Sartre et le langage Author(s): Dominique Baudouin Source: Pacific Coast Philol

Sartre et le langage Author(s): Dominique Baudouin Source: Pacific Coast Philology, Vol. 7 (Apr., 1972), pp. 11-19 Published by: Pacific Ancient and Modern Language Association Stable URL: http://www.jstor.org/stable/1316527 . Accessed: 17/08/2011 04:59 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Pacific Ancient and Modern Language Association is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Pacific Coast Philology. http://www.jstor.org SARTRE ET LE LANGAGE BY DOMINIQUE BAUDOUIN La question de la litterature aujourd'hui se pose comme celle des rapports du langage avec la personne et avec le monde. La tache philosophique de son cote, pour reprendre une formule de M. Foucault, se rapproche d'une reflexion radicale sur le langage. A cette conjonction, si actuelle, la pensee de Sartre fut des longtemps attentive. II s'agira de preciser ici les positions que Sartre a ete amene a prendre en face des structuralismes, linguistique et litteraire notam- ment, au cours d'une assez longue querelle, qui aboutit 'a un approfondissement nouveau, en des textes importants, de son interrogation de toujours sur le lan- gage litteraire. Ses recents ecrits ont-ils donc resolu les contradictions souvent relevees dans Qu'est-ce que la litterature?, de 1947-48?1 Un d6bat de 1964, Que peut la litterature?, semblait la reduire encore plus au seul probleme de son efficacite.2 Contre quoi protestait Ricardou, porte- parole du nouveau roman et de la nouvelle critique: "pour ces gens-la, l'essen- tiel n'est pas hors du langage; l'essentiel, c'est le langage meme. Ecrire, pour eux, est non telle volonte de communiquer une information prealable, mais le projet d'explorer le langage entendu comme espace particulier" (p. 52). Ri- cardou se referait ainsi a la fameuse distinction etablie par Roland Barthes entre "Ecrivains et ecrivants,"3 preferant meme pour ces derniers le terme d"'informateurs": "On voit donc que ce que je propose de nommer litterature, Sartre I'appelle poesie - et ce que j'appelle domaine des ecrivains ou informa- tion, il le nomme litterature" (p. 54). Pour Barthes, faut-il le rappeler, "la litterature n'est bien qu'un langage, c'est-a-dire un syst6me de signes: son etre n'est pas dans son message, mais dans ce 'systeme',"4 Sartre, bien sur, denonga ce retournement du langage sur lui-meme, selon lequel l'oeuvre devient sa propre fin, sa propre legon, n'y voyant qu'ali6nation de l'homme a son produit, creation d'un univers clos du langage, ferme au monde comme au lecteur. La querelle s'envenima en 1965-1966. Sartre, dans un congr6s sur l'avant- garde a Rome,5 reprocha aux "gens de Tel Quel" leur byzantinisme. D'un ton de superiorite condescendante, Jean-Pierre Faye, dans deux articles de cette revue,6 accusa Sartre de confondre les registres de la philosophie et de la linguistique, et de refuser toute precision scientifique en bousculant les plus elementaires distinctions saussuriennes: ce que Sartre, en effet, venait d'oser dans un important entretien sur "L'Ecrivain et sa langue", publie par la Revue d'esthetique.7 Et Faye denongait dans l'ecriture meme de Sartre une "redout- able inflation des mots" (p. 78) - par exemple celui de totalite, d'origine fasciste - faute de comprendre suffisamment leur nature de "trace absent" (p. 11-12, p. 78), pourtant entrevue jadis par I'auteur de L'Imaginaire (1940). Un numero special de L'Arc devait bientot prendre la defense de Sartre, qui, dans un entretien avec B. Pingaud, stigmatisait la "demission" des gens de Tel Quel et leur n6o-positivisme litteraire: "ce qu'ils contestent, c'est le langage en tant qu'instrument de communication et d'expression" (p. 96).8 11 DOMINIQUE BAUDOUIN Mais un aspect anterieur de cette querelle entre Sartre et les structuralistes menait plus profondement au coeur du probleme: II s'agit du debat ouvert entre l'auteur de la Critique de la raison dialectique (1960) et celui de La Pensee sauvage (1962). La pensee existentialiste pretend etre "I'anthropologie elle-meme, en tant qu'elle cherche a se donner un fondement" (Critique . . . p. 104). Fondement qui serait l'interrelation dialectique de 1'homme et des choses, ou le langage joue son role de relai. Sartre souligne le caractere limite d'une anthropologie positiviste incapable de saisir l'homme total comme "objet- sujet".9 "L'anthropologie est une science destructrice de l'homme dans la mesure ou precisement elle le traite parfaitement, de mieux en mieux, dans la supposition que c'est un objet scientifique."10 Levi-Strauss, lui, montre que Sartre ne veut rien entendre 'a la pensee sauvage, et critique longuement la raison dialectique et le primat de la notion d'histoire. Bref, des deux raisons, dialectique et analytique, chacune pretend englober l 'autre a titre de cas particulier ou de discipline auxiliaire.11 Or ce differend ideologique aboutit a une interrogation sur la nature du langage qui eclaire toute l'opposition de la praxis et de la structure, dont elle apparalt l'exemple le plus manifeste. Pour le savant les regles de la linguistique, comme celles des societes exotiques ou de la psychanalyse, reposent sur le jeu combine de mecanismes biologiques et psychologiques qui echappent a l'histoire humaine. "Totalisation non reflexive, la langue est une raison humaine qui a ses raisons, et que l'homme ne connalt pas." Ses structures donc precedent ou depassent la praxis. Ou, plus exacte- ment, Levi-Strauss y decele une sorte de "teleologie inconsciente," qui lui paralt echapper aussi bien a la systematisation structurale qu'a la dialectique sartrienne: "Car la langue ne reside, ni dans la raison analytique des anciens gram- mairiens, ni dans la dialectique constituee de la linguistique structurale, ni dans la dialectique constituante de la praxis individuelle affrontee au pratico- inerte, puisque toutes les trois la supposent."12 Quelle est donc la position de Sartre en face du structuralisme? A partir de l'anthropologie, elle s'oriente bientot aussi vers la linguistique, en passant par la psychanalyse. Les structures du langage se justifient fort bien a un certain niveau comme moment de son "pratico-inerte," mais "ce moment doit etre considere comme provisoire, comme un scheme abstrait, une stase."13 L'homme sartrien est voue au depassement des structures, par son perpetuel effort vers une totalite signifiante. "Je ne comprends donc pas qu'on s'arrete aux structures, c'est pour moi un scandale logique."14 Pretendre faire du modele linguistique un modele d'intelligibilite pour tous les phenomenes hu- mains serait imposer a l'homme une synthese fausse et inerte. La linguistique elle-meme n'est intelligible que si elle renvoie a la praxis du sujet parlant. Le langage ne saurait s'entendre comme ce qui se parle a travers le sujet; sauf. on le verra, dans le cas anormal du jeune Flaubert qui ne parle pas, qui est parle.15 Ne se perd dans le langage que celui qui veut bien se laisser engluer dans sa masse ou ses structures. La subjectivite sartrienne existe, pourrait-on dire, non seulement par la conscience, mais encore grace au langage. Sous son aspect collectif, la structure peut s'imposer a l'individu: dans la mesure ou elle est faite par d'autres. La aussi le langage n'existe qu'en acte, car la aussi le systeme est mort si quelqu'un ne le reprend pas a son compte. Une discussion serree avec Sartre s'est pourtant developpee dans la New Left 12 SARTRE ET LE LANGAGE Review sur ce probleme de la totalisation collective.16 Si l'on regarde le langage comme le resultat d'une multiplicite d'actes de parole individuels additionnes, d'ou provient la structuration qui se dessine dans cette masse? Pourquoi ces structures plutot le labyrinthe du hasard? Sartre renvoie ici au probleme des origines du langage comme institution sociale, puis a la complexite du developpement historique des langues; enfin aux futures explications d'un second tome de la Critique de la raison dialectique, en projet. Rien dans tout cela qui autorise 'a douer la matiere ouvree mais inerte du langage d'un pouvoir d'auto-structuration. Mais, pour passer au registre proprement linguistique, le parti-pris essentiel de Sartre, dont l'expose dans "L'ecrivain et sa langue" lui valut les foudres du groupe Tel Quel, est celui qui bouleverse l'universelle serie: "signifiant- signifie-ref6rent"; le mot, le concept, l'objet. Sartre y substitue sa triade: le signifie qui est pour lui l'objet, la chaise - la signification qui est, transmis par la phrase, le message dont j'entoure l'objet - le signifiant enfin: mais ce participe actif, il le reserve au locuteur.17 Ainsi est souligne le role primordial du sujet historique comme fondateur du langage. Et en reduisant le signifie au referent, Sartre elimine l'etage des relations proprement linguistiques, le niveau du concept. C'est dire que l'etre du langage se definit comme com- munication: 'a la fois mediation directe en prise avec Ie reel et reciprocite entre les signifiants ou sujets parlant. Le langage c'est l'Autre en nous.18 Deux attitudes sont alors possibles: celle d'une transcendance qui cherche a depasser la materialite des mots vers l'action reelle - et celle d'une imma- nence qui s'attarde sur le langage et s'enfonce dans sa materialite. C'est le piege du pratico-inerte, fait des structures de la langue, des structures de l'inconscient qui uploads/Litterature/ sartre-et-le-langage 1 .pdf

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