SOUVENIRS ET NOSTALGIE 2008 NOSTALGIE Issu des mots grecs n stov (« retour ») e
SOUVENIRS ET NOSTALGIE 2008 NOSTALGIE Issu des mots grecs n stov (« retour ») et algov (« souffrance »), le terme « nostalgie » indique par sa seule étymologie un état d'âme, une humeur au sens allemand de Gemütsstimmung, qui, du champ médical auquel il appartint d'abord, gagna ensuite les champs littéraire et philosophique, en particulier sous la figure du Sehnsucht des romantiques allemands. C'est dire déjà, pour suivre ces derniers, que la nostalgie ou encore l'aspiration douloureuse - la « désirance », selon une nouvelle traduction de Freud - tendrait vers un passé regretté auquel l'imagination, aiguisée par les vicissitudes de l'existence et les contraintes de la réalité, prêterait toutes les ressources de la consolation. On conçoit bien d'après ces présupposés la source féconde à laquelle s'abreuva toute l'esthétique romantique allemande qui, de la « conscience malheureuse » de Hegel, s'élargit bientôt à la quête de l'unité magique de Novalis ; et l'on conçoit aussi l'intérêt pour cette humeur spécifique de la nouvelle psychologie, c'est-à-dire la psychanalyse, dans la mesure où la dynamique psychique qu'elle s'efforce de décrire repose nécessairement sur l'abandon de jouissances auxquelles le sujet ne cessera de vouloir revenir par les chemins de la fantaisie (Phantasie). À de telles réflexions invite la nostalgie, grosse du regret amer des amours enfantines et, plus loin encore, de la Terre mère dans l'absolu du lien fusionnel. 1. Une histoire médicale C'est en 1688 que le médecin suisse Johannes Hofer introduisit dans la nosologie médicale la nostalgia comme une maladie proche de la mélancolie qui renvoyait exclusivement au désir du retour dans la patrie, dans le pays des origines. Versé dans l'étude du « mal du pays » (Heimweh), il lui fallut créer un mot qui pût signifier une affection véritable, digne de rentrer dans le vaste registre des maladies, et auquel pût correspondre cet état de tristesse et de léthargie qui envahissait les jeunes Suisses lorsqu'ils séjournaient à l'étranger. « La nostalgie, écrit-il dans sa Dissertatio medica, naît d'un dérèglement de l'imagination, d'où il résulte que le suc nerveux prend toujours une seule et même direction dans le cerveau et, de ce fait, n'éveille qu'une seule et même idée, le désir du retour dans la patrie. » Et, à l'instar de ce qui se passe dans la mélancolie, le malade ne peut s'intéresser à rien d'autre qu'à cette aspiration intense au retour qui s'est bientôt transformée en idée fixe. Aussi bien, à partir de la découverte de J. Hofer, s'est-on beaucoup penché sur la difficulté des Suisses à s'éloigner de leur patrie, que l'air du ranz des vaches, le Kuhreihen, a contribué à illustrer de façon légendaire. « Cet air si chéri des Suisses, d'après Jean-Jacques Rousseau, qu'il fut défendu, sous peine de mort, de le jouer dans leurs troupes, parce qu'il faisoit fondre en larmes, déserter ou mourir ceux qui l'entendoient, tant il excitoit en eux l'ardent désir de revoir leur pays. » Mais, bientôt, la nostalgie cessa d'être l'apanage des Suisses expatriés et fit l'objet, durant tout le XVIIIe siècle, de savantes études de la part des médecins allemands dont les principales conclusions faisaient ressortir, outre l'engorgement des viscères et le ralentissement des fonctions, l'inutilité de tout traitement autre que celui du retour au pays natal (Leopold Auenbrugger, Johann Friedrich Cartheuser, Johann Friedrich Blumenbach...). Quant aux médecins français, c'est plus tardivement qu'ils considérèrent la nostalgie comme une maladie, d'abord MALLEKH Mohamed Habib Page 1 SOUVENIRS ET NOSTALGIE 2008 avec Meyserey, médecin du roi, ancien médecin des armées royales d'Italie et d'Allemagne, qui en adopta le terme en 1754 en soulignant les possibilités de simulation que comportait ce type d'affection. Dans le contexte politique particulièrement agité de la France en cette période, Meyserey fut bientôt suivi par un grand nombre de médecins des armées qui décelaient dans les régiments les affres de ce mal pernicieux. Ainsi Thiers explique-t-il le relâchement des soldats de la Révolution : « Le mécontentement de l'armée ne provenait ni des fatigues, ni des dangers, ni surtout des privations, car l'armée ne manquait de rien, mais de l'amour du pays, qui poursuit les Français en tout lieu. » Le XIXe siècle, avec Philippe Pinel, Étienne Esquirol, Étienne Georget, Alexandre Brierre de Boismont et É. Du Vivier, qui inclurent pour l'essentiel la nostalgie dans la mélancolie, ne lui réserva pas une place de premier plan, excepté l'école du Val-de-Grâce, qui, dans une perspective plutôt organiciste, poursuivit l'étude de cette affection auprès des soldats des troupes de la Ire République et du Ier Empire (Jean-Dominique Larrey, Louis-Jacques Begin, René-Nicolas Dufriche, baron Desgenettes, Pierre-François Percy...). Il faudra donc attendre la fin du siècle et la guerre de 1870 pour que soit réhabilitée la nostalgie au titre d'une disposition ou altération malheureuse de l'âme, avec le couronnement par l'Académie de médecine en 1873 du mémoire du médecin militaire Auguste Haspel et la publication, la même année, de celui d'Auguste Benoist de La Grandière : ils font tous les deux porter l'accent sur l'autonomie de la maladie et sur son indépendance par rapport à des lésions organiques éventuelles. « La nostalgie est en effet une maladie, écrit Benoist de La Grandière, et nous pensons, en l'absence de toute lésion primitive et appréciable du système nerveux, qu'elle doit être considérée comme une névrose essentielle de cette partie du système nerveux qui est l'organe de l'imagination et de la mémoire ; et, comme il est impossible, dans l'état actuel de la science, d'en déterminer le siège, nous dirons que la nostalgie est une névrose du système nerveux central. » Mais ces deux mémoires ne parviendront pas cependant, à la veille du XXe siècle, à maintenir la nostalgie comme une entité nosologique à part entière. Aussi bien, que ce soit en Allemagne, où elle sera le plus souvent présentée comme une variété de la mélancolie ou des états dépressifs (Wilhelm Griesinger, Richard Krafft- Ebing, Emil Kraepelin), ou en France, où elle sera plutôt versée au compte de la neurasthénie de Georges Beard, la nostalgie semble-t-elle avoir changé de registre et incité à de toutes autres investigations, celles qui sont nécessairement héritées du vaste courant romantique allemand, desquelles se rapprochera encore la psychanalyse, bien plus que de la médecine. Ainsi, la quête incessante qui porte l'individu à revenir sur les traces d'un passé révolu, prémices anachroniques d'une jouissance impossible ; ainsi encore le paradis perdu des amours enfantines, où le désir asexué s'offrait dans une plasticité polymorphe. Et, quand l'aspiration douloureuse à l'harmonie universelle du romantisme rejoint le fantasme des origines de la psychanalyse, c'est le mythe qu'on rencontre nécessairement, le mythe de l'éternel retour qui, dorénavant, fera de la nostalgie un véritable concept opératoire. 2. Un concept philosophique On connaît l'image romantique du voyageur à la recherche d'une terre d'accueil ; et l'on sait déjà que le mirage du port s'évanouira au fur et à mesure que le voyageur s'en approchera. Rappelons à ce propos l'importance des cycles musicaux de Schubert, qui, sur les poèmes de Wilhelm Müller dans le Voyage d'hiver, condamnera le voyageur à l'errance sans fin sur la ritournelle répétitive d'un violoneux. La marche MALLEKH Mohamed Habib Page 2 SOUVENIRS ET NOSTALGIE 2008 ne s'arrête jamais et son but semble se perdre dans un perpétuel ailleurs, à moins qu'il ne soit déjà perdu dans un passé révolu. Telle s'énonce la problématique romantique de la nostalgie, si bien exaltée par un nouveau genre de « littérature éthique » que préparaient déjà de longue date des penseurs tels que Kant, Jacobi et Hegel. C'est le philosophe de Königsberg qui le premier dépasse la seule question du retour pour interroger le lieu même de l'aspiration dans ce qu'il présente de psychologiquement illusoire et, par conséquent, décevant : « Les Suisses ainsi que les Westphaliens et les Poméraniens de certaines régions, à ce que m'a raconté un général expérimenté, sont saisis du mal du pays [Heimweh], surtout quand on les transplante dans d'autres contrées ; c'est par le retour des images de l'insouciance et de la vie de bon voisinage, du temps de leur jeunesse, l'effet de la nostalgie [Sehnsucht] pour les lieux où ils ont connu les joies de l'existence ; revenus plus tard chez eux, ils sont très déçus [getauscht] dans leur attente, et se trouvent ainsi guéris ; sans doute pensent-ils que tout s'est transformé ; mais, en fait, c'est qu'ils n'ont pu y ramener leur jeunesse... » Kant révèle donc l'aspect trompeur de la croyance en un temps passé de la jeunesse caractérisé principalement par l'insouciance, entendue comme la mise à l'écart des contraintes de la réalité ; et, plutôt que d'insister sur l'aspect héraclitéen d'une telle situation qui va contre le souhait des retrouvailles, il réinterroge les transformations psychiques du sujet lui-même dont ce dernier ne se doutait pas. Or, du principe de réalité rendu manifeste dans la déception à la persistance du souhait fantasmatique, la question se déplace qui nous fait douter de cette aspiration à retrouver un état de bonheur perdu, dans la mesure où la réalité (Wirklichkeit) de celui-ci se voit dorénavant remise en cause. uploads/Litterature/ souvenirsetnostalgie.pdf
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- Publié le Sep 09, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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