De la même auteure La Nomenklatura française : pouvoirs et privilèges des élite
De la même auteure La Nomenklatura française : pouvoirs et privilèges des élites, avec Alexandre Wickham, Belfond, 1988 ; Le Livre de poche, 1991. La République bananière : de la démocratie en France, avec Jean-François Lacan, Belfond, 1989. Le jour où la France a basculé : 10 mai 1981, Robert Laffont, 1991. Le Nouveau Dictionnaire des girouettes, avec Michel Richard, Robert Laffont, 1993. Les Bonnes Fréquentations : histoire secrète des reseaux d’influence, avec Marie-Thérèse Guichard, Grasset, 1997 ; Le Livre de poche, 1998. L’Omertà française : autour de la loi du silence, avec Alexandre Wickham, Albin Michel, 1999 ; Pocket, 2002. Le Rapport Omertà 2002, Albin Michel, 2002. Le Rapport Omertà 2003, Albin Michel, 2003. La Vendetta française, Albin Michel, 2003. Le Rapport Omertà 2004, Albin Michel, 2004. « Vous, les politiques… », avec Francis Mer, Albin Michel, 2005. Mafia chic, avec Alexandre Wickham, Fayard, 2005 ; Le Livre de poche, 2007. Le Marchand de sable, Albin Michel, 2006. Rapacités, avec Jean-Louis Gergorin, Fayard, 2007. Le monde est à nous, avec Alexandre Wickham, Fayard, 2007 ; Le Livre de poche, 2009. Une présidence de crises : les six mois qui ont bousculé l’Europe, avec Jean- Pierre Jouyet, Albin Michel, 2009. Un État dans l’État : le contre-pouvoir maçonnique, Albin Michel, 2009 ; Points, 2010. Le Pacte immoral : comment ils sacrifient l’éducation de nos enfants, Albin Michel, 2011. Michelle Obama, l’icône fragile, Plon, 2012. L’Oligarchie des incapables, avec Romain Gubert, Albin Michel, 2012 ; J’ai lu, 2013. La Caste cannibal : quand le capitalisme devient fou, avec Romain Gubert, Albin Michel, 2014 ; J’ai lu, 2015. Ces chers cousins : les Wendel, pouvoirs et secrets, avec Romain Gubert, Plon, 2015. « Ça tiendra bien jusqu’en 2017… » : enquête sur la façon dont nous ne sommes pas gouvernés, avec Romain Gubert, Albin Michel, 2016. La Caisse : enquête sur le coffre-fort des Français, avec Romain Gubert, Éditions du Seuil, 2017. Le Nouveau Mal français, Éditions de l’Observatoire, 2017. ISBN : 979-10-329-0605-7 Dépôt légal : 2019, juin © Éditions de l’Observatoire / Humensis, 2019 170 bis, boulevard du Montparnasse, 75014 Paris Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. Avant-propos Vendredi 26 avril 2019, 13 heures, XV e arrondissement de Paris. Un nom connu de la France entière s’affiche sur l’écran de mon téléphone. Je décroche en marchant vers le taxi que j’ai commandé : « Bonjour, Alexandre. Vous allez bien ? J’imagine que vous avez écouté le président hier soir… Il a parlé de vous… Il semblait très ému… — Oui. Vous avez noté le silence, avant de répondre à la question du journaliste ? Et puis, quand il a dit qu’il m’en voulait encore plus parce que j’avais du talent, c’est un peu un hommage, non ? Un signe de respect… » La veille, à Marrakech où il réside la plupart du temps, quand il n’est pas convoqué par un juge, Alexandre Benalla a regardé la première conférence de presse d’Emmanuel Macron. Avoir entendu le chef de l’État parler de lui l’a rendu nostalgique. Cela fait neuf mois qu’il a été chassé de l’Élysée. Il refait le film. Il a toujours su que cette maudite vidéo du 1 er mai finirait par le rattraper. Ismaël Emelien, le conseiller spécial du président, avait beau lui dire que chaque jour qui passe éloigne le danger, lui n’en croyait rien. « Le jour du retour des Bleus à Paris, je suis au sommet, me dit-il. C’est l’événement le plus compliqué que j’aie jamais eu à gérer. Tout le monde me félicite. À 4 heures du matin, alors que je rentre chez moi, le président m’appelle pour me dire bravo. Ça me fait plaisir. Mais moi, j’ai ce compte à rebours dans la tête. » La première fois que j’ai rencontré Alexandre Benalla, je n’avais pas d’idée préconçue. Je souhaitais comprendre comment un jeune homme de 26 ans parti de nulle part, sans réseaux, avait pu se hisser aussi vite dans la plus haute sphère du pouvoir et en retomber encore plus rapidement. Par quel moyen il avait pu gagner la confiance du prince, à la fois d’Artagnan et chambellan. Comme beaucoup de Français, je me demandais comment un personnage présenté comme une brute arrogante pouvait avoir séduit le président. Un jour, petite frappe déguisée en policier qui se défoule sur une proie facile. Un autre, orateur aguerri face à une vingtaine de sénateurs qui le soumettent à la question. Il est le gardien des secrets qui a mis le quinquennat en danger. Le banni du Château parti chercher fortune en Françafrique. L’homme qui en sait trop. Alexandre Benalla est entré par effraction dans un monde qui n’était pas le sien. L’Élysée, la noblesse d’État, la police, haute et basse, les intrigues au sommet, les voyages officiels, les missions officieuses. Et puis, cette intimité avec le président. Cette confiance que lui accordait le chef de l’État. Parce que, discret et loyal, il arrangeait tous les coups, trouvait toujours la solution. Parce qu’il ne bavardait pas à tort et à travers. Parce qu’il savait tenir sa langue. Parce qu’il rapportait au président ce que plus personne n’osait lui dire. Benalla avait monté toutes les marches vers le sommet du pouvoir. Il en collectionnait tous les attributs. Un titre de chargé de mission à l’Élysée, un grade de lieutenant-colonel dans la gendarmerie, un permis de port d’armes, une habilitation secret-défense, un badge d’accès à l’Assemblée nationale, une voiture de service « équipée police », un logement de fonction au palais de l’Alma, dans les appartements réservés de la présidence, les clés de la résidence secondaire du président, un téléphone crypté réservé aux grands féodaux du royaume… Bien sûr, il le savait, ce merveilleux édifice pouvait s’effondrer à tout instant. Chargé de mission à l’Élysée certes, adjoint au chef de cabinet même, mais à titre officieux, sans aucune mention au Journal officiel. Titulaire d’un permis de port d’armes, mais attribué sur une base illégale. Lieutenant-colonel de la gendarmerie, mais à titre temporaire, sans galons ni barrettes, avec le risque de redevenir simple sous-officier de réserve, sans prestige ni panache. Tous ces hochets du pouvoir entre ses mains risquaient à tout instant de désintégrer. Il était incontournable au Château. Ambitieux. Beaucoup d’obligés et autant d’ennemis. Alexandre Benalla était là où il n’aurait jamais dû se trouver, funambule du pouvoir intrépide et pataud. Dans la monarchie française telle qu’elle survit et prospère, il est devenu un des personnages les plus courtisés du pays. Pour tous ces fils de famille, ces énarques surdiplômés, ces policiers de haut rang, ces militaires empesés, il incarnait le génie de la lampe d’Aladin. Un jeune homme doté d’un pouvoir presque surnaturel, celui que lui conférait son accès illimité au chef de l’État. Il allait bambocher avec le général Bio-Farina, commandant militaire de l’Élysée. Il se tapait dans le dos avec le préfet Prouteau, ex-super gendarme de Mitterrand et créateur du mythique GIGN. Il s’entraînait au tir avec les hommes du GSPR aux Pistolets d’Auteuil. Il était dans le film. Trop ! Le 1 er mai, il a tout gâché. Parce qu’il avait un casque de la police sur la tête, il s’est cru tout permis. Même de se prendre pour un flic, de maltraiter des manifestants et de les interpeller. Le héros méritocratique s’est évanoui. Il aurait même pu disparaître, retourner à l’anonymat, avec son master en sécurité, son petit grade de réserviste et ses fréquentations interlopes. Le 2 mai au matin, après avoir visionné la vidéo des exploits de Benalla, si le directeur de cabinet du président de la République décide de le licencier, il n’y a pas d’« affaire ». Mais l’histoire s’est déroulée autrement. Elle a transformé ce chargé de mission officieux en révélateur. Tel le sel argentique qui, lors du développement des photographies, fait peu à peu apparaître sur le papier vierge les contours et les contrastes de l’image, il expose l’envers de la Macronie, ce « nouveau monde » politique où, en théorie, tout n’est que transparence, service des autres et exemplarité. Il dévoile l’imposture. Il montre que l’édifice qu’on croyait inébranlable a été bâti sur du sable. Les mésaventures de Benalla mettent à nu une monarchie républicaine à bout de souffle. Elles racontent les abus de pouvoir, les faux-semblants, l’esprit courtisan et les hiérarchies parallèles qui gangrènent l’appareil d’État. Alexandre ou l’effet domino… En quelques mois, Macron perd seize de ses conseillers et autant de points dans les sondages. La préfecture de police est décapitée en plein mouvement des Gilets jaunes. Un samedi de décembre, l’Élysée craint même d’être livré aux insurgés. Du jamais vu sous la V e République. 1 « Alexandre commence à nous coûter un peu cher » « Alexandre commence à nous coûter un peu cher. » C’est avec un calme olympien, d’un ton presque amusé, qu’Emmanuel Macron prononce cette phrase devant quelques proches, en ce début d’année 2019. Un peu cher ? C’est un euphémisme ! L’« affaire Benalla » empoisonne son quinquennat depuis six mois. Le dernier dommage collatéral en uploads/Litterature/ sophie-coignard-benalla-la-vraie-histoire.pdf