Savoirs et compétences. De l’Université au monde professionnel Rapport au Profe

Savoirs et compétences. De l’Université au monde professionnel Rapport au Professeur André Tiran Président de l’Université Lumière - Lyon2 Daniel Dufourt Professeur des Universités Mars 2012 2 Avant Propos Par arrêté en date du 16 Juin 2011, le professeur André Tiran, Président de l'Université Lyon 2, a bien voulu me confier une mission de réflexion sur les points suivants : - Constitution d'une bibliothèque numérique sur les rubriques suivantes : des plateformes pédagogiques au portefeuille numérique d’expériences et de compétences, la construction de l’espace européen d’enseignement supérieur et de recherche, la politique de formation tout au long do la vie, les référentiels dans 1’enseignement supérieur en Europe, et aux USA, les portefeuilles numériques de développement personnel et les fonctionnel tés du Web 2.0, l’évolution comparée Europe –USA en matière de E-learning - Elaboration d’un argumentaire (à destination des étudiants principalement) situant les fonctionnalités du Web 2.0 et des nouveaux outils (serious games, clouding etc..) au regard de changements en cours dans la production et transmission des connaissances, - Constitution de référentiels pour les enseignements de licence : méthodologie.de Tuning. modalités d’élaboration des General Education Requirements des Universités américaines, - Introduction du portefeuille numérique : le portefeuille de développement personnel et le portefeuille des acquis de formation Le rapport présenté ci-après tente de répondre à ce cahier des charges dans une démarche en trois temps. Il s'agit d'abord de s'interroger sur les finalités de la relation pédagogique, son identité essentielle afin de disposer d’une problématique philosophiquement fondée, avant de passer à l'examen des procédures de certification qui couronnent et valident les formations universitaires. Il s'agit ensuite de s'interroger sur le devenir des missions de l'Université dans un contexte marqué à la fois par l'avènement de la société numérique et de nouveaux rapports au savoir conduisant à reconnaître un rôle actif aux apprenants, et par les préoccupations fondamentales prises en charge par la politique européenne de formation tout au long de la vie. Il s'agit, enfin, de rendre compte des modalités qui permettent d'élaborer des profils de formation et d'évaluer les acquis d'apprentissage en tenant compte des exigences scientifiques et des attentes sociales. Puisse l'ensemble des parties prenantes au complexe et passionnant travail de formation considéré dans toutes ses dimensions, y compris les plus routinières, tirer parti des réflexions qui sont ainsi livrées à leur examen. Lyon, le 26 mars 2012 Daniel Dufourt Professeur honoraire de sciences économiques 3 INTRODUCTION Depuis le début des années 2000, l’exigence de professionnalisation des formations fait une entrée en force dans les Universités. Comme l’expression précédente le laisse entendre, il s’agit moins d’adapter le contenu des formations à des référentiels de métiers, ou d’emplois-types aujourd’hui disponibles sur le marché du travail, que de reconfigurer les savoirs et leurs modalités de transmission dans une logique facilitatrice de l’acquisition de compétences susceptibles d’être mobilisées de manière appropriée, ultérieurement dans la vie active, dans des situations professionnelles diverses voire inédites. Plusieurs considérations éclairent les enjeux et la portée de ces changements qui bouleversent la vision traditionnelle du rôle de l’enseignement supérieur et de ses missions. Nous nous bornerons à titre liminaire à rappeler des problématiques emblématiques portant sur trois niveaux décisifs de la relation entre Université et monde professionnel. Enfin, nous rappellerons à quel point en dépit des représentations erronées qui circulent, l’insertion professionnelle des diplômés de l’Université reste bonne (selon la note de novembre 2011 de la DGESIP). 1 - Qu’est-ce que la professionnalisation des Universités ? a) Une tendance de longue période Initiée dès le début des années soixante avec la création des Instituts universitaires de technologie, poursuivie dans les années 70 avec la création des DESS en 1974, celle de l’université technologique de Compiègne et la mise en place des licences LEA et maîtrises MIAGE, cette tendance s’amplifie dans les années 1980 , après l’adoption de la loi du 26 janvier 1984 qui réaffirme la contribution de l’enseignement supérieur “à la réalisation d'une politique de l'emploi prenant en compte les besoins actuels et leur évolution prévisible” et prescrit une organisation des enseignements supérieurs en liaison avec les milieux professionnels : ainsi « leurs représentants participent à la définition des programmes dans les instances compétentes ; les praticiens contribuent aux enseignements ; des stages peuvent être aménagés dans les entreprises...». Puis, dans la foulée de la création des DEUST en 1984 et DRT en 1985 seront 4 mis en place les I.U.P (1991), les licences professionnelles (1999-2000) et les masters professionnels (2002). b) Une impérieuse nécessité pour les Universités, liée à la croissance des effectifs et à la concurrence des grandes écoles et autres filières de formation. Comme l’observe judicieusement Mohamed HERFI, tandis que les effectifs étudiants passaient de plus de 300.000 dans les années 60 à 2.300.000 à la rentrée 2009-2010, "en 2010, l’Université (y compris les IUT) accueille 60 % des effectifs du supérieur. Malgré la forte croissance des effectifs accueillis, son poids dans les formations supérieures a baissé de près de 10 points par rapport aux années 1960 (69 %). Cette évolution reflète le développement et le succès des formations professionnelles hors universités, qu’elles soient de courte durée comme celles organisées par les sections de techniciens supérieurs (10 %), ou de longue durée, comme celles dispensées dans les grandes écoles et les autres établissements de formation (30 %) " 1. Évolution des effectifs dans l’enseignement supérieur en France, 1960-2010 (milliers d’étudiants) Source : “Repères et références statistiques”, édition 2010, MEN et MESR. 1 HERFI H. [2012] L’enseignement professionnel initial dans le supérieur, Centre d’Analyse Stratégique, La Note d’Analyse, n° 260, janvier 2012, p.3. 5 c) Une transformation radicale dans les priorités, qu’il s’agisse des contenus à enseigner, des pratiques éducatives et des méthodes d’évaluation. L’université ne saurait se réduire à des écoles professionnelles même si l’histoire des institutions confère, de ce point de vue, un statut particulier aux disciplines juridiques et médicales. D’ailleurs les différents départements ministériels en lien avec l’évolution des trois fonctions publiques (cf. infra chapitre 1) ont su mettre en place des écoles supérieures, l’une des dernières en date étant significativement l’ESEN2 ! L’enjeu de la professionnalisation pour les Universités est donc d’une autre nature, ainsi que le souligne Emmanuel Triby : « La professionnalisation des universités ne correspond pas tant à la multiplication des filières professionnelles, au détriment des filières académiques, qu’à l’intrusion de la question des pratiques professionnelles au coeur même de la transmission des savoirs. Cette entrée en force s’opère selon trois vecteurs: l’intelligibilité de ces pratiques, la transformation des pratiques, la production de représentations légitimes de ce changement.(…) Même les filières générales sont touchées; elles doivent se demander ce qu’elles sont susceptibles d’apprendre à leurs étudiants, le formel et le non formel, et dans quelle situation d’apprentissage correspondant à des situations d’activité professionnelle elles peuvent les inscrire »3 2 - Quelle hiérarchie des savoirs se met en place à la faveur de la construction d’espaces d’équivalence lié à la certification et à des procédures telles que RPL* ou VAE** ? a) les effets de la construction d’espace d’équivalence : 2 L'école supérieure de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche [ESEN] est un service à compétence nationale, fondé par arrêté du 24 août 2011 et rattaché à la direction générale des ressources humaines des ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur et de la recherche. L’ESEN est chargée de la conception, du pilotage et de la mise en œuvre de la formation des personnels d' encadrement pédagogiques et administratifs, des personnels ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé et des personnels des bibliothèques du ministère chargé de l'éducation nationale et du ministère chargé de l'enseignement supérieur, à l'exception de ceux gérés par le service de l'action administrative et de la modernisation. Source : http://www.esen.education.fr/fr/l-esen/missions/ 3Emmanuel TRIBY [2006 ] La validation de l’expérience et le développement de l’enseignement supérieur. http://www.cedefop.europa.eu/etv/Upload/Information_resources/Bookshop/570/46_fr_Triby.pdf * Recognition of Prior Learning ** Validation des acquis de l’expérience 6 L’obligation de la prise en compte des relations entre savoirs et compétences, dans un souci de mieux préparer les étudiants aux réalités de leur future vie professionnelle a conduit à vouloir disposer de passerelles entre des référentiels hétérogènes et obéissant à des logiques différentes. Que les promoteurs et artisans de ces passerelles l’aient voulu ou non, il est clair que celles-ci, à travers les correspondances qu’elles instituent, ont pour effet de créer des espaces d’équivalence. Or, ainsi que le rappelle le grand statisticien Alain Desrosières « Comparer (c’est-à-dire voir ensemble) est un acte politique (…) Postuler et construire un espace d’équivalence permettant la quantification, et donc la mesure, est un acte tout à la fois politique et technique. Il est politique en ce qu’il change le monde : comparer les roturiers et les nobles préfigure la nuit du 4 août, comparer les noirs et les blancs appelle l’abolition de l’esclavage, comparer les femmes et les hommes appelle le suffrage vraiment universel incluant les femmes. »4 S’agissant du passage du monde professionnel au monde universitaire et vice-versa, quelles sont les conséquences de l’établissement de ces relations d’équivalence ? Là encore c’est Emmanuel Triby qui uploads/Litterature/ savoirs-et-competences-rapport-final-260412.pdf

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