Max Vincent De certains usages du catastrophisme Décembre 2012 De certains usag
Max Vincent De certains usages du catastrophisme Décembre 2012 De certains usages du catastrophisme (2012) -"Nous n'y sommes pas encore" dit Bouvard “Espérons-le ! “ reprit Pécuchet. N’importe, cette fin du monde, si lointaine qu’elle fût, les assombrit - et côte à côte, ils marchaient silencieusement sur les galets (...) Pécuchet poursuivait à haute voix ses pensées : - A moins que la terre ne soit anéantie par un cataclysme ? On ignore la longueur de notre période. Le feu central n’a qu’à déborder”. Bouvard se figura l’Europe engloutie dans un abîme. - “Admets” dit Pécuchet “qu’un tremblement de terre ait lieu sous la Manche. Les eaux se ruent dans l’Atlantique. Les côtes de France et de l’Angleterre en chancelant sur leurs bases, s’inclinent, se rejoignent, et v’lan ! tout l’entre-deux est écrasé”. Au lieu de répondre, Bouvard se mit à marcher tellement vite qu’il fut bientôt à cent pas de Pécuchet. Étant seul, l’idée d’un cataclysme le troubla. Il n’avait pas mangé depuis le matin. Ses tempes bourdonnaient. Tout à coup le sol lui parut tressaillir, - et la falaise au-dessus de sa tête pencher par le sommet. A ce moment, une pluie de graviers, déroula d’en haut. Pécuchet l’aperçut qui détalait avec violence, comprit sa terreur, cria, de loin : - Arrête ! arrête ! la période n’est pas accomplie”. Gustave Flaubert Mais là où il y a danger, là aussi Croît ce qui sauve Friedrich Hölderlin De certains usages du catastrophisme clôt un cycle entamé avec Du temps que les situationnistes avaient raison, poursuivi avec Réflexions partielles et apparemment partiales sur l’époque et le monde tel qu’il va, puis Lettre ouverte à Anselm Jappe sur Crédit à mort, et Cours plus vite Orphée, Michéa est derrière toi ! (textes tous mis en ligne sur le site “l’herbe entre les pavés”). Ce petit essai est autant une réflexion à proprement parler sur le catastrophisme que la reprise et le développement de thématiques abordées dans les textes précédents. Ces usages du catastrophisme sont traités prioritairement dans la première partie à travers l’analyse critique d’un livre publié en 2008 par les deux têtes pensantes des Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, celle d’un ouvrage plus récent de Bertrand Méheust, voire dans les commentaires sur une prétendue “histoire intellectuelle” du mouvement situationniste (au sujet de laquelle un retour critique sur Le nouvel esprit du capitalisme s’impose). La seconde partie prolonge ce propos catastrophiste du point de vue d’un “choc des civilisations” (à travers plusieurs articles du rédacteur d’un bulletin intitulé Le communisme du XXe siècle), en choisissant de le traiter depuis l’exposition d’une position antagoniste, féministe, antiraciste et “communautariste” : le premier légitimant en quelque sorte la seconde (sans que l’on s’interdise d’exercer son esprit critique voire plus sur cette “légitimité”). 2 La troisième partie s’efforce d’apporter des réponses à des questions laissées en suspens. En particulier sur les raisons pour lesquelles d’aucuns, parmi les anciens “radicaux” - qui mettaient leur énergie, leur passion, leur intelligence, et leurs capacités intellectuelles à vouloir démontrer que ce monde devait et pouvait être révolutionné dans la perspective d’une société sans classes, que pour ce faire la révolte était nécessaire, indispensable, - en sont arrivés à vouloir démontrer le contraire, avec la même constance : que ce monde par conséquent ne pouvait en aucun être transformé dans le sens indiqué, qu’il n’était plus possible, ni même envisageable de se révolter contre les nouvelles formes d’asservissement. Des réponses qui inciteront à reprendre la question du catastrophisme par un autre biais. Enfin la quatrième partie tente dans un premier temps de prendre le contre-pied de ces discours catastrophistes, ou du néoconservatisme qu’ils peuvent inspirer en allumant des contre-feux, principalement ceux d’une “survivance malgré tout ”. Ceci étant précédé du rappel de deux principes fondamentaux : la démocratie et l’utopie (elles-mêmes mises à l’épreuve pour les replacer dans la dynamique souhaitée) La voix d’André Breton, ensuite, vient remettre en perspective plusieurs des enjeux de cette “survivance” (déjà exprimés dans La lampe dans l’horloge vers le milieu du siècle précédent avec un argumentaire qui n’est pas sans présenter de nombreuses analogies avec le nôtre). Un commentaire plutôt inattendu, celui d’Annie Le Brun critiquant ce texte de Breton, provoquant en retour une autre approche du catastrophisme à travers la lecture critique des derniers livres publiés par Annie Le Brun. 1 Le catastrophisme n’est certes pas une idée neuve. Pourtant il retrouve en ce début de XXIe siècle un regain d’intérêt qui doit être mis en relation, nous affirme-t-on, avec une peur accrue de l’avenir dans un monde devenu incertain où le pire serait le plus sûr. N’ayant pas l’ambition de traiter sous toutes ses occurrences un sujet d’une telle ampleur, et qui suscite aujourd’hui davantage de commentaires voire de controverses que par le passé, je me contenterai d’en relever certains usages, quitte à déplacer les lignes pour dire en quoi, pourquoi et comment l’abandon ou la mise sous boisseau de perspectives révolutionnaires favorise l’émergence de discours catastrophistes, et réciproquement. Le catastrophisme, mais aussi le populisme sont rarement revendiqués du point de vue de l’appartenance par les “catastrophistes” et “populistes” de tout poil. Pour les seconds, il parait souhaitable de lever l’équivoque suivante. Le populisme à l’origine s’applique à des courants politiques américains et russes de la seconde moitié du XXe siècle se réclamant du peuple, ou accessoirement à une école littéraire française des années 1920 et 1930. Cette terminologie a cependant changé de signification, progressivement il va sans dire, depuis une trentaine d’années. Le populisme désigne aujourd’hui des courants de pensée apparus vers la fin du XXe siècle dans un contexte de mondialisation accélérée qui, disant parler au nom du peuple ou affirmant vouloir en défendre les valeurs, excipent des légitimes inquiétudes des classes populaires devant pareille évolution pour leur proposer une médecine et des remèdes pires que la maladie. Le populisme, d’une part, participe de la liquidation du prolétariat comme sujet émancipateur visant à l’abolition des classes sociales ; d’autre part il sert de repoussoir (et à travers lui exerce un chantage moral) aux élites converties à la mondialisation, lesquelles brandissent le cas 3 échéant cet épouvantail pour fustiger la défense très légitime des avantages acquis par les salariés. Cette dernière précision s’avère nécessaire pour dire en quoi nos gouvernants, et plus encore les experts qui les inspirent, par-delà la perniciosité bien réelle du populisme, ont recours au vocable “populiste” pour délégitimer des formes de dissensus qui remettraient en cause le consensus dominant (ou que l’on décrit tel) : de l’expression démocratique des salariés aux questions raciales ou religieuses. Ceci, je le répète, ne délégitimant d’aucune manière le qualificatif de “populiste” appliqué aux partis, courants ou penseurs répondant de la définition ci-dessus. On aurait donc recours à un discours à double entrée pour traiter du populisme. D’ailleurs l’existence d’un “populisme de gauche” et d’un “populisme de droite” l’illustre en partie. Cependant, si l’on se réfère au succès remporté par l’expression “bobos”, force est de constater que cette terminologie se trouve de plus en plus utilisée comme marqueur populiste. A ce jeu-là (de Marine Le Pen à Copé) la balance finit par nettement pencher du côté droit. Il parait difficile de reprendre ce type d’argumentation avec le catastrophisme. D’autant plus que les enjeux ne sont pas les mêmes. Du moins avancera-t-on que ceux qui revendiquent en la nuançant cette appellation (à l’instar du “catastrophisme éclairé” de Jean-Pierre Dupuy), le seraient moins que d’autres, catastrophistes, qui eux se gardent bien d’endosser pareille tunique, et s’en défendent même le cas échéant. On dira aussi que les premiers situent généralement la catastrophe sur une échelle temporelle quand les seconds en font l’horizon indéfini de notre futur, que la catastrophe soit pour eux advenue ou pas. Ceci doit être mis en relation avec deux manières d’envisager “la fin des temps”, ou du moins des raisons qui pourraient conduire à cette extrémité. Si ce catastrophisme, dans l’une ou l’autre de ces versions, ne peut que prospérer dans ce monde postmoderne qui est le nôtre, la seconde reprend à son compte la métaphore apocalyptique en l’usant jusqu’à la corde. Il y a certes d’autres façons d’aborder le catastrophisme que les limites de ce texte ne permettent pas de développer. Le rapport à la technique, par exemple. A travers les machines qui nous agiraient sans que la volonté humaine puisse changer quoi que ce soit. Mais j’ai déjà évoqué cet invariant catastrophiste dans d’autres textes de “l’herbe entre les pavés”. C’est pourquoi, en reliant les deux thématiques de ce petit essai (telles qu’elles sont d’emblée exposées au tout début de ce texte), il m’importera prioritairement d’indiquer en quoi le catastrophisme dans sa version la plus absolutiste contribue à neutraliser, occulter ou liquider tout projet concourant à l’émancipation du genre humain, révolutionnaire par conséquent. J’en viens au premier des ouvrages de cette rubrique “catastrophiste”. En 2007, dans un essai critique intitulé Du temps que les situationnistes avaient raison, consacré à l’Encyclopédie des Nuisances, j’avais évoqué parmi d’autres constatations le “discours catastrophiste” des auteurs publiés par cette petite maison d’édition. uploads/Litterature/ de-certains-usages-du-catastrophisme-max-vincent-2012.pdf
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- Publié le Jan 16, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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