247 Exploitation pédagogique du texte littéraire et lecture littéraire en FLE :

247 Exploitation pédagogique du texte littéraire et lecture littéraire en FLE : un équilibre fragile Riquois Estelle, docteure en sciences du langage, ATER, Université de Rouen, France. Résumé : le texte littéraire est aujourd’hui bien présent dans les manuels de français langue étrangè- re, où son exploitation pédagogique est variée, de même que les genres littéraires proposés. La ques- tion des objectifs d’apprentissage associés à cet usage pédagogique de la littérature se pose cepen- dant. Lire un texte littéraire n’est pas lire un texte de presse, par exemple, et la lecture littéraire néces- site des compétences et des stratégies particulières qui ne sont pas toujours transposables de la lan- gue maternelle à la langue étrangère. Après avoir observé les activités proposées actuellement dans les manuels pour l’exploitation pédagogique des textes littéraires, nous nous interrogerons donc sur ce qu’il est intéressant d’enseigner lorsqu’on utilise ce type de document authentique, et sur ce qu’il est souhaitable d’associer à la littérature si l’on veut conserver son caractère littéraire et développer un mode de lecture adéquat chez l’apprenant. La littérature et le français langue étrangère1 ont une histoire commune vieille de plusieurs siècles. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la méthode traditionnelle considérait effectivement le texte littéraire comme un support pédagogique parfaitement adapté à l’apprentissage d’une langue étrangère. De nouveaux besoins en terme de communi- cation ont amené à repenser l’apprentissage des lan- gues étrangères dans les premières années du XXe siècle, et la réflexion didactique menée pendant ce siècle a conduit à exclure le texte littéraire des prati- ques de classe. La priorité donnée à l’oral dans plu- sieurs méthodologies, le caractère patrimonial de ce type de texte ou la difficulté d’accès apparente de la langue littéraire, sont quelques uns des facteurs qui l’ont éloigné des discours méthodologiques. Malgré cela, dans de nombreuses classes, les enseignants n’avaient d’autre choix que de continuer à l’utiliser, car s’ils disposaient d’un matériel pédagogique conforme aux prescriptions méthodologiques récentes au niveau 1, rien n’était proposé pour les niveaux avancés. Dé- munis, les enseignants revenaient au texte littéraire et 1 Désormais abrégé FLE. à la méthodologie qu’ils avaient eux-mêmes connus lors de leur apprentissage2. Pendant les années 1970, l’approche commu- nicative va entraîner de nouvelles pratiques de classe et l’exploitation pédagogique de nouveaux supports. L’enseignant est désormais plus libre, il choisit les documents présentés aux apprenants, et l’introduction de documents authentiques en classe apporte une source de motivation supplémentaire. Le texte littéraire trouve sa place parmi ces documents authentiques après quelques années, mais son image reste souvent liée à la méthode traditionnel- le, aux activités de grammaire-traduction qui ne cor- respondent plus à l’approche communicative. Il faut repenser la didactique du texte littéraire et différents ouvrages théoriques3 vont être publiés dans ce but. Il faudra néanmoins attendre la seconde moitié des an- 2 Ce phénomène est signalé par C. Puren (1988) sous le nom de « loi d’isomorphisme » : « cette loi, bien connue des pédagogues, veut que le formateur tende spontanément à reproduire dans sa pratique ce qui a présidé à sa propre formation » (1988 : 52). 3 Nous pensons ici notamment aux travaux de J. Peytard (1982. Littérature et classe de langue), de F. Cicurel (1991. Lectures inte- ractives), de M. Naturel (1995. Pour la littérature), d’A. Séoud (1997. Pour une didactique de la littérature), de M.-C. Albert et M. Souchon (2000. Les textes littéraires en classe de langue). 248 nées 1990 pour que les manuels présentent quelques textes littéraires. Actuellement, l’intérêt pédagogique de l’exploitation du texte littéraire en FLE est acquis, et les manuels édités depuis dix ans l’utilisent fréquem- ment comme un document authentique appartenant à la culture française. Il semble pourtant que son usage en classe ne soit pas simple. Une enquête en cours montre que les enseignants ont tendance à ne pas utiliser ces documents pour privilégier les textes de presse, dans et hors du manuel. Les raisons en sont multiples, et nous pouvons citer, par exemple, l’a priori supposé des apprenants à l’égard de ces textes qui sont jugés difficiles d’accès et trop éloigné d’une prati- que effective de la langue. Le texte de presse, au contraire, est censé être plus proche de ce que lisent les apprenants dans leur langue maternelle. Il semble également que les objectifs d’apprentissage liés au texte littéraire ne soient pas toujours formulés claire- ment dans les manuels. La pertinence des activités portant sur la lecture du texte littéraire est alors peu visible et l’enseignant passe à autre chose. La question des objectifs associés à l’exploitation pédagogique du texte littéraire est en effet primordiale et se situe au cœur de notre réflexion. Lorsqu’il s’agissait d’apprendre le grec et le latin, la littérature représentait la dernière manifestation de ces langues dont les locuteurs originels avaient disparus. Pour l’apprentissage du français, la situation diffère totalement, ce qui nous amène à soulever deux inter- rogations. Dans un premier temps, il importe de ques- tionner les pratiques actuelles. Quels sont en effet les types d’exercices et les objectifs que les concepteurs de manuels associent au texte littéraire ? Après avoir répondu à cette question, il faut poser la question de la pertinence de ces objectifs. Qu’est-ce que l’apprenant doit apprendre lorsqu’il lit un texte littéraire en classe de FLE ? En situation authentique, la lecture littéraire est spécifique et nécessite des stratégies qu’il peut être intéressant d’enseigner en classe de langue, comme nous le verrons dans notre troisième partie. EXPLOITATION PÉDAGOGIQUE DU TEXTE LIT-­ TÉRAIRE DANS LES MANUELS DE FLE : LE CHOIX DU CORPUS Afin de disposer d’une représentation de l’exploitation pédagogique du texte littéraire dans les manuels de FLE, nous avons constitué un corpus de 20 méthodes généralistes destinées à un public d’adultes et de grands adolescents. Nous avons fait le choix d’observer des ma- nuels plutôt que des pratiques effectives, car celles-ci sont toujours individuelles et propres à chaque ensei- gnant, ce qui ne permet pas de généraliser les obser- vations faites, ou ce qui impose une enquête quantita- tive menée dans des situations très variées. En outre, le manuel est un outil très répandu, régulièrement utilisé par les apprenants ou/et par les enseignants lors de leurs cours ou de leur préparation. Tous ne suivent pas la progression induite par le ma- nuel, mais l’utilisation d’un ouvrage dans la classe peut conditionner la méthodologie appliquée par l’enseignant. Il est aussi possible d’affirmer, avec Ver- delhan-Bourgade (2004) que « le manuel est un outil privilégié de la formation des enseignants, et pas seu- lement aux périodes de renouveau pédagogique» (en ligne). La mise en œuvre de propositions didactiques récentes n’est pas toujours évidente pour des ensei- gnants dont la formation peut avoir eu lieu plusieurs années auparavant. Dans ce cas, le guide pédagogi- que et les activités proposées dans le manuel sont de bons outils d’autoformation, à condition que la métho- dologie dont se réclame le manuel soit respectée dans ses pages. Par conséquent, et tout en ayant conscience des limites de cette affirmation, on peut néanmoins dire que le manuel est une manifestation observable des pratiques de classes. Il informe à la fois sur la conception qu’ont ses auteurs de la méthodologie mise en œuvre et sur la pratique des enseignants qui vont l’utiliser. À partir de ces réflexions, nous avons sélec- tionné 53 manuels édités en France entre 1999 et 20084, période qui correspond à l’arrivée dans le champ didactique de la perspective actionnelle. Les premiers manuels observés sont de ce fait encore communicatifs, puis les avant-propos et les contenus évoluent pour s’inscrire dans cette nouvelle perspecti- ve. Pour les éditeurs, un manuel doit être renouvelé tous les 2 à 3 ans car « la rapidité dans la diffusion des ouvrages scolaires fait des manuels des objets consommables, rapidement renouvelés, et suffisam- ment divers pour viser la satisfaction de besoins va- riés. » (Plane, 1999, p. 9). Pour les enseignants, au contraire, le choix d’un nouveau manuel est un inves- tissement matériel car il s’accompagne fréquemment de supports audio ou vidéo, et un investissement per- sonnel puisqu’il faut se familiariser avec cette nouvelle méthode. La durée d’utilisation de ce manuel sera donc plutôt de 4 à 6 ans, voire parfois davantage. Nous avons également choisi un même lieu d’édition5 et un même public afin d’unifier le corpus. Comme le dit M. Lebrun, « le manuel est un objet culturel en soi, qui nous renseigne sur la société glo- bale dont il est issu » (2007, p. 2). Or, ici, le support pédagogique considéré appartient à la même sphère culturelle qu’une grande partie des auteurs de ces manuels et l’on sait que la littérature française est l’objet de représentations multiples qui peuvent trans- paraître dans ces ouvrages. On peut y déceler, par exemple, de bons ou de mauvais souvenirs de la mé- thode traditionnelle, une image surannée de la littéra- ture vue comme un monument culturel intouchable, ou, au contraire, une volonté de montrer l’actualité de 4 La liste et les références de ces 20 méthodes figurent dans notre mémoire de thèse Pour une didactique uploads/Litterature/ riquois-2010 1 .pdf

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