1 Les Araignées Émile Blanchard Revue des Deux Mondes, Paris, 1886 Exporté de W
1 Les Araignées Émile Blanchard Revue des Deux Mondes, Paris, 1886 Exporté de Wikisource le 7 novembre 2022 2 LES ARAIGNEES A côté des pages remplies des aventures des héros et des héroïnes de romans, qui amusent, égaient ou passionnent les gens qui recherchent la simple distraction de l’esprit ; tout près des écrits concernant des personnages historiques, récits faits pour captiver les âmes avides de s’instruire des événemens qui ont troublé, élevé ou abaissé les peuples ; à la place même où s’étalent des narrations de voyages divertissantes ou instructives, où se traitent de graves questions économiques qui intéressent le sort des nations civilisées, nous venons parler d’un sujet que la foule dédaigne, méprise, abomine. Il faut compter sur le sens délicat et sur la curiosité de la plupart des lecteurs de la Revue, nous y comptons. Il y a dix ans, on lisait une histoire 3 des fourmis, les bêtes les plus laborieuses comme les plus sociables de la création[1]. Ne voudra-t-on pas aujourd’hui connaître un peu la vie des bêtes les mieux douées sous une infinité de rapports et les plus insociables qu’il y ait au monde : les araignées ? En général, ces êtres inspirent répugnance ou aversion aux personnes qui n’arrêtent guère le regard sur de chétives créatures ; au contraire, ils émerveillent, séduisent, ravissent les observateurs de tous les genres. La raison de la répugnance demeure parfaitement obscure dans l’esprit de ceux qui éprouvent ou manifestent une antipathie. Bêtes venimeuses, dira-t-on, dangereuses même, assure-t-on en différens pays. Certes, les araignées ont un venin qui sert à tuer les insectes dont elles font leur nourriture. Nous pouvons affirmer que, au moins en Europe, nulle espèce n’est à craindre pour l’homme. Sans doute, on sera fondé à blâmer la tenue d’une maison hantée par les araignées ; il s’agit d’hôtes incommodes, on s’en débarrasse. La part de désagrément due à l’espèce qui s’installe trop volontiers dans les habitations étant justement mesurée, il convient de relever les traits qui rendent si intéressant le monde des araignées. Animaux ne vivant que de proie, ils ne sauraient provoquer le dégoût que fait naître la recherche de certains genres d’alimens. Animaux insectivores, ils contribuent à la destruction des bêtes nuisibles à nos végétaux cultivés ; c’est bonne fortune pour le propriétaire si dans le verger ou dans le vignoble les araignées sont nombreuses. Les particularités de la conformation extérieure et mieux encore 4 l’organisation interne, dénoncent des êtres d’une perfection qui ne cesse d’étonner les investigateurs et qui doit inviter à la curiosité tous ceux qui tiennent en estime la connaissance des phénomènes de la vie. Cependant, parfois, dans le monde où l’on s’inquiète peu des humbles et des faibles, l’attention s’éveille sur les araignées. On se prend d’admiration pour les tissus fins et délicats qu’elles confectionnent. Dans l’antiquité grecque, où la poésie florissait dans toutes les circonstances, on attribuait à l’araignée, en considération de son travail, une noble origine. Une jeune Lydienne, la gentille Arachné, incomparable dans l’art de tisser, n’avait pas craint de défier Minerve. Aussitôt punie de son imprudence et de son audace, la gracieuse artiste, dit la fable, condamnée à perdre toutes les séductions de la femme, avait été changée en araignée. En perdant les séductions de la femme, elle conservait son nom et ses talens. Dans les temps modernes, on se laisse entraîner par un courant sympathique en songeant au prisonnier au fond de son cachot ayant pour amie, pour consolation, une araignée qui vient à son appel. Chacun se plaît à voir par la pensée le captif de la Bastille, Pellisson, trompant l’ennui de la journée en considérant de longues heures l’animal qui avait tendu sa toile contre la lucarne de sa misérable cellule. I Dans les deux hémisphères, de la zone torride aux régions les plus froides, vivent des araignées. Sur toute 5 terre, instruits ou ignorans, les hommes distinguent ces êtres, qui frappent par un aspect singulier en même temps que par des aptitudes et des mœurs d’une certaine étrangeté. Sous les tropiques, se rencontrent les espèces les plus grandes comme les plus favorisées par la fraîcheur du coloris ; sous les climats froids ou tempérés, habitent les espèces ou de petite taille ou de nuances sombres ; — elles ont d’autres titres que la parure à notre attention. A s’en rapporter aux méthodes des naturalistes, les araignées composent un ordre de la classe des arachnides : ce sont les aranéides, une division si bien caractérisée, si parfaitement circonscrite, qu’en la nommant, elle se trouve suffisamment désignée. Chez ces animaux la tête et le corselet sont confondus en une seule masse ; en dessus, c’est une sorte de bouclier dorsal qui, vers la partie antérieure, supporte les organes de la vision. D’ordinaire, les yeux sont au nombre de huit, mais, selon les types, ils sont fort diversement groupés. Un aimable observateur, Walckenaer, très connu dans le monde des lettres par ses études sur La Fontaine et sur Mme de Sévigné, eut l’idée de considérer les particularités dans la disposition des yeux, comme des signes propres à faire distinguer les familles et les genres parmi les araignées ; — c’était tout au commencement du siècle. Il y a une vingtaine d’années, on alla plus loin ; de remarquables coïncidences entre la disposition des yeux et les habitudes des espèces avaient été saisies. Après avoir beaucoup observé, avait jailli une nouvelle clarté. Désormais, la disposition des yeux étant 6 reconnue chez une araignée, même une espèce étrangère dont la vie reste ignorée, on saura déclarer avec certitude les conditions d’existence de l’animal ; à peu près, comme si telle araignée disant : Regarde mes yeux, le naturaliste, tout de suite, répondait : Tu vis errante, tu es une chasseresse ; certes, tu n’es pas une recluse qui, dans l’ombre, dissimule sa présence, ou une fileuse solitaire accroupie sur sa toile. Les yeux ne roulent pas dans une orbite comme chez l’homme, les cornées étant simplement une partie tégumentaire qui demeure transparente. L’immobilité est une imperfection relative, un défaut ; mais il y a une compensation ; le nombre des organes diversement orientés supplée au défaut de mobilité et le mode de dispersion ou de groupement des organes répond aux nécessités de la vue de l’animal. Bêtes silencieuses, les araignées, n’ayant jamais à répondre à un appel, doivent être inhabiles à discerner les sons. Des particularités de leur conformation achèvent d’en donner l’assurance. On s’étonnera de l’assertion ; il a été si souvent question du penchant des araignées pour la musique ! Rien ne paraît plus charmant que d’attribuer ce goût délicat à de pauvres créatures fort dédaignées. Cependant, c’est pure illusion et le vrai seul nous importe. Aa bruit des violons et des pianos, on vit des araignées descendre des hauteurs et l’on crut qu’elles voulaient prendre leur part du concert. C’est loin sans doute de la réalité. Les toiles éprouvent des trépidations sous le choc 7 des ondes sonores : les fileuses, remplies d’inquiétude, quittent la place et courent au hasard, affolées par la peur. Au-dessous du front s’avancent deux grosses pièces armées d’un crochet mobile ; ce sont les antennes-pinces, qui logent une glande vénénifique avec son conduit aboutissant près de la pointe du crochet. Tous ceux qui ont regardé l’araignée prenant une mouche auront remarqué comment elle s’empare de sa victime et la pique de façon à la tuer avant de la porter à sa bouche. Au bord de l’orifice buccal de ces êtres qui vivent de matières fluides n’existe qu’une simple languette, et en arrière deux palpes, sortes de pattes-mâchoires toujours très développées. Tout le monde sait, croyons-nous, que les araignées ont quatre paires de pattes, ce qui les différencie bien nettement des insectes, où il n’y en a jamais plus de trois paires. A l’extrémité, ces membres supportent des crochets, et ces crochets, chez la plupart des espèces, sont des instrumens de travail d’une étonnante perfection. On jugera de leur valeur quand bientôt nous allons voir à l’œuvre nos admirables ouvrières. Le corps et les membres sont couverts de poils, de fin duvet, d’épines plus ou moins fortes. Ce sont des organes de tact, parfois d’une exquise sensibilité, implantés dans la peau ; poils, épines et duvet transmettent les impressions reçues par le moindre attouchement. A soumettre au microscope les poils fins d’une araignée, on éprouve des surprises. Ces duvets, qu’on distingue à peine à la vue simple, se montrent tout frangés, tout barbelés ; volontiers, on les prendrait pour des plumes d’une 8 incomparable délicatesse. En considérant la netteté habituelle du vêtement, qui retiendrait si aisément les grains de poussière, on demeure assuré que les araignées ne le cèdent à personne au monde pour les soins de la toilette. Leurs longues pattes munies de griffes rendent un office qui ne laisse rien à désirer. A l’extrémité du corps, se trouvent des tuyaux articulés, mobiles ; la paroi est solide, résistante, le bout est tronqué avec une surface membraneuse, criblée de trous. C’est par ces ouvertures microscopiques que s’échappe uploads/Litterature/ les-araignees.pdf
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- Publié le Jul 06, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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