Les permanences de l'histoire 1 L'histoire vraie, authentique, telle qu'on peut
Les permanences de l'histoire 1 L'histoire vraie, authentique, telle qu'on peut l'écrire abondam- ment, jusqu'à la fatigue et au dégoût, risque de se confondre avec ce genre littéraire méprisable, en dépit du talent qu'on dé- pense pour en maintenir la popularité, qui est i'„histoire roman- cée", de fait une variante contemporaine, avec un peu moins d'i- magination, de l'ancien ,,roman historique". Elle rend, avec la cri- tique du même sans l'introduire, le contenu débordant des sources, qui elles-mêmes ont par leur caractère contemporain une couleur et une fraîcheur que jamais les dons littéraires de l'historien na pourront reproduire. On n'a qu'à prendre un des modèles du genre, produit de longues études et représentant un des plus sagaces analystes des psychologies humaines, comme L'impératrice Marie-Louise de Frédéric Masson, livre admirable, pour se rendre compte com- bien les deux genres tendent à se confondre, la vérité contrô- lable de l'historien étant de si près voisine de l'imagination entre les limites des faits prouvés du littérateur qui ajoute seu- lement quelques épisodes et fait parler les facteurs de l'histoire vécue comme s'il avait écrit sous leur dictée. Je ne pense pas, bien entendu, à critiquer la tendance» bien naturelle, de tout savoir sur le passé et d'essayer à en, saisir et à en fixer le sens autant que cela est possible, car tout a un intérêt pour l'histoire, jusqu'au moindre détail pouvant être em- ployé pour une synthèse qui est le but dernier d'une historio- graphie que, dans sa forme la plus élevée et la plus difficile, on peut appeler „historiôlogie". Toute trace de vie mérite "d'être conservée, pour elle-même, et pour lé* but supérieur auquel elle peut être ramenée. Cette variété infinie attire et retient l'at- tention, elle répond à notre sensibilité qui vibre pour tout ce qui appartient à l'humanité. :^<*^~^- 1Communication au Congf-fes, iîiternàïlÊnald'histoire à Zurich 206 N. lorg.1 Tout ce qui touche à l'être humain dans toutes ses multiples manifestations excite et satisfait notre intérêt et cet intérêt que satis- fait journellement aussi l'information des journaux sur les actes de violences ou les cas extraordinaires, est d'autant plus vif s'iî s'agit de ceux qui ont eu un rôle déterminant dans l'activité de leur époque. Il y a dans ces récits dés événements particuliers et dans ces biographies de personnages plus ou moins connus toujours quelque chose qui peut servir à- l'histoire conçue d'une façon plus large et plus haute. Et puis, en elles-mêmes, ces re- cherches forment, non seulement un des moyens les plus distin- gués de se distraire par la lecture, mais, aussi une contribution importante à l'éducation basée sur autre chose que l'enseigne- ment technique vers lequel convergent les efforts actuels de l'instruction publique. Tout cela est, sans doute, de l'histoire^ mais, l'histoire elle- même, s'en servant, la dépasse. Elle doit avoir, sous toutes ces brillantes apparences, d'une multiplicité infinie, des points d'appui stables, auxquels on puisse la ramener pour construire ainsi une autre „science" que celle, décevante, des codificateurs philosophiques de jadis, — sans compter certaines illusions d'une sociologie encore si indivi- duelle et si contradictoire, se conciliant seulement sur des formules vagues, d'une valeur contestable —-, ou même que la construc- tion, personnelle, mais digne d'attention du constructeur de ^séries historiques" qu'a été, dans un livre qui n'a pas passé inaperçu, A. D. Xénopol. C'est ce que j'appelle les „permanences", sur les- quelles, au milieu des préoccupations bien diverses de ce con- grès, je veux attirer l'attention, à un moment où ces considé- rations, traitées jadis de superflues, sont devenues, if me semble, plus loisibles comme une préparation à ce que j'ai nommé plus haut l'historiologie. I. Presqu'Un siècle s'est passé depuis l'apparition d'un grand ou- vrage de pensée qui a dû soulever beaucoup de discussions jusqu'à la critique, depuis longtemps oubliée dans un coin de vieille revue roumaine, de Xénopol lui-même 1, qui partit de ià 1 Plus tard un penseur roumain, un économiste,M. Â. C. Cuza, partira de cet établissementde principespour chercher dans lephénomène de la population l'application des phases du développement historique. Les "permanences de l'histoire 207 pour échafauder sa propre théorie. Il s'agit de l'„Histoire de la civilisation en Angleterre" par Henry Thomas Buckle. A une époque où, d'un grand élan, on procédait à une trans- formation des études d'histoire naturelle, — c'est le moment où se crystallisent, dans le même milieu, les explications d'un Lyell et d'un Darwin —, Buckle pensa à découvrir dans l'histoire elle- même, qu'il veut rendre encore plus utile pour la culture géné- rale, une ^régularité" en rapport étroit avec les „lois intéllec- tualles et physiques", découvertes dans d'autres domaines. Alors que, d'après lui, «aucun historien n'a essayé de combiner les par- ties distinctes (de l'histoire) en un tout complet et de constater de quelle manière elles se relient entre elles" *, il croit, lui, pouvoir arriver à. des lignes générales immuables et toucher même à des précisions. „Un auteur", dit-il, „un demi-siècle après l'effort d'un Gibbon, „qui, par indolence d'esprit, ou par incapa- cité naturelle, est impuissant à traiter les branches plus élevées de la science, n'a qu'à passer quelques années à lire un certain nombre de livres, et il est aiors apte à devenir un historien : il est capable d'écrire l'histoire d'un grand peuple, et son ouvrage fait autorité pour le sujet qu'il a la prétention de traiter" *. Et il ose, s'appuyant aussi sur l'autorité d'Auguste Comte, cette qualification qui reste juste aujourd'hui même : «matériaux nom- breux", „connaissances si imparfaites" 3. Or, d'après lui, il faut ramener à l'ordre, et, à savoir, par la méthode de l'histoire naturelle, ce genre de connaissances, resté si en retard. Pour arriver à une compréhension qui a trop manqué, on ne peut partir que de „l'influence des phénomènes extérieurs sur l'esprit", disons du milieu naturel sur l?âme humaine, et Buckle dis- tingue le stage auquel l'âme humaine elle-même arrive à dominer pas sa volonté ce milieu, qui reste le principal agent de toutes les transformations Recourant aux données statistiques, il croit pouvoir accorder aux conditions naturelles non seulement la priorité, mais la primauté aussi. Précédant la théorie marxiste de l'interprétation matérielle de tous les actes humains, il trouve dans les conditions même dont les sociétés se nourrissent et plus tard arrivent à „s'enrichir", «climat et sol", le premier anneau dans la chaîné de leurs progrès. 1Traduction de Bruxelles,1, p. 8. " Ibid., p. 9. » lbid. '.'" 208 N. lorga Celui qui avait déjà dans les traditions de la pensée anglaise un ouvrage comme celui d'Adam Smith sur la formation et la dis- tribution des richesses nationales', y trouvait facilement des sug- gestions précieuses pour s'acheminer sur cette nouvelle voie. Il fondait ainsi une espèce de climatologie historique réunie à des considérations économiques, qui de plus en plus se définis- saient pour arriver bientôt à exercer une influence tyrannique sur tant de domaines, s'aservissant les finances, qui ont cependant une autonomie en propre, et dévoyant la politique, dont l'art compliqué ne peut pas être -soumis aux catégories rigides des théories changeantes, mais toujours impérieuses dans leurs dif- férentes formes, de l'économie politique. Conçue de cette façon étroite, la théorie que Buckle essaiera, sans trop grand succès, car ce qui suit se perd dans des „essais" intéressants, mais parfois assez peu cohérents, pour l'histoire de son pays, n'est" guère complète, car une terre sur laquelle se succèdent plusieurs sociétés humaines . et qui exerce sa toute- puissance sur chacune d'entre elles dans toutes ses phases n'agit pas seulement „par l'influence du climat et par les possibilités de Papprovisionément. Elle a mille moyens d'imposer ce qu'on peut appeler sa volonté, que la légende de tous les pays arrive plus ou moins à revêtir d'une forme anthropomorphique, comme le chapitre mytholo- gique de l'hydre de Lerne, combattue par Hercule, et des exploits d'Apollon-lumière, pour donner santé et vigueur aux civilisations qui y héritent l'une de l'autre. Il ne faut pas oublier les horizons qui invitent à l'expansion 1 Buckle le considère, en effet, comme „le livre le plus important qu'on ait jamais,écrit..., l'apport le plus précieux que l'on ait jamais fait à l'établis- sement des principes, basesnécessairesde toutgouvernement" ; ibid., p. 258.— Comme précurseur dans l'examen des causes qui amènent la prospérité ou la déchéance des Etats il faut compter l'ouvrage, riche de pensée, du ministre prussien Struensee, Abhahdliingën ùber wichtige Gegenstande der Staat- wirts, haft, trois volumes, Berlin 1800. L'auteur avait traduit et consmenlé, en 1776-1777,un ouvrage sur le même sujet du juif portugais,établi à Bordeaux, Is^ac de Pinto (t 1787).On trouve aussi, dans les Abhandlungen, la;traiduc- .tion commentée, du livre de Young sur les loisanglaisesconcernant le commerce des grains et une analyse du système financier de Necker. C'est tout autre • chose pour la théorie de l'État que les catégories. purement juridiques d'un Grotius, esprit calviniste étroit. Les.permanencesde l'histoire .. .' 209 pour certaines contrées, alors que d'autres ont toute perspective fermée. Sur la même base territoriale, certains des habitants se tournent d'un côté, alors qu'un autre groupe regarde ailleurs : _^ deux développements bien divers, uploads/Litterature/ revue-historique-du-sud-est-europeen-an-1938-nr-7-9.pdf
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- Publié le Mai 20, 2022
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