RECIT FANTASTIQUE ET TRADUCTION. Lorsque l'on parle de traduction littéraire on
RECIT FANTASTIQUE ET TRADUCTION. Lorsque l'on parle de traduction littéraire on fait souvent état de la difficulté et de l'envergure d'une entreprise qui suppose que le traducteur doit tenter de tout traduire, d'imbriquer tous les aspects de la traduction. Cette entreprise s'avere tres souvent arduo et Ton assiste done a certains choix du traducteur qui privilegie tantót certains aspects, tantót d'autres organisant la traduction autour de temps forts oü l'on doit tenter de tout traduire et de temps faibles oü l'on pourrait se pcrmcttre, disons, une certaine souplesse, qui selon Efim Etkind consistcrait á "ctablir la dominante (et) choisir au plus juste ce qui doit étre sacrifié-' car "la practique traductrice est une pratique potentiellement critique (de mise en crise), en tant qu'elle est une activitc seconde, dédoublec, nccessairement réflexive." Dans cette perspcctive analytique j'aimerais me pencher sur certains aspects de la traduction des récits fantastiques dans la mesure oíi le fantastique se situé essentiellemcnt dans le langage, dans l'écriture, et que la fissure du rccl apparaít au détour de certains mots qui seront par conscqucnt les élémcnts de la traduction á mettre au premier plan alors que les autrcs pourraient rester plus ou moins dans l'ombre. Je proposerai ici une des lecturcs possibles, et done une des traductions possibles d'un récit fantastique Le Ilorla de Guy de Maupassant et j'analyserai la dominante sur laquellc devra porter la reflexión du traducteur. Le ¡¡orla fait partie des récits fantastiques oü le narrateur se trouve en présencc de l'innomable, de l'indescriptible, de l'immontrable, et est done plus complexe dans la perspective de la traduction que d'autres récits de Maupassant oü l'événement extraor- dinaire est nommé d'emblée (La main, Qui sait?) et consiste en un comportement fantastique de choses ou d'étres dont l'existence n'a pas été mise en doute. Face á cet irmomable, a cet indicible du ¡¡orla l'attention devra se centrer sur ce que Jean Bcllcmin-Nocl appelle la "réthorique particulicre" qui est mobilisée pour évoquer l'indicible, "le suggércr", imposer sa "présence" a travers les mots^. Dans un premier temps dans ce récit, pour nommcr le phénomene fantastique le narrateur répcte six fois le pronom indéfíni ON. 1- "on marchait sur mes talons" (p.916)' 2- "on avait done bu cette eau? Qui? Moi? moi sans doute" (p.919) 3- "on a encoré bu toute ma carafe" (p.920) 4- "on a bu -j'ai bu-" (p.920) 5- "On n'a touché ni au vin ni aux fraises" (p.920) 6- "On n'a touché á rien" (p.920). de lui-mcmc et pense qu'il est. pcut-cttc l'aulcui inconscienl de \ Sx'sp'MVÍwn íie'íeau cx ím^a1X. teXXe \ois encoré nous trouvons deux fois le pronom indéfíni ON. 1- "on avait bu toute l'eau" (p. 920) 2- "on avait bu le lait" (p.920). ETKIND, Efim (1982): Un arí en crise. Essai de poétique de la traduction poétique. Laussanne . L'Age d'llomme, p. 12. ^- "Notes sur le fantastique (Tcxtes de Thcophile Gauthier)". Littérature n- 8, Déccmbre, 1972. p.5. (1979): "Le Horla" in Coníes et Nouveltes (t. H). París, Gallimard. LaPléiadc.p. 913-938. Claudine LECRIVAIN, Universidad de Cádiz. Par la suite le "monstre" fantastique est per9U comme un étre invisible, et alors le narrateur pour le nommer utilise le pronom personnel IL et finalement c'est l'Etre lui- mcme qui lui dit son nom "Le Horla". Ces quatre phrases de la progression vont permettre l'effet fantastique, et sont done les étapes cruciales qui nous intcressent pour maintenir la progression de cet effet dans le texte de la langue d'arrivée. La présence du pronom indéfini ON, qui á lui seul est déjá une clef de ce récit fantastique, doit étre cernee de prés par le traducteur car O N est une sorte de non-information, de marque zéro qui ne porte aucune marque spécifique de pcrsoime et recouvre une troisicme personne sans genre et sans nombre et il nous faut ajouter égalcment que ce pronom peut éventuellement se substituer aux pronoms personnels de la premiére et de la deuxicme personne. Ce pronom absorbe des contraires et des oppositions et introduit par conséquent une nette ambiguité, multipliant les possibilités de signifiés. Dans la premiére phase du récit de Maupassant le pronom indéfini ON est en mcme temps présence et absence. Cependant il nous faut remarqucr que dans la premiére phase la possibilité que O N soit le narrateur est nuancée aussitót par la présence d'une premiére personne qui ecarte quelque peu l'ambiguité. Le recours á la troisicme personne du pluriel en espagnol pour traduire le vide et le trop plein que suppose l'indéfini O N semble done une solution qui maintient le doute sur l'identité du phénomene. Par contre dans la deuxicme phase lorsque le narrateur sent qu'il devient fou la traduction en espagnol doit aborder ce qui est ambiguité de signifiés. Nous voyons comment deux possibilités quant á l'identité de ce O N commence á s'insinuer dans le texte sans que nous ayons á faire un choix: ou bien O N représente le narrateur atteint de troubles mentaux ou de somnambulisme, ou bien O N re- présente un ou des étre(s) animc(s) et inconnu(s). Cette fois il faud abandonner la traduction de O N comme dans la phase antérieure par une troisicme personne du pluriel ("se habían bebido todo el agua") qui maintient l'indéfinition mais n'inclut pas en mcme temps la possibilité de la premiére personne, la possibilité de la maladie mentale. n faut rejcter également la traduction de O N par "alguien" car il se trouve que dans le texte original le narrateur emploie le pronom "quelqu'un" lorsque la focalisation est différente, lorsqu'il rapporte les commentaires de ses domestiques et lorsqu'il raconte un cauchemar qu'il a fait. De meme il est impossible de traduire par "aquello" car on écarterait encoré une fois le narrateur comme sujet possible de l'action. On pourrait songer également au pronom indéfini "uno", mais l'existence d'une variation en genre ("una") nous parallélement comme une premiére personne. Mais celle soVuüonX'ncofiquc passc ina\ Xexle en espagno"!. Done si le texte original se meut dans un réseau d'indéfinition et d'incertitude qu'il faut absolument respecter sous peine de l'amputer et de le transformer car i l est nécessaire que l e narrateur vive l'événement comme l a possibilité d'une maladie mentale et qu'il la rejette ultérieurement pour que puisse s'enchainer de fa9on coherente la suite des événements, il nous semble nécessaire de rejeter les traductions traditiormelles de O N et de songer á une autre solution qui maintiendrait Tambiguíté. II serait sans doute beaucoup plus fructueux pour respecter la progression de l'effet fantastique d'avoir recours a l'usage impersonnel de "haber" ("ya no había agua", "ya no había leche") ou de 137 "quedar" ("no quedaba agua", "no quedaba leche"). L'absence de pronom sujet fait alors entrer le texte espagnol dans le jeu de la dualité: l'absence de pronom serait reflet d'absence mentale (ON=moi) et en méme temps reflet de l'absensce matérielle de l'étre animé (ON=tm autre) et maintiendrait rambiguité du texte original. Dans la phrase "ya no había agua", les deux explications sont encoré possibles et l'effet fantastique peut alors progresser comme dans le texte original. J'aborderai maintenant la seconde difficulté de la traduction de ce récit. Aprés la troisiéme phase oü le narrateur finit par se convaincre de l'existence d'un étre invisible (emploi de IL, passage de l'indéfinition, de la double explication, a la définition) nous passons de l'absence de référence a l'excés de référence du nom Le Horla, référence unique et définition. Jean Arrouye dans un article sur l'illustration fantastique' en parle comme d'un "nom emblématique de l'impossibilité de trouver un denoté spatialement limité" qui fait référence a un étre hors-lá, hors du monde réel du narrateur. Nous voici passés cette fois á un autre extreme. II ne s'agit plus de respecter l'indéfinition mais de transmettre cette surcharge de définition, ce resume de l'essence du phénomene fantastique, qui n'est plus le double intérieur qui tentait de se manifester (ON) mais l'étre extérieur qui envahit le narrateur, qui le hante afin de devenir son double. Pour que la réalité puisse se décomposer le texte lui est rigoureusement composé et doit done étre rigoureusement traduit. II faudrait reprendre pour traduire "Horla" la notion d'une nature presque parfaite qu'on ne peut ni connaítre, ni toucher, ni voir, "ce corps nouveau" d'une "race sumaturelle" comme essaie de le definir Maupassant. Ici la traduction se complique et pour l'instant je ne vois pas autre chose qu'une caractéristique plus genérale et beaucoup plus explicite en espagnol "el Invisible" ou bien "el Otro", "el Más Allá" mais il faudrait alors changer le titre du récit afin de ne pas anticiper au lecteur l'information sur la nature du phénomene. Cet exemple de la traduction d'un récit fantastique qui pour signifier la présence de l'innomable ne s'en tient pas a la comparaison, a la modulation, au paradoxe, a certains mots-outils (du type "cela"), ou á des verbes comme "ressembler", "paraitre" ne fait que nous confirmer la nécessité pour toute traduction d'une premiére phase d'analyse et d'identification des éléments qui participent de fafon inamovible a l'élaboration du sens du récit, (ici récit fantasti- que) mais la démarche uploads/Litterature/ recit-fantastique-et-traduction-pdf.pdf
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- Publié le Sep 30, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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