Jacques Rancière conférence politique de la fiction 2018 On rapporte en général
Jacques Rancière conférence politique de la fiction 2018 On rapporte en général la fiction à l'invention d'être imaginaire. Mais la fiction est une structure de rationalité, un mode de présentation qui rend des choses, des situations, des événements perceptibles et intelligibles. C'est un mode de liaison qui construit des formes de coexistante, de successions et d'enchaînement causal entre des événements, donnant à ces formes d'enchaînement la modalité du possible, du réel ou du nécessaire. Cette double opération est possible où il faut produire un certain sens de réalité et formuler son mode d'intelligibilité. Reconnaître cette nécessite de la fiction n'a rien avoir avec aucune forme de relativisme : il ne s'agit pas de la vérité ou de la fausseté des faits. Il s'agit du mode de rationalité selon lequel on lie des faits. Ainsi politiciens, sociologues, journalistes ou historiens font œuvres de fiction chaque fois qu'ils doivent nommer des sujets, identifier de situations, lier des événement et en déduire ce qui est possible ou impossible. Mais ils l'oublient volontiers afin de se réclamer de la seule réalité. Révéler la réalité cachée derrière la fiction cela permet d'éviter d'interroger les formes fictionnelles qu'on utilise soi- même. C'est pourquoi parfois il peut être utile retourner le jeu : utiliser les formes de la fiction déclarée pour questionner le sens de réalité construit par ces discours qui prétendent être simplement l’expression des choses comme elles sont. 1 La fiction déclarée à un privilège épistémologique : elle n'a pas besoin de nier son caractère de fiction, elle se rend visible comme objet d'une construction de présentation des faits et de la liaison des événements qui se donne ailleurs comme la simple expression de la réalité objective. Elle est propre à nous enseigner les multiples manières de créer un sens de réalité et de lier ce sens de réalité à un certain ordre du monde. La fiction déclarée ne peut pas se contenter d'opposer la fiction à la réalité. Elle doit exposer la différence plus radicale qui sépare la fiction de l'absence de fiction, qui sépare « il arrive quelque chose » et le « il n'arrive rien ». C'est sans doute lorsqu'elle se tient sur cette frontière séparant le quelque chose du rien que la littérature acquière son plus haut pouvoir. C'est là aussi peut être qu'elle acquière sa proposition politique la plus radicale. Cette proposition peut sembler paradoxale, c'est pourtant la thèse d'Auerbach « mimésis, la représentation de la réalité ». Dans son dernier chapitre Auerbach saluait un livre dans lequel il voyait à la fois le couronnement suprême de la littérature occidentale mais aussi la promesse d'une vie commune de l'humanité sur la terre. Or des livres qui brasse les tourments et les espoirs d'une humanité en mutation, il n'en manque certainement pas. Mais celui que choisit Auerbach est apparemment bien loin les grande épopée de la condition humaine : la promenade au phare de V. Woolf, roman qui raconte une soirée et une matinée faites de petits événements insignifiants dans le cercle de famille d'une maison de vacances dans une île. Le passage qu'il choisit de commenter nous raconte vraiment le plus insignifiant des événements domestiques : Mrs Ramsey tricote pour le gardien du phare une paire de chaussette qu'elle essaie sur les jambes de son fils. 2 Comment cette soirée estival dans une famille petite bourgeoise peut annoncer l'avenir de l'humanité ? Deux chapitres plus tôt, Auerbach définissait le réalisme romanesque moderne : « celui ci ne peut représenter l'homme que dans une réalité globale, politique, économique et sociale en pleine évolution. Or cette réalité semble avoir fondu en l'espace de deux chapitres. Mais ce que qui semble avoir disparût avec elle c'est cet enchaînement des actions qui faisait le cœur même de la fiction romanesque. C'est cette double perte, de l'histoire globale et de l'enchaînement des actions que déploré Lucaczs. Lucaczs dénonçait une évolution qui allait du primat de la narration active au règne de la description passive. L'action des fins et des moyens à la Balzac avait fait la place à la description des choses à la Zola, l'une après l'autre, pour arriver à James Joyce où la fragmentation de l'expérience transformait même la vie intérieure des personnages en quelques choses de « statique et réifié ». C'est un peu le même chemin que prend Auerbach, la littérature se détourne de la grande histoire et de l'agencement construit d'intrigue. Cependant pour Auerbach les micros récits de Woolf ne nous détournent pas des enjeux de la communauté humaine, au contraire, ils ouvrent vers son avenir, et s'ils le font, ce n'est pas bien que V. Woolf ruine cet agencement d'action qu'on tenait pour le principe de la fiction, mais parce que elle le ruine. « Ce qui arrive chez Woolf, qui a toujours était tenté par ce genre d’œuvre mais pas toujours avec la même pénétration ni la même maîtrise, c'est de mettre l'accent sur la circonstance quelconque et de l'exploiter non au service d'un enchaînement concertée d'action mais pour elle même. » 3 Il nous dit : l'achèvement suprême de la fiction réaliste occidentale, c'est la destruction de cet enchaînement concertée d'action, qui pourtant semble être la condition minimale de toute fiction. C'est le privilège donné à la circonstance quelconque, « le moment quelconque ». Comment penser cet achèvement en forme de destruction radicale ? Comment est ce que le règne du « moment quelconque » peut présager une nouvelle vie commune sur la terre ? Auerbach ne répond que par des considérations banales, sur le contenu : ces moments concernent les choses élémentaires que les hommes ont en commun. Mais implicitement il en dit un peu plus, le commun en jeu dans le moment quelconque ne concerne pas le contenu du temps mais sa forme même, s'il y a une politique de la fiction elle ne vient pas de la manière dont celle si représente la structure sociale et les conflits sociaux, elle ne vient pas de la sympathie quelle peut susciter pour les opprimés, où de l’énergie qu'elle peut engendrer contre l’oppression, elle vient de cela même qui la fait être comme fiction, c'est à dire une manière d'identifier des événements et de les lier les uns aux autres. En bref : le cœur de la politique de la fiction c'est le traitement du temps. La chose était connu depuis l'antiquité. Sa formulation exemplaire au 9ème chapitre de la poétique d’Aristote : en quoi la poésie est plus philosophique que l'histoire, la poésie comme construction de causalité, car elle dit comment les choses peuvent arriver. Comme conséquence d'un enchaînement de causes et d'effets. La poésie, la fiction, se caractérise en prenant le temps comme principe de réalité. En cela elle s'oppose à l'histoire où à la chronique, qui nous dit comment les choses arrivent les unes après les autres dans leur succession empirique. 4 Ainsi pour Aristote l'action tragique nous montre l'enchaînement des événements parmi lesquels les hommes passent de l’ignorance au savoir et de la fortune à l'infortune. Des hommes qui doivent être pour Aristote « d'une renommée et d'une situation élevée ». En effet pour passer de la fortune à l'infortune, il faut faire partie du monde des hommes dont les actions dépendent des chances de la fortune (qui inversent les conséquences attendus). Donc la rationalité poétique des enchaînements nécessaires ou vrais semblables s'appliquent à ses hommes que l'on disait actif car ils vivent dans le temps des fins que l'action se propose mais aussi cette fin en soi que constitue cette forme privilégié d’inaction que l'on nomme le loisir. Ce temps là s'oppose au temps des hommes dits passifs ou mécaniques, non parce qu’ils ne font rien mais parce que toute leur activité est enfermée dans le cercle des moyens qui visent les fins immédiates de la survie et que l'inaction pour eux n'est jamais que le repos nécessaire entre des dépenses d'énergie. Donc la fiction construite est plus rationnelle que la réalité empirique décrite et cette supériorité et celle d'une temporalité sur une autre. Hiérarchie des formes de vies qui distingue les hommes actifs des hommes passifs par leur manière même d'habiter le temps, le cadre sensible de leur activité et de leur inactivité. Cette hiérarchie des temporalités n'a- t-elle pas était détruite à l'âge moderne ? Le marxisme n'a-t-il pas retourné le jeu ? Avec le marxisme c'est le monde obscure de la production et de la reproduction de la vie matérielle qui devient le principe même de la rationalité causale. L'histoire définit par son cœur, la production de la vie matérielle, qui oppose sa rationalité aux arrangements arbitraire de la fiction. Cette histoire ouvre à ceux qui en saisissent la loi une humanité sans hiérarchie. 5 Marx renverse l'opposition, mais renverser l'opposition c'est encore en maintenir les termes et la structure de leurs rapports. De fait « la science de l'histoire » à reprit à son compte les hiérarchies des temps. Sans doute cette science n'est elle plus ce vain savoir que les héros tragiques acquéraient trop tard en passant uploads/Litterature/ ranciere-politique-fiction-conference.pdf
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- Publié le Dec 06, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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