Article paru dans Estudios Bíblicos 56 (1998) 179-199. La stratégie déjouée de
Article paru dans Estudios Bíblicos 56 (1998) 179-199. La stratégie déjouée de Noémi en Rt 3 André WÉNIN Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve) Resumen ¿Qué función tiene, en la economía narrativa del libro de Rut, el plan de Noemi para unir a su nuera con Booz? El plan mismo, la estrategia para realizarlo y su parcial fracaso son la principal clave que permite precisar la relación intertextual entre el relato de Rut 3 y los dos episodios de seducción narrados en Génesis: el incesto de las hijas de Lot y el de Tamar con Judá. Summary What is the function, in the narrative economy of the Book of Ruth, of Naomi’s plan to unite her daughter-in-law with Boaz? The very plan, the strategy for realizing it, and its partial failure are the main key that permits us to fix the intertextual relation between the account in Ruth 3 and the two episodes of seduction narrated in Genesis: the incest of Lot’s daughters and that of Tamar with Juda. Pour la tradition juive déjà, la scène de la rencontre nocturne entre Ruth et Boaz sur l’aire de battage est à comparer à deux épisodes de la Genèse où une femme s’approche d’un homme en se dissimulant afin d’obtenir de lui une descendance. C’est l’histoire des filles de Lot avec leur père en Gn 19,30-38 et celle de Tamar et Juda en Gn 38,12- 30. Du reste, un lien étroit unit Rt 3 à ces deux scènes, dans la mesure où les deux personnages qui s’y rencontrent de nuit descendent de fils issus des unions illégitimes racontées par la Genèse : Moab, le fils incestueux [180] de Lot, est l’ancêtre de Ruth, tandis qu’un des deux fils de Tamar et Juda, Pèreç, est l’aïeul de Boaz(1). Plusieurs commentateurs modernes reprennent ces comparaisons. Souvent, ils le font de façon succincte, sans développer ni approfondir la portée de ces liens(2). (1) Voir p. ex., GnRab. LI, 8-11. À propos de ces rapprochements dans la tradition juive, voir p. ex. M. ZLOTOWITZ & N. SHERMAN, Ruth. Traduction et commentaires fondés sur les sources talmudiques, midrachiques et rabbiniques (La Bible commentée ; Paris 1987) XXXVI-XL et 111. (2) Ainsi, p. ex. R.L. HUBBARD Jr., The Book of Ruth (NICOT ; Grand Rapids 1988) 195, et E. ZENGER, Das Buch Ruth (Zürcher Bibelkommentare AT 8 ; Zürich 1992) 69, se contentent d’une simple allusion. D’autres développent un peu plus : ainsi D.N. FEWELL & D.M. GUNN, “‘A Son is Born to Naomi!’ : Literary Allusions and Interpretation in the Book of Ruth”, JSOT 40 (1988) 103-104 et106 ; A. LACOCQUE, Subversives. Un pentateuque de femmes (LD 148 ; Paris 1992) 119-121 ; A. BRENNER, “Naomi and Ruth”, A Feminist Companion to Ruth (ed. A. BRENNER) (The Feminist Companion to the 2 ANDRÉ WÉNIN D’autres les étudient pour eux-mêmes. Ainsi, dans son article «Ruth and the Structure of Covenant History», Harold Fisch(3) compare systématiquement les trois histoires sur la base d’une même série de motifs. Dans chaque récit, en effet, un départ rompant des attaches familiales et géographiques est suivi de morts en série. L’espoir de vie dépend alors de femmes laissées à l’abandon. Pour permettre le prolongement des générations, celles-ci prennent l’initiative d’approcher par ruse et en secret un familier appartenant à la génération qui précède – père, beau-père, ou parent du beau-père – de manière à concevoir avec lui le fils inespéré qui assure l’avenir de la lignée(4). En plus de cette analyse synchronique, Fisch place les trois récits en série, mettant en évidence une progression linéaire. Là où les filles de Lot se livrent crûment à l’inceste en enivrant leur père délibérément, le comportement de Tamar révèle bien plus de tact et sa ruse nettement plus fine respecte aussi davantage le partenaire masculin. Mais avec Ruth, on atteint un degré de délicatesse inégalé, et la rencontre sexuelle n’a lieu qu’après qu’un mariage soit intervenu. Ainsi, cet épisode «rachète» les précédents, Ruth et Boaz compensant par la justesse de leur relation la faute de leurs aïeux respectifs(5). [181] Dans un essai récent sur l’intertextualité, Ellen van Wolde examine en détail les multiples rapports qui unissent l’histoire de Tamar et le livre de Ruth(6). Elle montre que les points de comparaison ne concernent pas seulement le niveau sémantique. On en trouve d’autres plus profonds lorsqu’on étudie attentivement l’encadrement des récits et la relation que le narrateur y entretient avec le lecteur. L’analyse des personnages et de leurs relations amplifie encore la parenté entre les deux textes au point que leur similitude les place dans une autre lumière. L’intertextualité propose ainsi un défi au lecteur et lui assigne pour tâche de prendre conscience des nouvelles Bible 3 ; Sheffield 1993) 80-81 ; M. BAL, “Heroism and Proper Names, or the Fruit of Analogy”, A Feminist Companion to Ruth, 53 et 64-66. (3) VT 32 (1982) 425-437. (4) Voir le tableau synoptique et les analyses de FISCH, “Ruth and the Structure of Covenant History”, 430-432. (5) Pour FISCH, “Ruth and the Structure of Covenant History”, 433-436, le «Ruth corpus», constitué par ces trois épisodes, offre une sorte d’histoire du salut en miniature allant de la destruction de Sodome à la naissance de David. (6) E. VAN WOLDE, “Texts in Dialogue with Texts : Intertextuality in the Ruth and Tamar Narratives”, Biblical Interpretation 5 (1997) 1-28. Ces rapports, déjà abordés par H. GUNKEL, Genesis, Göttingen 91977, 419 (et 412-418, passim) sont traités d’une autre manière encore par D.N. FEWELL & LA STRATÉGIE DÉJOUÉE DE NOÉMI EN RT 3 3 dimensions de sens et d’entrer en dialogue avec elles. C’est dans un tel projet que s’inscrivent les pages qui suivent : explorer une question que pose au livre de Rt la relation intertextuelle entre ces scènes de séduction. Si Tamar et Ruth adoptent vis-à-vis de leur parent un comportement similaire qui n’est pas sans analogie avec celui des filles de Lot, une différence majeure reste à expliquer dans le cas de Ruth. Au contraire des autres femmes, en effet, celle-ci ne prend pas elle-même l’initiative de la manœuvre aussi audacieuse qu’inconvenante pour approcher le familier. C’est instruite par Noémi qu’elle se lance dans l’aventure. Dans ces conditions, la question se pose : pourquoi la belle-mère fait-elle prendre un tel risque à Ruth en l’envoyant en première ligne ? Et quel sens a le scénario qu’elle élabore à cet effet et qui imite ce qu’ont fait les aïeules de ceux dont elle entend forcer la rencontre ? En d’autres termes, il s’agit ici de s’interroger sur la fonction du plan de Noémi dans l’économie narrative du livre de Rt. Certes, la jeune Moabite joue un jeu semblable à celui de ses ancêtres, «rachetant» en quelque sorte par sa justesse et sa franchise (3,9) leurs écarts antérieurs. Mais si elle leur ressemble ainsi, c’est à cause de Noémi. Aussi ne suffit-il pas d’affirmer le parallèle et de montrer en quoi il éclaire la figure de Ruth. Il importe encore de préciser la portée narrative du fait que c’est à [182] l’initiative de Noémi que la comparaison entre Ruth et les femmes de la Genèse s’impose. Pour explorer cette problématique, il est nécessaire dans un premier temps de tirer au clair la visée de Noémi, et donc aussi de clarifier le problème qui est le sien et qu’elle tente de résoudre en envoyant Ruth vers Boaz (I). Il s’agira ensuite d’examiner la stratégie qu’elle imagine pour parvenir à ses fins (II), puis de montrer comment ce plan échoue partiellement parce qu’il se voit déjoué par Ruth et Boaz (III). I. Le problème de Noémi (3,1-2) Lorsqu’elle prend l’initiative d’envoyer Ruth auprès de Boaz, Noémi commence par esquisser son projet en en précisant l’intention. Elle le fait par le biais de deux D.M. GUNN, Compromising Redemption. Relating Characters in the Book of Ruth (Literary Currents in Biblical Interpretation ; Louisville 1990). 4 ANDRÉ WÉNIN questions rhétoriques négatives juxtaposées à l’aide d’un lien logique un peu flou (ht[w). La symétrie des deux phrases laisse néanmoins transparaître clairement l’essentiel de l’idée de Noémi. Littéralement, 1b Ma fille, ne chercherai-je pas pour toi un repos qui sera bien pour toi ? 2a Et maintenant, Boaz n’est-il pas notre connaissance que tu as été avec ses jeunes filles ? Ainsi, le but avoué de Noémi est de trouver un «repos» convenant à Ruth, c’est-à-dire, en clair, un mari (cf. 1,9), et celui-ci n’est autre que Boaz, leur connaissance. Voilà donc pourquoi auparavant il était «bien», aux yeux de la belle-mère, que «sa fille» sorte avec les servantes de cet homme (2,22)(7). Le souci caché qui présidait au conseil de Noémi s’éclaire à présent. Et le lecteur constate que, malgré l’absence de résultat (cf. 2,23), Noémi persiste à croire que c’est une union avec cet homme qui sera «bien» pour sa belle-fille. Mais il s’agit à présent de forcer l’impasse. En réalité, cette idée de trouver un «repos» pour Ruth n’est pas neuve dans le chef de Noémi. Elle n’est pas neutre non plus(8). La première fois [183] que Noémi uploads/Litterature/ rt3-estbib-aw.pdf
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- Publié le Fev 22, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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