Qu’est-ce que la littérature ? Jean-Paul Sartre Historique Publié pour la premi

Qu’est-ce que la littérature ? Jean-Paul Sartre Historique Publié pour la première fois, en plusieurs parties, à partir de 1947, dans la revue Les Temps modernes dirigée par Sartre (et fondée par lui en 1945), l'essai retouché constitue en 1948 le volume Situations II chez Gallimard. Depuis 2010, une nouvelle édition des Situations est entreprise par Arlette Elkaïm-Sartre afin de publier dans l'ordre chronologique les textes de Sartre dont certains ne figuraient pas dans les Situations. Qu'est-ce que la littérature ? ne figure plus dans l'édition de 2012 qui a pour sous-titre septembre 1944 - décembre 1946. Qu'est- ce que la littérature ? devrait donc être publié dans Situations III. L'essai est un manifeste de la conception sartrienne de la littérature engagée, conception qu'il défend contre ses critiques. Sartre y répond aux trois questions suivantes : « Qu'est-ce qu'écrire ? », « Pourquoi écrire ? », « Pour qui écrit-on ? ». Qu’est-ce qu'écrire ? La première question posée par Sartre concerne la définition de l’acte d’écrire est formulée de la manière suivante: « Qu'est-ce qu'écrire ? ». L’auteur va tout d’abord esquisser une réponse en considérant ce qu’écrire n’est pas : écrire n’est pas peindre, écrire n’est pas composer de la musique. En effet, contrairement au peintre ou au musicien qui se contentent de présenter les choses et de laisser le spectateur y voir ce qu’il veut, l’écrivain, lui, peut guider son lecteur. La chose présentée n’est plus alors seulement chose, mais devient signe. Une fois que l’écriture a été distinguée des autres formes d’art, Sartre peut passer à l’étape suivante, c’est-à-dire à la distinction, au sein même de l’écriture, de la prose et de la poésie, un point capital dans sa réflexion. On peut résumer la distinction par la formule suivante bien connue: « La prose se sert des mots, la poésie sert les mots ». La poésie considère le mot comme un matériau, tout comme le peintre sa couleur et le musicien les sons. La démarche du prosateur est complètement différente. Pour lui, les mots ne sont pas des objets, mais désignent des objets. Le prosateur est un parleur et « parler, c’est agir » . En effet, en parlant, on dévoile, et, dernière étape du raisonnement, « dévoiler, c’est changer » . Par cette distinction entre prose et poésie, Sartre a répondu à la question fondamentale du chapitre : écrire, c’est révéler. Révéler, c’est faire en sorte que personne ne puisse ignorer le monde et, dernier pas, si on connaît le monde, on ne saurait s’en dire innocent– c’est exactement la même situation que nous avons avec la loi, que chacun doit connaître afin de répondre ensuite de ses actes. Après avoir parlé du fond qui définit ce que c’est qu’écrire, Sartre en vient à la forme. Le style, insiste-t-il, s’ajoute au fond et ne doit jamais le précéder. Ce sont les circonstances et le sujet que l’on désire traiter qui vont pousser l’écrivain à chercher de nouveaux moyens d’expression, une langue neuve, et non l’inverse. À la fin du chapitre, Sartre revient sur l’idée d’engagement, idée sur laquelle il avait commencé son ouvrage en expliquant qu’on ne peut demander ni au peintre, ni au musicien de s’engager. L’auteur conclut que l’écrivain, lui, doit s’engager tout entier dans ses ouvrages. L’écriture doit être à la fois une volonté et un choix. Mais alors, si l’écriture est le fruit d’une décision, il faut à présent se demander pourquoi on écrit. Ce sera l’objet du chapitre suivant. Pourquoi écrire? Pour Sartre, la littérature est, comme il l’a démontré dans son premier chapitre, un moyen de communication. Il s’agit maintenant de savoir ce que l’on veut communiquer, ce que résume la question posée en tête du chapitre : « Pourquoi écrire ? ». Sartre commence par remonter à l’origine de l’écriture. «Un des principaux motifs de la création artistique est certainement le besoin de nous sentir essentiels par rapport au monde» explique l’écrivain. On peut prendre pour exemple une situation toute simple : un homme regarde un paysage. Par ce geste, il le «dévoile» et il s’établit une relation qui n’existerait pas si l’homme n’était pas là. Mais l’homme est en même temps profondément conscient du fait qu’il est inessentiel par rapport à cette chose dévoilée. Il ne fait que la percevoir sans prendre part au processus de création. L’homme est aussi capable de créer. Mais alors, il va perdre cette fonction de «révélateur». L’objet produit répond à des règles que lui-même a mises en place et est par là entièrement subjectif; il sera par exemple impossible à l’écrivain de lire ce qu’il a écrit avec un regard extérieur. La situation est inversée par rapport à celle que nous avions avec le paysage: le créateur devient essentiel car sans lui, l’objet n’existerait pas, mais ce dernier est maintenant inessentiel. Nous avons certes gagné la création, qui n’était pas présente lors de la contemplation d’un paysage, mais nous avons perdu la perception. La clé du problème se trouve dans la lecture, laquelle va réaliser « la synthèse de la perception et de la création »1. Pour que l’objet littéraire surgisse dans toute sa puissance, il faut qu’il soit lu: « c'est l'effort conjugué de l'auteur et du lecteur qui fera surgir cet objet concret et imaginaire qu'est l'ouvrage de l'esprit. Il n'y a d'art que pour et par autrui »1. Dans la lecture, l’objet est essentiel car il impose ses structures propres, tout comme le faisait le paysage, et le sujet est essentiel car il est requis non plus seulement pour dévoiler l’objet, mais pour que cet objet soit absolument. L’objet littéraire, précise Sartre, n’est pas donné dans le langage, mais à travers le langage. Il mérite, pour être parachevé, d’être lu, d’être par là dévoilé et finalement créé. L’activité du lecteur est créatrice. Nous atteignons alors un cas unique: l’objet créé est donné comme objet à son créateur et le créateur a la jouissance de ce qu’il a créé. Après avoir expliqué en quoi consistait l’opération d’écriture et de lecture, qui se complètent l’une l’autre, Sartre explore la relation particulière qui se développe entre l’auteur et son lecteur. Le premier ayant besoin du second afin que s’accomplisse ce qu’il a commencé, tout ouvrage littéraire est défini comme un appel et plus particulièrement un appel de l'auteur « à la liberté du lecteur, pour qu’elle collabore à la production de son ouvrage2 – sans lecteur, pas d’œuvre littéraire. Au centre de la relation entre auteur et lecteur, Sartre a ici placé le mot de « liberté ». Un pacte est scellé entre l’auteur et son lecteur : chacun reconnaît la liberté de l’autre. Le lecteur présuppose que l’écrivain a écrit en usant de la liberté dont est investi tout être humain (sinon l’œuvre entrerait dans la chaîne du déterminisme et ne serait pas intéressante), et l’auteur reconnaît à son lecteur sa liberté, laquelle est essentielle, comme nous l’avons vu, pour le parachèvement de l’œuvre. Voilà pourquoi la lecture peut être définie comme un exercice de générosité, chacun se donnant à l’autre dans toute sa liberté et exigeant de l’autre autant qu’il exige de lui-même. Si l’on résume le processus, on peut dire que l’écrivain a fait un premier mouvement qui est celui de la récupération du monde, le donnant à voir tel qu’il est, mais cette fois comme s’il avait sa source dans la liberté humaine et non plus dans le pur hasard des choses. Le lecteur, lui, récupère et intériorise ce non-moi en le transformant en impératif que l’on peut résumer ainsi : « Le monde est ma tâche ». C’est ce processus d’intériorisation qui va provoquer chez le lecteur ce que Sartre appelle « une joie esthétique »3 C’est précisément lorsque cette joie paraît que l’œuvre s’accomplit. Chacun est gagnant et récompensé pour sa peine. Mais on ne saurait s’arrêter là. Ce « dévoilement – création » doit également être un engagement, tout d’abord imaginaire, dans l’action3. Et Sartre critique le réalisme dont la posture est celle de la contemplation – ce mot s’opposant clairement à l’action. Si l’écrivain, en nommant l’injustice, la crée aussi en quelque sorte, il doit vouloir en même temps la dépasser et il invite son lecteur à effectuer la même démarche. D’un côté l’écrivain, de l’autre le lecteur: nous voilà en présence des deux responsables de l’univers. Après l’évocation de la responsabilité, Sartre revient à la fin de son chapitre sur son idée centrale, celle de la liberté : « l'écrivain, homme libre s'adressant à des hommes libres, n'a qu'un seul sujet : la liberté. »4. Par là, il montre qu’il a répondu à la question «Pourquoi écrire?» en proclamant que l’art de l’écriture est profondément lié à la liberté et par conséquent, s’aventurant sur le champ politique, à la démocratie : « Écrire, c'est une certaine façon de vouloir la liberté; si vous avez commencé, de gré ou de force vous êtes engagé»5. Le mot est lâché: engagé. La question est maintenant de connaître son public afin de savoir où et comment uploads/Litterature/ sartre.pdf

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