La voyeuse ROMAN FANTAH TOURÉ Pour Naëtt, ma première lectrice et trouveuse de
La voyeuse ROMAN FANTAH TOURÉ Pour Naëtt, ma première lectrice et trouveuse de titre © Les Éditions Didier, Paris, 2014 ISBN : 978-2-278-07973-5 À PROPOS DE L’AUTEUR Fantah Touré est une auteure franco-ivoirienne née à Paris. Elle a grandi entre le Sud-Ouest de la France, la région parisienne et la Côte d’Ivoire. Spécialiste des littératures francophones, elle a enseigné à l’université d’Abidjan puis dans des lycées en France et au Sénégal. Si son métier d’enseignante lui tient très à cœur, elle a toujours ressenti le besoin d’avoir « une deuxième vie », celle que lui offre l’écriture. Pendant longtemps, elle a simplement écrit pour elle-même, pour échapper à la routine, puis est venue l’envie de partager ses histoires avec d’autres. Avant La voyeuse, elle a publié plusieurs nouvelles et un roman (Les disculpées, Présence africaine, 2013). Dans ses textes, elle aborde volontiers la question de l’identité, multiple, irréductible aux catégories toutes faites. Elle s’intéresse également à la condition féminine et aux relations familiales. LA COLLECTION MONDES EN VF Collection dirigée par Myriam Louviot Docteur en littérature comparée www.mondesenvf.com Le site Mondes en VF vous accompagne pas à pas pour enseigner la littérature en classe de FLE par des ateliers d’écriture avec : • une fiche « Animer des ateliers d’écriture en classe de FLE » ; • des fiches pédagogiques de 30 minutes « clé en main » et des listes de vocabulaire pour faciliter la lecture ; • des fiches de synthèse sur des genres littéraires, des littératures par pays, des thématiques spécifiques, etc. Téléchargez gratuitement la version audio MP3 sur le site. Dans la collection Mondes en VF La cravate de Simenon, NICOLAS ANCION, 2012 (A2) Pas d’Oscar pour l’assassin, VINCENT REMÈDE, 2012 (A2) Papa et autres nouvelles, VASSILIS ALEXAKIS, 2012 (B1) Quitter Dakar, SOPHIE-ANNE DELHOMME, 2012 (B2) Enfin chez moi !, KIDI BEBEY, 2013 (A2) Jus de chaussettes, VINCENT REMÈDE, 2013 (A2) Un cerf en automne, ÉRIC LYSØE, 2013 (B1) La marche de l’incertitude, YAMEN MANAÏ, 2013 (B1) Le cœur à rire et à pleurer, MARYSE CONDÉ, 2013 (B2) New York 24 h chrono, NICOLAS ANCION, 2014 (A2) Orage sur le Tanganyika, WILFRIED N’SONDÉ, 2014 (B1) Combien de fois je t’aime, SERGE JONCOUR, 2014 (B1) Un temps de saison, MARIE NDIAYE, 2014 (B2) Dimanche 5 avril, 23 h François à Iris Iris, Je viens d’arriver chez moi. Comme tu peux l’imaginer, je suis furieux. Je ne comprends pas. Tu n’es pas venue et tu ne t’es pas excusée. Pourtant, je t’avais donné mon numéro de portable. J’espère que tu as une bonne excuse et que tu n’es pas une de ces allumeuses1 qui s’amuse avec les sentiments des autres. J’attends une explication. François 1. Allumeuse (n.f.) : Femme qui s’amuse à séduire les hommes. Mercredi 8 avril, 14 h 38 Iris à François Bonjour François, J’ai hésité à te répondre. Je t’écris installée devant un ordinateur qui n’est pas le mien, dans un bureau qui n’est pas le mien. Je profite de la sieste de Simon et du calme. Devant la fenêtre, je vois les branches d’un arbre bientôt couvert de feuilles. C’est le printemps. J’aime bien ce moment : j’ai l’impression de dominer la situation, un peu comme un capitaine sur son bateau. Tout est tranquille, je peux écrire pendant une heure avant que mon petit monstre se réveille. Hier, j’étais là, dans ce café proche de la gare Montparnasse, cachée dans le coin le plus discret, tout près de la fenêtre. Je t’ai vu pousser la porte, regarder autour de toi, puis t’asseoir à une table. Tu portais un pantalon noir et un blouson2 en cuir sur une chemise blanche. Tu m’as attendue deux heures. Tu pianotais3 nerveusement sur la table, tu consultais4 ton téléphone portable. Enfin, tu t’es levé et tu as enfilé5 ton blouson de mauvais garçon sur ta chemise sage. Moi, je me faisais toute petite dans mon coin. Il me semblait que tu allais marcher droit sur moi pour me gifler6 ou pour m’insulter. Mais non, tu as enfoncé tes mains dans tes poches et tu es sorti. Ton café refroidi est resté sur la table. À ce moment-là, j’ai respiré. J’ai attendu une bonne demi-heure devant mon verre de coca avant de partir moi aussi. Tu étais déçu7 et en colère, c’était normal. Je savais que tu te dirigeais vers le quai 9 ; tu allais monter dans le TGV 933 à destination de Saint- Brieuc. Là-bas, tu récupérerais la voiture laissée au parking de la gare pour rentrer chez toi, dans ce petit village où tu as toujours vécu. Toutes ces informations, je les tiens de toi. Je suis certaine que tu étais sincère. La tricheuse8, la menteuse, c’était moi. J’aimerais me racheter9 et te dire la vérité. Pour commencer, je ne m’appelle pas Iris. Envoie-moi juste un petit mot pour me dire que tu veux bien me laisser une chance de m’expliquer. Non, je ne suis pas une « allumeuse » ! 2. Blouson (n.m.) : Veste courte et serrée à la taille. 3. Pianoter (v.) : Tapoter, taper comme sur un piano. 4. Consulter (v.) : Regarder. Ici, regarder son portable pour voir s’il y a des messages. 5. Enfiler (v.) : Mettre. 6. Gifler (v.) : Frapper le visage de quelqu’un avec la main. 7. Déçu (adj.) : On est déçu quand ce qu’on espérait n’est pas arrivé. 8. Tricheuse (n.f.) : Personne qui ne respecte pas les règles. 9. Se racheter (v.) : Réparer ses fautes. Jeudi 9 avril, 1 h 17 François, à qui ? Je ne sais plus que penser, que croire… Après la colère, la tristesse, le doute… Qui est la fille qui m’écrit ? Quelle « vérité » pourrais-tu écrire maintenant ? Essaie pour voir… Je veux bien t’accorder une chance. Samedi 11 avril, 13 h 43 Mélina à François Merci François. Alors, je commence par le début. J’ai tellement de choses à dire qu’une pièce jointe10 de cent pages n’y suffirait pas. Pour notre rendez-vous, j’ai fait comme à chaque fois : j’ai choisi dans le café le meilleur poste d’observation possible, celui qui me donne une vue imprenable11 sur l’ensemble des tables et sur la porte. Tu étais l’inconnu, pas si inconnu que ça, avec lequel j’avais bavardé pendant des semaines sur le site de rencontres. Il a un nom merveilleux, ce site : lebonheurpourtous.com. Il promet de rendre heureux ceux qui recherchent une simple aventure, comme ceux qui espèrent le grand amour. J’ai essayé de tout prévoir : je me suis inventé un faux prénom, tout le monde fait pareil, je crois, et se protège derrière un pseudonyme12 ; j’ai choisi un nom de fleur, Iris. C’est une fleur des zones tempérées13, pas une fleur des tropiques. En réalité, je m’appelle Mélina. Je prétends14 habiter l’un de ces quartiers où je travaille. Cela me permet de décrire à mes contacts une vie qui n’est pas la mienne : je fais mes courses dans des magasins bio où les produits sont plus chers qu’ailleurs ; je vais aux spectacles ; j’enseigne l’histoire à des élèves gentils et bien élevés dans un lycée tout proche ; je pars en vacances… Tout est vrai, sauf que ce n’est pas ma vie. En fait, je joue un rôle, celui de la maîtresse de maison et de la maman. Je vais t’expliquer : je ne suis que de passage, je ne suis pas la mère du petit garçon qui dort deux portes plus loin. Je suis la personne payée pour nettoyer la maison et pour prendre soin des enfants. On peut dire que j’ai une jolie vie virtuelle15. Cela me permet de correspondre avec des hommes qui mènent eux aussi une vie confortable. Mais je n’oublie jamais qu’eux aussi peuvent mentir. En général, nous échangeons des mails pendant plusieurs semaines : ils me décrivent leur vie, je leur décris la mienne. Très vite, viennent les confidences16. Les plus importantes concernent notre vie amoureuse, évidemment. Ce n’est pas bien difficile pour moi de m’inspirer de ma vraie vie. Toutes les histoires se ressemblent : rencontres, coups de foudre17, vie commune, trahisons, déceptions, divorces18. Les confidences et les demandes purement sexuelles ne m’intéressent pas. Est- ce que je peux être vraiment certaine de la sincérité de mon correspondant ? Non, mais je me dis que les mensonges peuvent contenir beaucoup de vérité, quand ils parlent de tristesse et de solitude. Lorsque mon correspondant parle d’une rencontre, je propose un bar soigneusement19 choisi. Jusqu’à présent, je me suis rendue20 en tout à cinq rendez-vous. Je décris sur le site une tenue très différente de celle que je vais porter. Tu as remarqué que lorsqu’on attend quelqu’un habillé en bleu, on n’a aucune raison de s’intéresser aux gens habillés en noir ou en rouge ? Et puis je dois préciser que je ne ressemble pas du tout à la photo sur le site. Je porte de grosses lunettes. J’arrive toujours très à l’avance. Je sais à peu près à quoi ressemble celui qui va pousser la porte. uploads/Litterature/ a2-la-voyeuse-pdf.pdf
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- Publié le Apv 12, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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