Le Ventre de l’Atlantique de Fatou Diome : une écriture entre opposition et dua

Le Ventre de l’Atlantique de Fatou Diome : une écriture entre opposition et dualité Kossi Souley Gbeto p. 283-300 TEXTE NOTES AUTEUR TEXTE INTÉGRAL  1 Cuq, Jean-Pierre, dans Dictionnaire de didactique du français, langue étrangère et seconde, 2003, p (...) 1Il est devenu presque une esthétique aujourd’hui de voir représentée, dans les textes des écrivains africains francophones, une kyrielle de langues qui interagissent entre elles pour produire une sorte d’interlangue1. Le subvertissement de la langue française, chez ces cadets de la post-indépendance, s’opère à travers le traitement des images qui restituent au texte, par l’écrit, la verdeur du langage oral et la cohabitation harmonieuse entre le français et les langues maternelles de ces auteurs. Le texte ou l’écriture devient un réceptacle où viennent se féconder des mots empruntés à la langue locale de l’écrivain.  2 Diop, Papa Samba, « Le roman francophone subsaharien des années 2000 : les cadets de la post-indépe (...) 2Les écrivains cadets de la post-indépendance2 qui pour la majorité ont produit des œuvres tout en vivant en occident, sentent le besoin non seulement d’écrire tout en respectant les normes de la langue d’écriture mais aussi de la féconder par leurs langues locales. Comme pour la plupart des écrivains africains de la première et seconde génération, ils n’ont vécu dans le contexte du bilinguisme colonial mais ont plus connu la diglossie. Il est aisé donc d’appréhender dans leur écriture une synergie entre 1 opposition et la dualité que cet article vise à montrer à travers certains romans.  3 Amédégnato, Sénamin, « Vers une troisième génération d’écrivains togolais francographes », Cahiers (...)  4 Fanon, Frantz, Peau noire masques blancs, Paris, Le Seuil, 1952, p. 2.  5 Midiohouan, Guy Ossito, « Bref aperçu du roman négro-africain d’expression française », Recherche P (...) 3La notion d’écriture d’opposition est à appréhender comme une écriture d’identification ou de « folklorisation ». « L’écriture y était normée, la langue châtiée. On la voulait “pure”, aseptisée ; une écriture servile située dans le sillage des écrivains blancs coloniaux »3. Cette écriture est normative et tributaire de la structure discursive occidentale. Les écrivains de cette génération cherchent à écrire et à parler « le Français comme les Français »4. Cette écriture institutionnalisée est une écriture d’assimilation qui participe du processus d’identification des écrivains négro- africains. La plupart des auteurs de la première génération ont respecté avec une révérence obséquieuse la norme académique occidentale en s’opposant de facto à leur propre langue maternelle. Ainsi cette écriture, dite d’opposition, se caractérise par la finesse de l’expression qui combine description et argumentation. Selon Midiohouan5, les œuvres de cette génération apparaissent comme de grandes dissertations où les auteurs s’échinent à respecter les normes grammaticales, la conjugaison à travers l’utilisation scrupuleuse du subjonctif qui exige l’attraction modale. La correction du style fait partie de leur obsession, car c’est par ce critère qu’ils affirment leur appartenance identitaire.  6 Amédégnato, Sénamin, « Vers une troisième génération... », op. cit. 2  7 L’identisation est un néologisme utilisé pour la première fois en 1980 par Pierre Tape au cours du (...) 4Par contre la notion d’écriture de dualité est encore l’écriture d’identisation ou de minoration. « La minoration, écriture de la deuxième génération d’écrivains, apparaît comme le grand écart qui tente de réunifier en quelque sorte le corps social divisé du fait de la diglossie. »6 Après les indépendances, les écrivains africains se départirent des modèles de créations occidentales. On observa l’usage d’un nouveau langage qui apparut comme une subversion du français classique hexagonal. Cette subversion a un sens et une problématique. Les écrivains africains ne font plus œuvre d’art par mimétisme mais prennent la plume pour exprimer leur différence. L’écriture, tout en participant à une quête, fonctionne comme un facteur d’identisation7 à travers la problématique de l’appropriation de la langue. La dualité trouve sa raison d’être dans la coexistence de la langue première et de la langue d’écriture. Des concepts d’opposition et de dualité  8 Boyer, Jean-François, « La dualité des contraires », pris sur le site http://sophia-cholet.over-blo (...) 5Depuis Descartes en passant par des psycholinguistes comme Levelt et Blaise Pascal, la pensée de l’homme a fonctionné toujours par opposition et par dualité. Pour produire un discours l’homme conceptualise, formule, puis articule. Entre ces trois instances, il existe un lien d’interaction harmonieuse ou antagoniste. Boyer8 introduisant la notion « la dualité des contraires » affirme que c’est est un concept universel car une chose et son contraire ne pourraient exister. Il donne l’exemple, entre autres, de l’abstrait et du concret, le vrai et le faux, le bien 3 et le mal, toute chose qui concourent à exprimer le manichéisme. Le manichéisme est une sorte de dualité qui engendre la complémentarité ou la synergie. Boyer continue sa démonstration par cette illustration :  9 Ibid. Ne dit-on pas : « c’est le jour et la nuit » pour qualifier une opposition dans la complémentarité ? La dualité était déjà la clé essentielle du système de pensée des Égyptiens : la vie et la mort étaient comparables au jour et à la nuit dans la parfaite alternance rappelant comment les dieux gouvernent l’univers.9 6De cette définition, il est aisé d’appréhender le concept de diglossie. La diglossie concerne la coexistence de deux systèmes linguistiques, proches entre eux, dérivés d’une même langue et hiérarchisés. Le système dominant a le statut de langue officielle ou de langue véhiculaire (langue utilisée pour la communication entre plusieurs communautés linguistiques). 7Le système inférieur est employé dans des contextes privés, généralement à l’oral. Dans ce contexte, la diglossie peut se définir alors comme la cohabitation conviviale entre ces deux langues. Avec l’accession des pays africains à l’indépendance, l’écrivain s’est trouvé en face d’une nouvelle réalité et d’un nouveau public. Dès lors, sa production se démarque des normes occidentales pour mieux se mettre à la portée d’un public dont la majorité est analphabète. Face à cette nouvelle problématique de l’écriture africaine, un rapport nouveau avec la langue coloniale s’impose à l’écrivain. Pour Mboya Tom,  10 Mboya, Tom, L’indépendance et après…, Paris, Présence Africaine, 1963, p. 12. l’Afrique nouvelle est une réalité de création nouvelle. Nous édifions une société qui s’est assignée pour but de ne pas trahir ses valeurs qui 4 nous sont si chères, la dignité et la liberté qui s’est consacrée à la poursuite de la justice, de l’effort, de l’indépendance effective. Dans l’histoire qu’il convient d’écrire, une histoire inédite encore, il devra être question de sympathie et de reconstruction.10  11 Apedo-Amah, Ayayi Togoata, « De la norme oppressive à l’écart expressif : obstacle de la langue d’e (...)  12 Séwanou, Dabla, Les nouvelles écritures africaines, romanciers de la seconde génération, Paris, L’H (...) 8Pour l’écrivain négro-africain, le problème est de se conformer aux normes de la langue coloniale (ici la langue française) tout en exprimant, sans la déformer, une idée relative à la culture de la langue maternelle. Cependant, il s’avère difficile, voire impossible de trouver la structure discursive appropriée. C’est face à cette intraduisibilité de certaines réalités africaines que l’écrivain de la nouvelle génération va s’imposer une démarche esthétique qui tente « de concilier le français ou l’anglais normatif avec un écart expressif et linguistique ayant la langue africaine pour référence »11. En réalité, dans ces nouvelles écritures africaines12, il y a un effet réel qui est perceptible car le lecteur a le sentiment de lire sa langue maternelle à travers le français. La littérature négro-africaine affirme son authenticité en ayant recours aux ressources de l’oralité dans la pratique scripturale. Cette authenticité se veut un enracinement culturel avec un champ de connotation qui a pour référent la civilisation africaine. Le souci avoué de l’écrivain est, d’une part, d’être compris du locuteur du français normatif et du public africain d’autre part. Dans son opposition ou confrontation avec la langue maternelle de l’écrivain, la langue coloniale perd de son pouvoir normatif pour s’inscrire dans un contexte linguistique hybride. Elle ne détient sa valeur que de la contingence historique qui fonde sa légitimation. Cet écart avec la norme oppressive coloniale engendrée par la 5 situation de diglossie permet à l’écrivain de trouver une structure discursive à pouvoir de communication bipolarisée. En effet, cette africanisation de la langue coloniale a pour objectif d’atteindre les locuteurs primaires et moyens de la langue coloniale. En d’autres termes, la situation de diglossie crée une structure discursive médiane, accessible à tous les niveaux de la compréhension. Cette définition permet-elle de distinguer le bilinguisme de la diglossie, entendu qu’il s’agit dans les deux cas de la coexistence de deux langues. Du bilinguisme colonial à la diglossie 9Dans le contexte colonial, le bilingue répond parfaitement aux définitions déjà mentionnées, mais avec la spécificité que sa langue maternelle arbitrairement désignée de langue vernaculaire est frappée d’une prohibition de communication.  13 Memmi, Albert, Portrait du colonisé, Paris, Francopoche, 1989, p. 144- 145.  14 Apedo-Amah, Ayayi Togoata, « De la norme oppressive... », op. cit., p. 81.  15 Le signal est une pratique instaurée par l’école coloniale et uploads/Litterature/ resume-du-roman-le-ventre-de-l-x27-atlantique.pdf

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