1 RAPPORT BERGER SUR UNE NOUVELLE ORGANISATION DE LA FICTION SÉRIELLE EN FRANCE

1 RAPPORT BERGER SUR UNE NOUVELLE ORGANISATION DE LA FICTION SÉRIELLE EN FRANCE © Alex Berger 2018-2019 2 Words are sacred. They deserve respect. If you get the right ones, in the right order, you can nudge the world a little. Tom Stoppard Les mots sont sacrés. On leur doit le respect. Si on les choisit bien, dans le bon ordre, alors on peut faire bouger le monde un tout petit peu. More is not better. Only better is better. Richard Plepler Plus n’est pas mieux. Seulement mieux est mieux. 3 PREAMBULE _____________________________________________________________________ Je suis un bâtard culturel. Né aux Etats-Unis et vivant principalement en France depuis 45 ans, je navigue sans cesse entre deux mondes, entre deux cultures. Cette double identité est une richesse. Elle me sert chaque jour à mieux appréhender mon métier et à mieux comprendre les mutations profondes et irréversibles que nous vivons dans le domaine des médias et de la fiction. Elle me permet aussi de réfléchir avec plus d'acuité, de perspective et plus de recul sur des thématiques nombreuses telles que le storytelling, l’écriture, la création ou encore la production de fiction. C'est pourquoi j'ai souhaité que ce rapport, qui m'a été commandé par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), se fonde sur une étude comparative. Le but ? Observer ce qui fonctionne ailleurs, et notamment outre-Atlantique, pour adapter le système français de création et de production de séries TV. Car c’est en examinant comment les leaders du marché́ mondial s’organisent depuis un demi-siècle que l’on trouvera des solutions efficaces à appliquer en France. C’est en tout cas ce que nous avons tenté de faire, Eric Rochant et moi-même, dans le cadre du développement, de l'écriture, du financement et de la production du Bureau des légendes depuis quatre saisons en quatre ans. Je suis également un passionné de fictions. Depuis le plus jeune âge, je suis animé par la volonté profonde de raconter des histoires et de les partager avec le plus grand nombre. C'est pourquoi, j'ai toujours su que je voulais faire ce que je fais aujourd’hui. Ce désir est une chose innée. Enfant, j'inventais des mondes, tantôt en couchant mes idées sur le papier, tantôt en parcourant les prés vosgiens où j’habitais alors. Devenir producteur était donc une évidence. J'ai choisi d'emprunter cette voie pour réaliser mes rêves. J’exerce cette profession depuis plus de 35 ans. A travers mon métier, je peux continuer à vivre de ma passion – imaginer, inventer, transmettre, organiser et structurer des univers et des récits susceptibles d’émouvoir, de donner à réfléchir. Il y a quelque chose de magique dans le fait d'avoir une idée originale ou de s’associer à cette idée pour la faire exister. C’est un moment de grâce absolue. Au cours de ces trois décennies, j'ai également été témoin de changements profonds : on ne crée pas et on ne transmet pas des histoires aujourd'hui comme on le faisait hier. Depuis plusieurs années déjà, nous assistons à des mutations technologiques qui ont fait basculer notre industrie de l’argentique vers le magnétique, de l’analogique vers le numérique et, in fine, vers le tout numérique. Il y a encore trente ans, les programmes télévisuels étaient seulement diffusés sur quelques chaînes hertziennes. Aujourd'hui, ces programmes, via le câble et le satellite, sont diffusés sur une multitude de chaînes numériques, et dans le monde entier : la capacité de diffuser une série 4 à l'échelle planétaire change la manière dont on écrit une histoire, dont on gère son rythme, son style, son ton, mais surtout la façon dont on la développe et on la fabrique. L'arrivée de nouveaux entrants nationaux (Orange, Altice, etc.) et globaux (Disney, Comcast, Netflix, Apple, Amazon, etc.), bouleverse l'écosystème français et oblige les acteurs historiques à se réinventer. Ces plateformes, au moment de l’écriture de ce rapport en 2018, permettent une consommation parfaitement délinéarisée en diffusant des catalogues d’œuvres internationaux. Elles savent que le contenu local est tout aussi capital que le contenu exclusif. En attirant les plus grands talents français (producteurs, auteurs, comédiens), elles enrichissent leur catalogue d'œuvres originales françaises (à l’heure où j’écris ces lignes, seules Marseille et Plan Cœur ont été diffusées par Netflix et Deutsch-Les-Landes par Amazon mais des dizaines de développements sont en cours). Dans le même temps, les pratiques des téléspectateurs, des internautes et des mobinautes ont changé en profondeur. Désormais, ces derniers ne veulent plus attendre plus de 12 à 18 mois pour visionner la prochaine saison de leur série favorite : ils sont attachés à un univers, à un concept, à des personnages et veulent connaître rapidement la suite et la fin de l'intrigue dans laquelle ils se sont embarqués. L’effet « culture instantanée » implique de nourrir le marché abondamment et de pratiquer des prix d’abonnements attractifs (pour atteindre le seuil de masse critique et ensuite le réajuster à la hausse ou changer de modèle). Les plateformes mettent le prix tant pour les catalogues que pour les œuvres originales. Mais elles le font avec un modèle américain de studios créant un ensemble des producteurs et d’ayants droit payés généralement en copyright ou en « fees » (honoraires), en marge et en forfait, sans potentiel de revenus récurrents. Cette rupture crée donc plus de productions mais moins de richesses (surtout chez les créateurs). D’autres changements sont à l’œuvre et redéfinissent les méthodes de création, de financement, de production et de diffusion. C'est le cas, par exemple, de la bande passante : cette mutation technologique a été́ fulgurante. Le volume gigantesque de données que l'on peut désormais transférer dans un laps de temps très court a offert la possibilité́ aux internautes d’accéder à des contenus audiovisuels du monde entier d'une qualité inégalée et avec une rapidité record. Grâce à l’évolution de la bande passante, ce qui était rare et cher est devenu accessible à tous et le coût pour diffuser un contenu est devenu quasi nul (une connexion internet et Youtube suffit). Pour pénétrer un marché, le Cheval de Troie réside dans l’extraterritorialité numérique. 5 La liste de ces changements est encore longue et le but de ce rapport n'est pas d'être exhaustif : il est de prendre la mesure de ce que nous vivons pour adapter en urgence notre modèle. Ce que je crois, c'est que cette révolution nous impose d'agir, d'être réactifs et courageux. Heureusement, nous ne partons pas d'une page blanche : la France est déjà dotée de moyens extraordinaires. Notre pays reste le deuxième exportateur de films de cinéma au monde et l’animation française bat régulièrement des records, rapportant 75 millions d’euros en ventes à l’étranger en 2016. Pourquoi, alors que le cinéma et l’animation made in France sont reconnus pour leur qualité, nos séries peinent-t-elles autant à se faire une place dans le paysage audiovisuel mondial ? Pour le comprendre, et pour tenter de proposer quelques solutions concrètes, j'organiserai mon propos de la manière suivante. En premier lieu, je tenterai de comparer les écosystèmes américain et français pour tenter d'identifier ce que nous pourrions améliorer dans notre pays. Face au leader mondial de créations originales, doté de sociétés géantes qui jouissent d'une véritable suprématie dans le secteur télévisuel et cinématographique, tout démontre que la France doit s'adapter urgemment en s'inspirant des « best practices », de ce qui marche outre-Atlantique mais aussi ailleurs autour de nous. En deuxième lieu, et en m'appuyant notamment sur mon expérience au sein du Bureau des Légendes, je proposerai des recommandations concrètes visant à transformer l'écosystème de la fiction française. Cette refondation se réalisera selon moi en visant trois objectifs : 6 ● placer l'écriture au centre dans un processus précis ; ● responsabiliser l'ensemble des acteurs de l'écosystème dans la transparence ; ● trouver de nouvelles sources de financement. Les pages qui suivent ne ressemblent pas à un rapport formel ou classique. Ce texte se veut résolument efficace et accessible à tous. Il est l'expression de mon point de vue et de mon optimisme, car je sais qu'il est possible de changer les choses, d'adapter les règles et les méthodes françaises. Grâce à Eric Rochant – sans qui beaucoup de ce que je décris plus bas n’aurait pas été possible – et avec l’aide précieuse initiale de Pierre Ziemniak, de Quentin Lafay et des dizaines d’autres collaborateurs, amis, spécialistes et collègues qui ont en commun la passion de leur métier, j'espère pouvoir donner à réfléchir et contribuer à ce que la France occupe la place qu'elle mérite en matière de création de fictions. Je tiens également à remercier le CNC qui me donne l'opportunité de partager et de transmettre mes réflexions, mon éclairage. Je remercie aussi toutes les personnes qui ont accepté de me rencontrer dans le cadre de la rédaction de ce rapport, toutes celles qui ont répondu à mes questions : leurs réflexions sont inestimables et sont venues enrichir très largement le propos qui suit. Ensemble, nous partageons la même ambition : donner à la fiction française récurrente la place qu'elle mérite et hisser la France vers le peloton de tête uploads/Litterature/ rapport-berger-sur-une-nouvelle-organisation-de-la-fiction-serielle-en-france.pdf

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