SOUBIRAN, UN ESCROC AU RENSEIGNEMENT SOUS NAPOLÉON Du même auteur Chez Nouveau

SOUBIRAN, UN ESCROC AU RENSEIGNEMENT SOUS NAPOLÉON Du même auteur Chez Nouveau Monde éditions : L’Affaire Farewell – Vue de l’Intérieur Édition : Iris Granet, Sabine Sportouch Maquette : Pierre Chambrin © Nouveau Monde éditions, 2013 21, square St Charles – 75012 Paris ISBN : 978-2-36942-416-1 Dépôt légal : mai 2013 Imprimé en France par Dupli-Print SOUBIRAN, UN ESCROC AU RENSEIGNEMENT SOUS NAPOLÉON nouveau monde éditions À la mémoire de ma mère pour son immense affection et sa contribution à cette enquête à Toulouse et à Auch. « Croyez-vous m’abuser ? Couverts de noms sublimes, ces crimes consacrés n’en sont pas moins des crimes ? » Casimir Delavigne 11 Avant-propos On ne naît pas espion, on le devient, souvent, au gré des circonstances de la vie. L’espion n’est pas nécessairement contraint et forcé. La plupart du temps, le commun des mortels le considère comme quelqu’un de stipendié ou qui s’est laissé corrompre. On incrimine le pouvoir corrupteur de l’argent. Il est vrai que ce dernier n’est pas toujours étranger à l’espionnage ni à la trahison d’ailleurs. Il y a cependant de la marge, entre le traître que l’on désignera facilement à la vindicte populaire et l’espion beaucoup moins diabolisé. Les deux notions sont asymétriques. L’un œuvre contre son propre camp, l’autre est positionné dans le camp adverse. Judas Iscariote, qui tenait la caisse et ne se privait pas d’y puiser1, était motivé par la cupidité. C’est l’archétype du traître. Charles Louis Schulmeister, le fameux espion de Napoléon, était lui fasciné par son maître et se complaisait dans l’aventure parmi les états-majors ennemis. C’est le maître-espion de la période. On peut donc sans se laisser corrompre, et de son propre chef, par patriotisme se mettre au service de son pays, ou à l’inverse de l’ennemi, par pure idéologie par exemple. Il peut y avoir dans cette démarche volontaire sinon une justifi cation morale, du moins une certaine cohérence 1. Évangile de Jean, 11-12. Soubiran, un escroc au renseignement sous Napoléon 12 intellectuelle qui dans certains cas mérite le respect2. Mais, selon qu’il sera dénoncé, se fera prendre ou non, la destinée de l’espion pourra être assimilée à celle d’un traître méprisable ou d’un authentique héros. La réalité ne se présente pas toutefois sous cet aspect, aussi distinctement binaire : la vile trahison et la grandeur du service de l’État. Il est incontestable, en effet, que certains personnages ont des dispositions de l’esprit pour l’intrigue. On peut être assuré, dans ce cas, que de tout temps, en tout lieu, il se passera quelque chose. Simple agent, indicateur de police ou espion de haut vol, l’éventail sera large entre les petites et les grandes compromissions, les basses besognes et les affaires d’État. Pour tout compliquer, souvent dans les faits, rien n’est tout à fait clair, c’est le mélange des genres qui prévaut. L’espionnage et la prostitution sont, dit-on parfois, les deux plus vieux métiers du monde. C’est une façon de souligner que leur exercice est depuis toujours commun à l’humanité toute entière. Cette constatation classique conduit souvent à un inva- riant de la nature humaine, et singulièrement à sa part d’ombre. Déjà hier, moins qu’aujourd’hui peut-être, on faisait commerce de son corps et de ses charmes. On continue tout aussi facilement à vendre son âme au diable. Immuables perversions du corps et de l’esprit qui au fi l des temps se sont professionnalisées au point d’avoir de nos jours pignon sur rue. Personnage sulfureux, tour à tour aventurier, imposteur, provocateur, escroc, espion, Paul Émile Soubiran savait user de son charme et de sa perfi die pour séduire les femmes, parfois belles mais toujours dotées, aux crochets desquelles il a vécu la plus grande partie de sa vie. Bel homme, sympathique, il arrivait 2. Ces « mouchards » volontaires rappellent à l’éditeur du Livre noir de MM. Delavau et Franchet – dans un de ses nombreux commentaires – un Napolitain qui, mal accueilli, voulut connaître le motif des rebuffades qu’il venait d’essuyer. « Vous êtes espion », lui dit son interlocuteur. Il en convint, mais ajouta fi èrement : « Sachez Monsieur que, si je suis espion, ce n’est pas pour de l’argent, mais pour l’honneur Monsieur ! » Voir Delavau, Le Livre noir de messieurs Delavau et Franchet, ou répertoire alphabétique de la police politique sous le ministère déplorable, tome II, 2e édition, Paris, Moutardier, 1829, p. 88. Avant-propos 13 à subjuguer, à abuser avec la plus grande aisance bon nombre de ses contemporains parmi les plus haut placés. Les jours fastes ne durent pas, le tumulte de la Révolution puis de l’épopée napoléonienne ont porté un temps les frasques de cet aventurier, de ce vagabond impénitent qui a profi té largement du désordre. La Restauration, la tranquillité publique s’installant au fi l des ans devaient le discréditer et le ravaler au rang de délateur ordinaire et pathétique. Tout comme les escrocs, les espions sont d’autant plus par- faits qu’ils sont parfaitement sympathiques. Le sourire est un argument commercial, et ce n’est pas une pratique exclusive de la prostituée. « On attrape les mouches plutôt avec du miel qu’avec du vinaigre », c’est bien connu. Pendant la partie la plus aventu- reuse de sa vie, Paul Émile Soubiran a été en permanence l’ac- teur d’un « jeu de rôle » au sens moderne du terme, en équilibre instable entre fi ction et réalité. La noirceur de l’âme enrobée de bons sentiments et la complexité de la nature humaine, tel est le fi l conducteur de notre essai d’investigation posthume sur Paul Émile Soubiran d’après ce qu’en disaient et ce qu’en écrivaient ses contemporains. Prostitution, espionnage, les plus vieux métiers du monde ! Il ne faut évidemment pas pousser trop loin l’aphorisme, encore qu’on puisse s’amuser à y trouver des analogies. Ces deux acti- vités s’exercent dans l’ombre, dans l’anonymat. Prostituées et espions sont des espèces nocturnes : « belles de nuit » et « hommes de l’ombre »… Mais, paradoxalement, si les unes aussi dénom- mées « fi lles publiques » s’exposent sous les lampadaires ou « font le trottoir », clients et espions ont tendance à se cacher et à « raser les murs ». Le monde des espions est celui du secret. C’est une question de vie ou de mort. Généralement l’exercice de ces métiers n’anoblit pas. Aux yeux de l’opinion, ils sont dégra- dants et ont mauvaise presse. L’espionnage n’est pas assimilé à un service régulier. Le métier d’espion est exercé à prix d’argent Soubiran, un escroc au renseignement sous Napoléon 14 par des individus à la moralité douteuse, telle est parfois l’opi- nion des bien-pensants. L’espionnage serait peut-être tolérable, dit Montesquieu, s’il était exercé par d’honnêtes gens. Napoléon affi rme quant à lui que c’est une activité très honorable. Phéno- mène nouveau, certains espions sont même devenus des chefs d’État célèbres3. Depuis des temps anciens, prostituées, courti- sanes, danseuses, musiciennes font bon ménage avec les espions, et sont créditées d’un rôle non négligeable dans bien des affaires du monde, pas seulement dans le roman ou le fi lm d’espion- nage. Talleyrand, qui s’y connaissait en politique et en espion- nage, mélangeant allégrement les deux, ne disait-il pas : « Oui, les femmes, c’est la politique » ? On se souvient de son mot d’ordre au congrès de Vienne : « Il faut faire marcher les femmes ! » Le contexte révolutionnaire, l’Empire et la Restauration ont vu se déliter la société de l’Ancien Régime au profi t d’une société civile nouvelle. Les anciennes structures mentales ont été fon- damentalement bouleversées, les conduites délestées de certains jugements religieux et moraux. Les mœurs sont libres, on divorce pour se remarier aussitôt, et redivorcer au plus vite. Durant cette période, les traîtres, les espions, les délateurs, dénommés aussi péjorativement « mouchards », pullulent. On n’a jamais vu dans l’histoire de France une telle frénésie en matière de déla- tion, d’espionnage, autant de trahisons objectives et répétées. À l’époque, l’espionnage apparaissait comme une technique, une activité de la police, en vue essentiellement du contrôle politique de la société. Il y avait là une confusion, un mélange des genres dans les esprits en général et au sommet de l’État impérial. Temps fort de la Révolution que celui du Comité de sûreté générale, véritable ministère de la Police qui ne dit pas son nom, et dans la réalité offi cine de délation au profi t de la minorité gouvernementale qui a fonctionné, toutes proportions gardées, comme la Tchéka des premiers jours de la révolution russe. 3. Yitzhak Shamir, Ben Ali, George Bush père, Vladimir Poutine pour ne citer qu’eux. Avant-propos 15 Qu’on en juge : le Comité de sûreté générale a mis en application la fameuse « loi des suspects », et de ce fait institué la délation en principe citoyen. Les ennemis de la Révolution sont classés par catégories, stigmatisés et donc pourchassés. Le certifi cat de civisme est obligatoire. Au départ, il y a une décision de l’Assemblée constituante du 28 juillet 1789 créant un « Comité de recherche » formé de députés uploads/Litterature/ soubiran-2013-raymond-nart-9782365833820.pdf

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