autant le destiner aux étudiants. Ce document est souvent au coeur d’une contradiction pédagogique. Distribuer le poly fait craindre l’absentéisme au cours, les enseignants se heurtant visiblement au problème de convaincre les étudiants français de l’intérêt d’allier présence au cours et lecture du poly. Les étudiants allophones jouissent souvent d’un traitement différent, les enseignants leur donnant les polys lorsque ceux-ci existent. Dans ces cas-là, c’est curieusement par les étudiants étrangers que le poly retrouve une fonction souhaitée par les enseignants mais mise à mal par les étudiants natifs… 1.2 Des discours mis en mémoire L’une des caractéristiques fondamentales des stratégies d’enseignement et d’apprentissage des langues étrangères est la conservation des discours oraux sous forme d’enregistrements, condition nécessaire à l’écoute répétée sur laquelle se fonde le développement de la compétence de compréhension orale. Cette stratégie est absente des autres apprentissages. L’apprentissage de la géographie, de la littérature ou autre discipline, fait appel à la relecture (l’élève relit ses notes, ses manuels, etc.), mais non à la réécoute. Le discours oral ne permet pas le retour sur la parole, d’où l’existence de pratiques intensives de prises de notes en cours magistraux. C’est dans le cadre de cours de disciplines auxquels participaient des étudiants allophones que l’on a vu apparaitre les premiers enregistrements de cours, au début des années 80 (Parpette 2008-1). Ils permettaient aux enseignants de fle d’aider les étudiants qui avaient des difficultés à suivre les cours, en reprenant avec eux l’écoute de certains passages. Par ailleurs, beaucoup d’enseignants de disciplines doivent uploads/Litterature/ quelques-reflexions-sur-formation-linguistique-et-disciplinaire-pdf.pdf

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