INTRODUCTION. LITTÉRATURE ET RÉCLAME : LE CRU ET LE CRI Philippe Hamon Armand C

INTRODUCTION. LITTÉRATURE ET RÉCLAME : LE CRU ET LE CRI Philippe Hamon Armand Colin | « Romantisme » 2012/1 n°155 | pages 3 à 10 ISSN 0048-8593 ISBN 9782200927530 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-romantisme-2012-1-page-3.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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RIMBAUD, Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs La réclame, phénomène qui accompagne la création de nouveaux objets marchands, leur appellation, leur exposition dans des magasins, leur mise en vente et en circulation, est un discours de persuasion public qui cherche à faire croire à la valeur de quelque chose (objet matériel ou immatériel, produit industriel ou artistique, objet concret ou conduite mondaine) pour en déclencher, conforter ou réorienter l’achat (ou la pratique) par une certaine catégorie de consommateurs. Toute la panoplie de la sémiosis y est convoquée : marques, signes, noms propres, chiffres, groupes de signes, signaux, images ou enseignes valant comme autant de consignes. C’est un faire-croire (à une valeur, supposée positive) qui vise à un faire-faire (acheter). Variété, par conséquent, de discours de ruse, ou de manipulation, ou de séduction. « La publicité est la ruse qui permet au rêve de s’imposer à l’industrie » (W. Benjamin). Le mot lui-même de « réclame », on le sait, tendra à être remplacé par celui de « publicité » au XXe siècle. Il fait partie à l’origine du langage de la chasse (les appeaux qui leurrent et attirent les oiseaux), de celui du livre (signal de bas de page destiné au relieur pour qu’il enchaîne correctement le feuillet suivant) et de celui de la littérature (au théâtre, signal d’appel de réponse pour un acteur qui doit enchaîner sa réplique). La littérature (et son discours d’accompagnement la critique littéraire), discours de manipulation et de séduction, discours adressé à un public, ne saurait donc être totalement étrangère à la « réclame », et réciproquement. Chacune sert l’autre et se sert de l’autre. Chacune contribue, à sa place et à sa manière, à l’extension et à la diversification d’un certain type d’espace public qui circonscrit une certaine idée de la modernité, de la « mode », rticle on line rticle on line Romantisme, n° 155 (2012-1) © Armand Colin | Téléchargé le 30/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.3.180.17) © Armand Colin | Téléchargé le 30/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.3.180.17) 4 Philippe Hamon du « nouveau », de la « nouveauté », du « contemporain », ainsi qu’à la constitution d’une certaine mémoire collective partagée1. Le XIXe siècle démocratique, industriel et commercial, voit proliférer les mani- festations de la réclame, de ce que Pierre Larousse appelle la « publicité d’affaires », dans le domaine public2. La rue se « sur-sémiotise3 », et les photographies urbaines de la seconde moitié du XIXe siècle nous montrent les façades, les pignons et les murs de la grande ville envahis par des enseignes, des images et des inscriptions. Ce langage de louange, héritier de l’ancien régime épidictique et encomiastique, signale les lieux de ventes (ce sont les enseignes proprement dites), baptise les innombrables objets produits quotidiennement par les diverses industries, et les décrit et désigne en utilisant toutes les sémiotiques disponibles : à la fois par le nom propre, la des- cription, le slogan, les chiffres, la musique, la chanson, le cri, le logo et l’image. Ce langage passe par des canaux et des supports divers, qui peuvent être concrets, comme l’enseigne, le prospectus, le kiosque, le mur, l’annonce de presse, le catalogue, ou l’affiche. Voire humains, dans la mesure où tout individu est désormais soumis, volens nolens, aux directives de la mode, soit comme prescripteur, soit comme support, soit comme destinataire-consommateur : on pourrait même dire que tout homme a désormais vocation à devenir homme-sandwich (héros d’un long poème de Coppée) et la femme, déjà « enseigne de l’homme », à devenir « porte-griffe » du grand couturier (Renée, dans La Curée de Zola). Cette pratique a donc à faire avec la prostitution, art d’afficher les femmes pour les vendre (les financiers d’un roman de Zola vont jusqu’à tatouer leurs réclames sur la peau de certaines prostituées à la mode4). Ou bien, ruse suprême à l’époque des débuts de la grande dématérialisation, la réclame passe par des discours désoriginés, plus diffus, proches du mythe, comme la prescription de la mode, « l’image de marque » (système de valeurs implicite et fondamental qu’il s’agit perpétuellement d’entretenir, ou de modifier, ou d’infléchir), la « notoriété », l’« opinion », la « vogue » ou la « rumeur publique », souvent gérées et entretenues par les prescripteurs et bénéficiaires mêmes de ces discours. Cette rumeur valorisante, cette prolifération de signes valant comme consignes, est certes attachée prioritairement aux objets que l’on commence à appeler les 1. Sur la prégnance mémorielle de la réclame, de ses images et slogans, qui forme une sorte de mémoire collective d’une génération, voir le témoignage de Georges PEREC : Je me souviens, Paris, Hachette, 1978. Les murs de la ville deviennent une sorte de nouvelle « maison de mémoire » (Frances Yates). 2. Pierre Larousse, dans son Grand Dictionnaire, traite essentiellement du sens politique et juridique du mot publicité. Traitant de la « publicité d’affaires », il la relie surtout à l’annonce de presse, et à sa dimension financière. Voir aussi l’article « Publiciste » : « On s’est habitué, mais à tort, à donner le nom de publiciste à tout journaliste. On doit réserver cette qualification à celui qui traite des matières politiques et sociales avec une supériorité réelle, une réelle indépendance d’esprit. » 3. Voir, pour un seul exemple, le chapitre XXIII de La Fille Elisa de Goncourt (1877) qui décrit un quartier de Paris proche de l’École militaire. 4. « Jantrou [le journaliste à la solde du banquier Saccard] avait réservé pour ce moment-là une poussée dernière de réclame, la plus tonitruante des fanfares qu’on eût soufflée depuis longtemps dans les trompettes de la publicité ; et il courut même une plaisanterie, on raconta qu’il avait fait tatouer ces mots : Achetez de l’Universelle, aux petits coins les plus secrets et les plus délicats des dames aimables, en les lançant dans la circulation » (Émile ZOLA, L’Argent, Les Rougon-Macquart, tome V, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1967, chapitre VIII, p. 252) On notera, dans cet extrait, la coexistence du mot « réclame » et du mot « publicité ». 2012-1 © Armand Colin | Téléchargé le 30/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.3.180.17) © Armand Colin | Téléchargé le 30/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.3.180.17) Introduction. Littérature et réclame : le cru et le cri 5 « nouveautés », eux-mêmes exposés dans des magasins. Mais la réclame s’attache aussi bien à un lieu, un magasin, un objet d’art, un livre ou à une conduite « à la mode » (« aller au Bois », « aller prendre les eaux », « aimer l’art japonais », « lire le dernier roman de M. Bourget ») présentés comme exemplaires ou désirables, car bénéfiques dans leurs effets et conséquences pour le bénéficiaire-acheteur ; mais la réclame s’attache aussi à telle ou telle personne contemporaine en « exposition » permanente : de celles que l’on appelle au XIXe siècle les « illustrations » du siècle, homme politique, écrivain, actrice, artiste, explorateur ou clubman à la mode. Naissance de ce que l’on appellera plus tard la « peopolisation » ou le « star-system » : ainsi Bonnetain dans la Préface qu’il donne au roman « à clés » de Marie Colombier Les Mémoires de Sarah Barnum (1884) félicite cette dernière d’avoir su peindre « l’Étoile, généralité sociale, psychique et physiologique, telle que la font nos mœurs, nos goûts, notre réclame », et le nom de Barnum, entrepreneur de spectacles américain et symbole pour certains du siècle tout entier, est associé dans le roman à celui de la cantatrice Jenny Lind. Gambetta, Zola ou Sarah Bernhardt sont uploads/Litterature/ rom-155-0003.pdf

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