FRANÇAIS Question relative aux textes proposés (11 points) À partir des textes

FRANÇAIS Question relative aux textes proposés (11 points) À partir des textes du corpus, vous analyserez comment s’articulent les rôles respectifs de l’auteur et du lecteur dans la construction du sens de l’œuvre littéraire. TEXTE 1 Antoine Compagnon, Le Démon de la théorie, Éditions du Seuil, mars 1998, pp.105-107. L’intention d’auteur ne se réduit donc pas à un projet ni à une préméditation intégralement consciente (« l’intention claire et lucide » de Picard). L’art est une activité intentionnelle (dans un ready-made, seule reste l’intention pour faire de l’objet un objet esthétique), mais il existe de nombreuses activités intentionnelles qui ne sont ni préméditées ni conscientes. Écrire, si la comparaison est permise, ce n’est pas comme jouer aux échecs, une activité où tous les mouvements sont calculés ; c’est plutôt comme jouer au tennis, un sport où le détail des mouvements est imprévisible, mais où l’intention principale n’en est pas moins ferme : renvoyer la balle de l’autre côté du filet de la manière qui rendra le plus difficile à l’adversaire de la renvoyer à son tour. L’intention d’auteur n’implique pas une conscience de tous les détails que l’écriture accomplit, ni ne constitue un évènement séparé qui précéderait ou accompagnerait la performance, suivant la dualité fallacieuse de la pensée et du langage. Avoir l’intention de faire quelque chose – renvoyer la balle de l’autre côté du filet ou composer des vers –, ce n’est pas faire avec conscience ni projeter. John Searle comparait l’écriture à la marche à pied : bouger les jambes, soulever les pieds, tendre les muscles, l’ensemble de ces actions n’est pas prémédité, mais elles ne sont pas pour autant sans intention ; nous avons donc l’intention de les faire quand nous marchons ; notre intention de marcher contient l’ensemble des détails que la marche à pied implique. Comme Searle, polémiquant avec Derrida, le rappelait : Peu de nos intentions parviennent à la conscience comme intentions. Parler et écrire sont des activités intentionnelles mais le caractère intentionnel des actes illocutoires n’implique pas qu’il y ait des états de conscience séparés de l’écriture et de la parole (Searle, 1977, p. 202). Autrement dit, la thèse anti-intentionnaliste se fonde sur une conception simpliste de l’intention. « Intenter de dire quelque chose », « vouloir dire quelque chose », « dire quelque chose intentionnellement », ce n’est pas « préméditer de dire quelque chose », « dire quelque chose avec préméditation ». Les détails du poème ne sont pas projetés, non plus que tous les gestes de la marche à pied, et le poète ne pense pas en écrivant aux implications des mots, mais il ne s’ensuit pas que ces détails ne soient pas intentionnels, ni que le poète n’ait pas voulu dire les sens associés aux mots en question. Proust, lorsqu’il contestait que le moi biographique et social fût au principe de la création esthétique, loin d’éliminer toute intention, substituait à l’intention superficielle et attestée dans la vie une autre intention profonde, dont l’œuvre était un meilleur témoignage que le curriculum vitae, mais l’intention restait au centre. L’intention ne se limite pas à ce qu’un auteur s’est proposé d’écrire – par exemple à une déclaration d’intention – non plus qu’aux motivations qui ont pu l’inciter à écrire, comme le désir d’acquérir de la gloire, ou l’envie de gagner de l’argent, ni enfin à la cohérence textuelle d’une œuvre. L’intention, dans une succession de mots écrits par un auteur, c’est ce qu’il voulait dire par les mots utilisés. L’intention de l’auteur qui a écrit une œuvre est 1 sujet sujet 3 3 logiquement équivalente à ce qu’il voulait dire par les énoncés qui constituent le texte. Et son projet, ses motivations, la cohérence du texte pour une interprétation donnée, ce sont après tout des indices de cette intention. Ainsi, pour bien des philosophes contemporains, il n’y a pas lieu de distinguer intention de l’auteur et sens des mots. Ce que nous interprétons quand nous lisons un texte, c’est, indifféremment, le sens des mots et l’intention de l’auteur. Dès qu’on commence à les distinguer, on tombe dans la casuistique. Mais cela n’implique pas de revenir à l’homme et l’œuvre, puisque l’intention n’est pas le dessein, mais le sens intenté. TEXTE 2 Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, Éditions Gallimard NRF, édition 1972, chapitre 2. J’ai ainsi vécu seul, sans personne avec qui parler véritablement, jusqu’à une panne dans le désert du Sahara, il y a six ans. Quelque chose s’était cassé dans mon moteur. Et comme je n’avais avec moi ni mécanicien, ni passagers, je me préparai à essayer de réussir, tout seul, une réparation difficile. C’était pour moi une question de vie ou de mort. J’avais à peine de l’eau à boire pour huit jours. Le premier soir je me suis donc endormi sur le sable à mille milles de toute terre habitée. J’étais bien plus isolé qu’un naufragé sur un radeau au milieu de l’océan. Alors vous imaginez ma surprise, au lever du jour, quand une drôle de petite voix m’a réveillé. Elle disait : – S’il vous plaît… dessine-moi un mouton ! – Hein ! – Dessine-moi un mouton… J’ai sauté sur mes pieds comme si j’avais été frappé par la foudre. J’ai bien frotté mes yeux. J’ai bien regardé. Et j’ai vu un petit bonhomme tout à fait extraordinaire qui me considérait gravement. Voilà le meilleur portrait que, plus tard, j’ai réussi à faire de lui. Mais mon dessin, bien sûr, est beaucoup moins ravissant que le modèle. Ce n’est pas ma faute. J’avais été découragé dans ma carrière de peintre par les grandes personnes, à l’âge de six ans, et je n’avais rien appris à dessiner, sauf les boas fermés et les boas ouverts. Je regardai donc cette apparition avec des yeux tout ronds d’étonnement. N’oubliez pas que je me trouvais à mille milles de toute région habitée. Or mon petit bonhomme ne me semblait ni égaré, ni mort de fatigue, ni mort de faim, ni mort de soif, ni mort de peur. Il n’avait en rien l’apparence d’un enfant perdu au milieu du désert, à mille milles de toute région habitée. Quand je réussis enfin à parler, je lui dis – Mais qu’est-ce que tu fais là ? Et il me répéta alors, tout doucement, comme une chose très sérieuse : – S’il vous plaît dessine-moi un mouton Quand le mystère est trop impressionnant, on n’ose pas désobéir. Aussi absurde que cela me semblât à mille milles de tous les endroits habités et en danger de mort, je sortis de ma poche une feuille de papier et un stylographe. Mais je me rappelai alors que j’avais surtout étudié la géographie, l’histoire, le calcul et la grammaire et je dis au petit bonhomme (avec un peu de mauvaise humeur) que je ne savais pas dessiner. Il me répondit : – Ça ne fait rien. Dessine-moi un mouton. Comme je n’avais jamais dessiné un mouton je refis, pour lui, l’un des deux seuls dessins dont j’étais capable. Celui du boa fermé. Et je fus stupéfait d’entendre le petit bonhomme me répondre : 4 FRANÇAIS CORRIGÉS CORRIGÉS SUJETS SUJETS 5 – Non ! Non ! Je ne veux pas d’un éléphant dans un boa. Un boa c’est très dangereux, et un éléphant c’est très encombrant. Chez moi c’est tout petit. J’ai besoin d’un mouton. Dessine-moi un mouton. Alors j’ai dessiné. Il regarda attentivement, puis : – Non ! Celui-là est déjà très malade. Fais-en un autre. Je dessinai : Mon ami sourit gentiment, avec indulgence: – Tu vois bien ... ce n’est pas un mouton, c’est un bélier. Il a des cornes ... Je refis donc encore mon dessin: Mais il fut refusé, comme les précédents : – Celui-là est trop vieux. Je veux un mouton qui vive longtemps. Alors, faute de patience, comme j’avais hâte de commencer le démontage de mon moteur, je griffonnai ce dessin-ci. Et je lançai : – Ça c’est la caisse. Le mouton que tu veux est dedans. Mais je fus bien surpris de voir s’illuminer le visage de mon jeune juge : – C’est tout à fait comme ça que je le voulais ! Crois-tu qu’il faille beaucoup d’herbe à ce mouton ? Pourquoi ? Parce que chez moi c’est tout petit… Ça suffira sûrement. Je t’ai donné un tout petit mouton. Il pencha la tête vers le dessin : Pas si petit que ça… Tiens ! Il s’est endormi… Et c’est ainsi que je fis la connaissance du petit prince. 3 5 TEXTE 3 Marcel PROUST, Pastiches et Mélanges, Éditions Gallimard, coll. « Idées », première édition 1919, réédition 1970, pp. 229 à 232. Et c’est là, en effet, un des grands et merveilleux caractères des beaux livres (et qui nous fera comprendre le rôle à la fois essentiel et limité que la lecture peut jouer dans notre vie spirituelle) que pour l’auteur ils pourraient s’appeler « Conclusions » et pour le lecteur « Incitations ». Nous sentons très bien que notre sagesse commence où celle de l’auteur finit, et nous voudrions uploads/Litterature/ sujet-de-francais-crpe-2015-corrige.pdf

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