Octave MIRBEAU Les 21 jours d'un neurasthénique (Éditions La Piterne, 2017) Pré

Octave MIRBEAU Les 21 jours d'un neurasthénique (Éditions La Piterne, 2017) Préface des Vingt et un jours d’un neurasthénique Publié le 15 août 1901, Les Vingt et un jours d’un neurasthénique dresse un admirable, mais partial, panorama de la Belle Époque. Cette intention n’a pas été comprise par les contemporains de Mirbeau, qui n’ont eu, à de rares exceptions près, que des commentaires prudents ou gênés à formuler en guise de critique. Il faut rappeler le plus célèbre d’entre eux – et le plus expéditif – paru sous la plume de Rachilde : « Il y a de tout ; c’est le carnet d’un reporter, le fond de tiroir d’un journaliste, le fond de bain d’une très belle imagination parfumée au musc des boulevards et aux sueurs des salles d’armes » (Mercure de France, octobre 1901, p. 197). Aussi négatifs soient-ils, ces propos visent paradoxalement juste. Il ne suffit que d’en inverser la valeur pour obtenir une analyse pertinente du roman, qui se veut un condensé de l’esprit de l’époque. Un manifeste esthétique Le roman est d’abord un manifeste esthétique et une réponse à la sclérose du genre romanesque, incapable, selon Mirbeau, de se renouveler. Plutôt que de développer un récit linéaire dans lequel l’enchaînement causal des situations assure la cohérence et la vraisemblance du récit, le romancier préfère composer des récits hétérogènes, qui compilent des textes publiés isolément dans la presse, qu’il s’agisse de contes ou de chroniques journalistiques. Très tôt Mirbeau a mis à mal le principe séminal du roman français vanté par les analyses, non dénuées de sous-entendus idéologiques, d’un Paul Bourget1: la composition. Au sujet du Calvaire, il signale dès 1886 à ce même Bourget qu’« [e]n écrivant, [il ne s’est] préoccupé ni d’art, ni de littérature [...] [qu’il s’est] volontairement éloigné de tout ce qui pouvait ressembler à une œuvre composée, combinée, écrite littérairement2. » C’est une telle esthétique que va outrer le roman de 1901 en collant ensemble une soixantaine de contes déjà publiés. Le reproche du manque d’unité et de composition auquel il se heurte semble oublieux de cette littérature d’observation qu’a été la littérature panoramique au tout début du siècle et dont la structure parcellaire était consubstantielle à sa nature. Le genre de la physiologie, auquel les divers portraits présents dans le roman incriminé pourraient d’ailleurs faire songer, n’a pourtant pas complètement disparu des pratiques littéraires. Mirbeau lui-même participe en 1889 à l’ouvrage collectif Les Types de Paris qui n’est rien d’autre qu’une reprise moderne de moindre ampleur de la somme Les Français peints par eux-mêmes3. 1 « Il y a, outre l’élément de vérité, un élément de beauté dans cet art si complexe du roman. Cet élément de beauté, c’est, à mon sens, la composition. Si nous voulons que le roman français garde un rang à part, c’est la qualité que nous devons maintenir dans nos œuvres. », Paul Bourget, Nouvelles Pages de Critique et de Doctrine, cité par Albert Thibaudet, « La composition dans le roman ». 2 Lettre à Paul Bourget du 21 novembre 1886, Correspondance générale, L’Age d’Homme, 2002, t. 1, p. 618. 3 En 1901, année de la parution des Vingt et un jours, H. Floury publie un recueil du même type Figures de Paris, ceux qu’on rencontre et celles qu’on frôle, dans lequel, sous la houlette d’Octave Uzanne, plusieurs écrivains se livrent à l’exercice du portrait typique. Que faut-il alors déduire de la critique exprimée, sinon qu’elle traduit la difficulté, pour les contemporains, d’accepter une telle forme en raison de son écart avec les codes usuels du romanesque ? L’influence du roman de mœurs réaliste à l’œuvre dans le champ littéraire depuis le milieu du siècle a imposé une forme canonique exclusive, seule à même de rendre compte du réel dans son étendue et sa vérité. Les auteurs s’imprègnent inconsciemment de ce modèle, qui tend rapidement à devenir dominant et qui suppose le souci de la composition assorti d’une dimension explicative. L’intégration de cette norme se fait de manière continue jusqu’à la fin du XIXe siècle, où l’on peut encore la repérer dans la réaction de Rachilde. Le roman de mœurs, facteur de libération et de renouveau de la littérature à ses origines, quand il renvoie dos à dos le romantisme et l’idéalisme, l’a cependant été au détriment de la liberté formelle de la littérature panoramique. Qui plus est, il est devenu, quelques décennies plus tard, le nouveau modèle dominant, qui limite les possibles dans le champ littéraire. Il se trouve que l’école naturaliste a réussi au-delà des espérances de Zola et que, en dépit de nuances de détails entre auteurs, elle a imposé une matrice romanesque exclusive, de même que, dans le domaine de la peinture, les lois de la perspective représentent le schème indépassable de la représentation du réel (schème qui s’impose encore aux impressionnistes, quel que soit par ailleurs leur degré de remise en cause de la représentation4). Plus superficiellement encore, les deux mouvements, littéraire et pictural, ont créé une mode et, pour le meilleur et pour le pire, nombre d’épigones. Monet le déplore dès 1880 en avouant au journaliste de La Vie Moderne, qui l’interroge à propos de l’impressionnisme : « La petite église est devenue une école banale qui ouvre ses portes au premier barbouilleur venu5. » Pour la littérature, Thibaudet dresse le même constat en évoquant « ce genre de roman moyen » auquel aboutit cette « école du roman pour tous [qui] a montré au premier venu qu’il pouvait bâtir un roman avec sa vie et celle de ses voisins [...]6 ». S’il y a des suiveurs, c’est aussi parce qu’il y a des prescripteurs. Léon Bloy, avec toute la violence qui lui est coutumière, dénonce cet autre visage de l’hégémonie naturaliste en s’en prenant aux « législateurs de la Fiction7 », Mirbeau aurait donc eu le tort de ne pas respecter, dans Les Vingt et un jours d’un neurasthénique, qui suit pourtant la voie frayée par ses deux romans précédents, Le Jardin des supplices et Le Journal d'une femme de chambre, les codes romanesques en vigueur, dont la juridiction s’étend au-delà même des limites de la littérature soucieuse de rendre compte de la réalité. La littérature idéaliste, qui se développe concurremment dans le siècle aux écoles réaliste et naturaliste, peut bien, en effet, accuser ces dernières de se complaire dans la trivialité du quotidien et la dimension graveleuse de tout ce qui touche au corps, ses critiques s’en prennent uniquement au fond des œuvres, mais restent étrangement muettes sur leur forme. C’est que, bien qu’uniquement préoccupés de l’âme, les auteurs idéalistes n’ont pas trouvé de formule plus heureuse, pour atteindre leur but, que la peinture structurée et progressive d’une existence, qu’une description du personnage essentiellement psychologique et orientée vers une fin. Cette dimension téléologique du roman idéaliste est la même que celle à laquelle sacrifient les auteurs réalistes ou naturalistes, à qui il importe que le tableau brossé de la société soit inscrit dans une progression et qu’il forme un tout indépendant qui « se tienne » grâce à la composition. Les Vingt et un jours d’un neurasthénique offre pour sa part une alternative à l’orthodoxie formelle qui règne dans le genre romanesque. 4 Comme l’indique Pierre Francastel, « [a]u fond, [...], si l’on y regarde de plus près, on s’aperçoit vite que le schéma de composition de la plupart des toiles impressionnistes est strictement analogue à celui d’une toile classique », in Peinture et société, coll. « Idées/Arts », Gallimard, 1965, p. 123. 5 La Vie moderne, 12 juin 1880, cité par Henri Mitterand; in Zola, L’Œuvre, Folio, 2005, p. 490. 6 Albert Thibaudet, « Le Groupe de Médan », Réflexions sur le roman, Gallimard, 1938, pp. 132- 133. 7 La Femme pauvre. Épisode contemporain, Paris, Éditions G. Crès, [1897], 1924, p. 157. Un panorama critique de la société L’objectif de Mirbeau, s’il est esthétique, est aussi et surtout polémique. Il s’agit de dresser dans son roman le portrait de la société de son époque. Or il s’avère que la forme fragmentaire répond parfaitement à un tel objectif. En y ayant recours, le roman décadent enregistrait la déliquescence du monde par l’intermédiaire des soubresauts d’une conscience individuelle repliée sur elle-même. Mirbeau fait un constat identique à travers le même prisme morcelé et idiosyncrasique, mais loin de restreindre l’expérience évoquée aux limites d’une subjectivité, son écriture débouche sur une réflexion sociétale globale. En ce sens, cette forme, loin d’être un caprice ou le signe d’une impuissance créatrice, est intimement liée à l’époque dans laquelle elle éclot. L’artifice fictionnel utilisé par Mirbeau est simple : décrire une ville de cure et ses estivants à travers le regard de l’un d’entre eux. Pour ce faire, Mirbeau s’inspire de Luchon, où il a séjourné en 1897 pour soigner une pharyngite diagnostiquée par son médecin, le célèbre docteur Robin. Mais les emprunts à la réalité s’arrêtent là. Le reste est affaire de littérature et de parti pris. Le narrateur n’a, en effet, que peu de choses en commun avec Mirbeau, sinon un uploads/Litterature/ arnaud-vareille-preface-des-quot-21-jours-d-x27-un-neurasthenique-quot 1 .pdf

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