Il était une fois un « homme de plaisir et de passions, typique dévorateur de c

Il était une fois un « homme de plaisir et de passions, typique dévorateur de chaque moment, et qui plus est, favorisé par le destin d’aventures fantastiques, par l’esprit d’une mémoire démoniaque et par le caractère d’une absence absolue de scrupules. » (S. Zweig, Trois poètes de leur vie, Livre de Poche, p. 136) Il était une fois l’histoire de Giacomo Casanova qui raconta son extraordinaire vie « sans ménagement moral, sans édulcorant poétique, sans chamarrure philosophique, tout objectivement, telle qu’elle fut : passionnée, dangereuse, avec des périodes de gueuserie, outrancière, amusante, vulgaire, insolente, effrontée, friponne, mais toujours pleine de ressort et d’imprévu ». Il la raconta « non pas par ambition littéraire ou vantardise dogmatique, par repentir ou par une rage de confession tournant à l’exhibitionnisme, [mais] comme un vétéran, à une table d’auberge, la pipe à la bouche, [qui] régale ses auditeurs sans préjugés de quelques aventures salées et même poivrées ». (S. Zweig, op. cit., p. 137) L’écriture fut-elle pour Casanova une autre aventure, semblable à celles qu’il avait déjà expérimentées ? Ce fut son ultime expérience, au crépuscule de sa vie, lui qui savait qu’il allait mourir, et qui détestait cette idée. Elle lui restituait, comme un miroir, sa voix, son corps, ses pensées, ses désirs, l’image des lieux qu’il avait visités, les personnes qu’il avait rencontrées. L’Histoire de ma vie fut son dernier théâtre, sa dernière scène, là où il s’exposa une dernière fois, lui qui ne pouvait vivre sans public, qui n’existait que par ou pour les autres. Il a raconté, conté, murmuré sa vie. Il l’a pleurée aussi, peut-être… et l’a offerte à « ceux qui à force d’avoir vécu sont devenus insusceptibles de séduction et qui à force d’avoir demeuré dans le feu sont devenus Salamandres ». Histoire de ma vie de Giacomo Casanova, chevalier de Seingalt Rédaction : Caroline Doridot L’auditeur excite le rôle, la louange accroît la vertu et la gloire est un stimulant puissant. Ovide, Pontiques, IV, 2, 35 Salamandra, BnF, Réserve des livres rares, 1618 Portrait de G. Casanova d’Anton Raphael Mengs, vers 1760 BnF, Estampes, BnF, N-2, D-105442 1785-1798 : les dernières années de Casanova au château de Dux Le château de Dux en Bohême, emblème du pouvoir de la famille Waldstein, conserve aujourd’hui les traces de la présence de Casanova. Au milieu de la bibliothèque se trouve une porte dérobée qui ouvre sur une pièce à peine éclairée, où un mannequin de cire porte perruque. Il est en train d’écrire, et son bureau est constellé de papiers, de dossiers… Une lumière rouge éclaire la table dans une mise en scène qui ressemble à celles du musée Grévin. Casanova empaillé, momifié ! Comme le dit Philippe Sollers, « on aimerait parfois que les murs parlent ». Son corps repose en l’église Santa Barbara, près du château. Sur la façade, on peut lire la plaque suivante, en allemand : « Jakob Casanova, Venedig, 1725, Dux, 1798 ». Le Prince de Ligne, J.-P. Pichier, 1789, BnF, Estampes N-2 Le château de Dux (Duchcov) au xviiie siècle sur une tabatière en émail et cuivre. Photographe : Marta Pavliková La somptueuse résidence des comtes de Waldstein se situe au nord-ouest de la Bohême. L’exposition du château présente les appartements de Giacomo Casanova qui y a séjourné en tant que bibliothécaire, les treize dernières années de sa vie. De nos jours, le château est administré par l’Institut national des monuments de la République tchèque. 1785-1798 : la vie au château de Dux ou l’apprentissage de la solitude En septembre 1785, Casanova accepte la proposition du comte de Waldstein : s’installer dans son château de Dux, en Bohême, afin de s’occuper des 40 000 livres et manuscrits que comporte sa bibliothèque. Après avoir parcouru presque toute l’Europe du nord au sud, d’est en ouest, Casanova choisit enfin l’immobilité. Il a 60 ans. Il a vieilli. Il est fatigué et veut bénéficier désormais de la protection du comte. Le travail de bibliothécaire ne l’intéresse guère, et les querelles et mesquineries constantes du personnel du château (le régisseur Feldkirchner et son « mignon », le courrier Wiederholt) occupent tout son temps, lorsqu’il n’écrit pas. Même dans son cabinet, il est poursuivi par la femme de chambre qui jette ses pages manuscrites, les prenant pour des « papiers sales ». Il en vient à voir dans leur comportement comme la main lointaine des « Jacobins » français ! La Révolution française le poursuit. Son goût immodéré pour la cuisine italienne s’impose comme un principe de survie, même si le cuisinier le prive de ses macaronis préférés lorsqu’il le peut. Dans le village qui jouxte le château, il arpente une unique rue, sans société à côtoyer ni à charmer. Le comte est très souvent absent et Casanova quitte alors Dux pour de brefs séjours à Prague, Dresde, Teplitz, Berlin, Hambourg. C’est au cours d’un de ses voyages qu’il fera la rencontre de Mozart et Da Ponte et collaborera au livret de Don Giovanni. C’est dans cette solitude qu’il s’adonne à corps perdu à l’écriture : « J’écris treize heures par jour, qui me passent comme treize minutes. » ; « J’écris du matin au soir, et je peux vous assurer que j’écris même en dormant, car je rêve toujours d’écrire. » (Lettre à son ami Opiz, Correspondance avec J. F. Opiz, éd. fr. Kohl et Otto Pick, Leipzig, Kurt Wolff, 1913) Les dernières années de sa vie ont été la condition de « son immersion absolue dans la vie de l’écriture, vie autre, secrète, et en regard de laquelle l’enfermement (qu’il soit volontaire, infligé par la maladie comme dans le cas de Proust, imposé en châtiment comme pour Sade à Vincennes et à la Bastille, Jean Genet, ou Victor Hugo exilé) a aussi, et paradoxalement, la signification d’une chance ». (Chantal Thomas, Casanova, la passion de la liberté, catalogue BnF, 2011) Le comte de Waldstein, Prince de Ligne (1735-1814) et Casanova Le comte est un seigneur belge de haut rang, un diplomate européen, un homme d’esprit qui se décrit volontiers comme athée, un homme politique important, espion à ses heures. À Paris, il sera en mission secrète, dans le but de faire évader Louis XVI et sa famille alors emprisonnée. Il meurt lors du congrès de Vienne en 1814 où, en compagnie de Talleyrand et de Metternich, il tente de redéfinir l’Europe après « l’épisode » napoléonien. C’est un libertin, philosophe et ami de Voltaire, le confident de tous les rois et reines d’Europe, mais aussi un écrivain de valeur. Goethe dira de lui qu’il aura été « l’homme le plus joyeux de son siècle ». Ses œuvres (33 volumes), publiées en français entre 1795 et 1809 à Vienne, contiennent les Fragments sur Casanova et Aventuros. Le comte admire Casanova mais le jalouse aussi. Il sera le premier lecteur des Mémoires du Vénitien. Voilà ce qu’il écrit à propos de Soyez Pétrone, vous qui en même temps êtes souvent Horace, Montesquieu et Jean-Jacques. J’aime mieux le Jacques qui n’est pas un Jean, car vous êtes gai, il est arbitraire. Vous êtes gourmand, il met de la vertu dans les légumes. Vous avez cueilli trente roses de virginité, il n’a cueilli que de la pervenche. Vous êtes reconnaissant, sensible et confiant, il était ingrat et soupçonneux. Vous avez toujours été fouteur..., et ainsi qu’il nous le dit gravement mais avec éloquence, il s’est toujours br... Lettre du Prince de Ligne à Casanova, Vienne, 21 mars 1794, tirée du livre : Prince de Ligne, Pensées, portraits et lettres à Casanova et à la marquise de Coigny, Rivages poche son bibliothécaire et ami ! « Il est fier, parce qu’il n’est rien et qu’il n’a rien. Rentier, ou financier, ou grand seigneur, il aurait été peut-être facile à vivre. Mais, qu’on ne le contrarie point, surtout que l’on ne rie point, mais qu’on le lise ou qu’on l’écoute, car son amour-propre est toujours sous les armes : ne lui dites jamais que vous savez l’histoire qu’il va vous conter ; ayez l’air de l’entendre pour la première fois. Ne manquez pas de lui faire la révérence, car un rien vous en fera un ennemi : sa prodigieuse imagination, la vivacité de son pays, ses voyages, tous les métiers qu’il a faits, sa fermeté dans l’absence de tous ses biens moraux et physiques, en font un homme rare, précieux à rencontrer, digne même de considération et de beaucoup d’amitié de la part du petit nombre de personnes qui trouvent grâce devant lui. » (Aventuros, extraits, dans Histoire de ma fuite des Plombs, collection 10/18, p. 220-221) Casanova ou la fièvre d’écrire Pendant les treize dernières années de sa vie, Casanova n’écrit pas simplement ses Mémoires. Il écrit sans arrêt, et la diversité des thèmes abordés témoigne d’un grand savoir et d’une vraie liberté de penser. 1786 Publication du Soliloque d’un penseur. Une réflexion philosophique sur l’imposture et la duperie. 1788 Il écrit un roman utopique, L’Icosaméron ou Histoire d’Édouard et d’Élisabeth qui passèrent quatre- vingts-un ans chez les Mégamicres, habitans aborigènes uploads/Litterature/ casanova-2.pdf

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