C. LEPAGE, « La réception française de La novela de mi vida… » Quelques élément
C. LEPAGE, « La réception française de La novela de mi vida… » Quelques éléments de réflexion autour de la réception de La novela de mi vida (Leonardo Padura) en France CAROLINE LEPAGE (AVEC LA COLLABORATION DE DIANA GIL HERRERO ET D'ÉLODIE PEETERS) UNIVERSITÉ PARIS NANTERRE – UR ÉTUDES ROMANES / CRIIA / HLH c.lepage@parisnanterre.fr 1. Quand la traduction de La novela de mi vida (2002) sort en France, en 2003, aux éditions Métailié, dans une traduction d’Elena Zayas et sous le titre Le Palmier et l’étoile, l’auteur, Leonardo Padura n’est pas un inconnu, loin de là. Avec sa fameuse tétralogie havanaise1 et un premier sequel2, il a déjà conquis une très enviable réputation. Aujourd’hui, 18 ans plus tard, pour reprendre Émilie Guyard introduisant le colloque international « Roman noir et journalisme : enquête de vérité », organisé par l’Université de Pau et des Pays de l’Adour en 2019 : « […] on ne présente plus Leonardo Padura, qui est aujourd’hui l’un des écrivains latino-américains les plus célèbres » (en ligne : 2:26). Ce que confirme, entre autres critères, les prix qui lui ont été décernés par les Français, notamment le Roger-Caillois 2011. 2. Les contours de la réception à la fois de son œuvre et de son statut d’auteur, en tant que personne, écrivain et personnage public sont, en effet, solidement établis, sans beaucoup de voix parasites. 3. On vante globalement chez Padura : 1) ses qualités en tant que personne. Renée-Clémentine Lucien a évoqué « son naturel affable, sa chaleur et sa tonicité d’homme caribéen », tandis qu’Adalberto Roque a rapporté une anecdote « significative » de sa « façon d’être » dans les colonnes de La Dépêche : 1 Passé parfait (2001) ; Vents de carême (2004) ; Électre à La Havane (1998), L’Automne à Cuba (2000). 2 Mort d’un chinois à La Havane (2001). Crisol, série numérique - 13 1 C. LEPAGE, « La réception française de La novela de mi vida… » Aujourd'hui, il a rendez-vous avec un ami maçon pour réparer un auvent prêt à s'effondrer [...]. La fin de journée sera consacrée à chercher du sable pour réparer son auvent. Demain, il transportera des gravats avant de se pencher sur l'entretien des quelques bananiers, corossoliers et citronniers de son petit jar- din (2017). 2) Ses talents de plume : • À la fois parmi les universitaires – Paula García Talaván, estime, par exemple : « Il ne fait aucun doute que la clef du succès que connaît Leonardo Padura réside dans la richesse de sa prose, extrêmement soignée » (2017) ; • parmi les journalistes – Michèle Gazier, de Télérama [reproduit sur le site des éditions Métailié], s’émerveille devant « une écriture ample, émouvante et sensuelle » (2003) ; • et parmi les lecteurs lambda – Eminian a formulé l’avis suivant sur Amazon : « Je ne suis pas très au fait du monde littéraire, […] en tout cas, je vous le dis haut et fort, il faut lire Leonardo Padura ! […] il s’agit en fait de pure littérature » (2019). 3) La création de personnages extrêmement réussis, avec un franchissement clair de la frontière entre instances du texte et instances du hors texte, personnages et personnes, en particulier s’agissant du Lieutenant Mario Conde, autour duquel on peut sans exagérer parler de véritable Condemania – il serait même question d’un « fans club » (Mompontet, 2019). Quelques exemples de ce que disent ces passionnés. notre détective préféré, Mario Conde (Mompontet, 2019) notre cher Mario […] (Bazart, Babelio, 2019) ; Conde […] est attachant (Carre, Babelio, 2012) ; Conde est devenu mon copain (Tessier, Chantiers de Culture, 2019) ; Tout d'abord, il y a eu un coup de foudre pour […] Mario Conde […] (Stel- phique, Babelio, 2019) ; 4) La capacité à exprimer l’identité, voire l’âme cubaine. Que de souvenirs, ces souvenirs qui me hantent et me laissent songeuse, recherchant encore et toujours l'odeur, le bruit, la musique, de la Havane et de Cuba… Merci, Monsieur Padura ! (Christine Beausson, Babelio, 2020) ; 2 Crisol, série numérique - 13 C. LEPAGE, « La réception française de La novela de mi vida… » J’aime tout particulièrement tous les passages consacrés à ces soirées débor- dantes d’amitié, d’amour, arrosées de rhum et nourries des plats savoureux de Josefina (sur le blog La livrophage, 2014). 4. Au point que Padura devient le meilleur ambassadeur de l’île : Chaque page est une poésie qui donne envie de s'envoler vers une Cuba trouble et fascinante (Stéphane, Fnac, 2016). Nul meilleur guide que Leonardo Padura et ses enquêtes policières pour découvrir les recoins les plus secrets de la vie cubaine, et c’est avec l’inspecteur Mario Conde qu’il faut absolument visiter le Barrio Chino de La Havane (Pierre Laye, Pensée sur la planète, 2016). 5. Philippe Lançon résume : « l’œuvre de Padura incarne l’histoire de l’île » (Lançon, 2016). 5) La construction d’un vrai portrait de la réalité sociale de l’île. Pour Lizette Mora : En la literatura de Padura, tenemos un medio de encuentro con lo real, con aquello que tuvo “un efecto traumático… pero produjo un efecto beneficioso” en las letras cubanas para proyectar la realidad cubana en el exterior… (Mora, 2017). 6) Le courage de formuler les critiques qu’il faut, et comme il faut, du régime, que ce soit en tant que citoyen ou en tant qu’écrivain. Thierry Clermont considère, pour Le Figaro, que : « Leonardo Padura […] ne s'est jamais privé de critiquer le régime castriste, dans la presse étrangère » (2015). Dans une présentation sur France Culture intitulée « Pâte molle et dissidence », Antoine Guillot estime : « C’est sûr que si Padura se contentait d’écrire fadement sur du fromage de la même eau, il aurait moins d’ennuis… » (2014). Renée-Clémentine Lucien observe, elle : […] un indéniable rayonnement et sa liberté d’expression manifeste dans nos échanges sur sa conception de la littérature et des spécificités de celle-ci à Cuba, dans un pays où la presse est limitée ; ils ne se seraient pas épanouis sans un franc-parler qui vous met à votre aise tout en vous plongeant dans une certaine perplexité car il va à l’encontre même de l’idée qui prévaut communément que les verrouillages à l’œuvre dans la société cubaine brouillent toute vision critique du monde environnant (2017). Crisol, série numérique - 13 3 C. LEPAGE, « La réception française de La novela de mi vida… » À propos de la tétralogie, Néstor Ponce a fait l’analyse suivante : Autour du Conde, nous retrouvons ses anciens camarades d’études. Chacun d’entre eux fonctionne, du point du vue narratif, comme une clef pour aborder les aspects traumatisants de l’histoire cubaine récente. Ces personnages, plus ou moins intégrés à un moment de leur vie au système, qui partagent le même “panthéon laïc”, ont comme point commun un regard critique vis-à-vis du régime, la reconnaissance de ses réalisations mais aussi la conscience de ses échecs, échecs aggravés par une version de l’histoire – et du présent – qui a été faussée, l’utilisation d’un langage qui, jouant sur l’affectif, construit une critique politique. Ils occupent ainsi un territoire de contestation dans la société cubaine, contestation de l’intérieur qui revendique la mémoire comme source identitaire populaire. Les rapports de Conde avec les autres policiers permettent de complé- ter le visage de la société, voire de la démasquer (2010 ; §16). 7) son importance dans l’Histoire littéraire cubaine, en l’occurrence en tant que père du néo-polar cubain. Julie Malaure estime, pour Le Point : Padura, avec son Mario Conde, fait également figure de père d'un nouveau genre, le polar social. À la façon de Jean-Patrick Manchette avec le “néopolar” dans la France des années 70, repris par Paco Ignacio Taibo II au Mexique, l'ar- rivée de Padura dans la sphère littéraire marque un cap (2015). 8) la profondeur lui permettant de mener une réflexion sur la littérature dans ce qu’elle peut apporter à la compréhension du réel en général, au- delà du seul cas cubain : « Desde la ficción Padura muestra los desafíos y los límites en la búsqueda de la verdad, una impecable exploración de la historia y sus modos de contarla » (Darío Villanueva, 2015). Dans Le Nouveau Magazine Littéraire, Jacinta Cremades n’a pas hésité à aller jusqu’au dithyrambe, estimant que Padura « parle certes de son pays, mais, sous l'écume des Caraïbes, c'est toute l'humanité qui frémit » (2019). 6. Une très enviable réputation, en effet, et, surtout, au début des années 2000 déjà, une voie confortablement tracée pour satisfaire un public désor- mais captif. Sauf que Padura l’a dit lui-même : « Au début, l'unité de style et de structure des romans de Mario Conde me convenait, mais à partir d'un moment, c'est devenu une prison » (Padura – Paranagua, 2014). 7. Sensation d’enfermement, donc…, ambition légitime de se renouveler et d’élargir ses horizons. Un défi pour soi-même en tant qu’écrivain et un pari risqué vis-à-vis de son lectorat pour un auteur entré dans le monde des lettres avec une série uploads/Litterature/ reception-de-la-novela-de-mi-vida-en-france.pdf
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- Publié le Fev 08, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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