Tous droits réservés © Département des littératures de l'Université Laval, 1990

Tous droits réservés © Département des littératures de l'Université Laval, 1990 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 6 juil. 2021 15:56 Études littéraires Ars poetica. Ars poesis Jeanne Demers Ars poetica Volume 22, numéro 3, hiver 1990 URI : https://id.erudit.org/iderudit/500908ar DOI : https://doi.org/10.7202/500908ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Département des littératures de l'Université Laval ISSN 0014-214X (imprimé) 1708-9069 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Demers, J. (1990). Ars poetica. Ars poesis. Études littéraires, 22(3), 7–10. https://doi.org/10.7202/500908ar Résumé de l'article Au Moyen Âge, la Musique chante l'unité du savoir et de l'être. Quand, au XIV e siècle, être et savoir se distancient l'un de l'autre, entraînant avec eux théorie et pratique, matière et forme, la «littérature» émergente joue un rôle d'articulation entre ces dichotomies. Les Arts de seconde rhétorique disent comment la poésie prend en quelque sorte le relais de la Musique au sein d'une économie marchande, et comment elle lutte contre l'hégémonie grandissante de la prose. ARS POETICA ARS POESIS POÈTES, ne chantez pas la rose, faites-la fleurir dans vos poèmes. Vicente Huidobro La recherche d'un modèle est le fondement de toute investigation scientifique '. • Dès la première phrase de sa Poétique Aris- tote mettait cartes sur table. Il annonçait l'intentionnalité du traité dont il commençait la rédaction : celui-ci porterait sur « l'art poé- tique en lui-même », sur « ses espèces, consi- dérées chacune dans sa finalité propre ». Il y serait question de « la façon dont il faut com- poser les histoires si l'on veut que la poésie soit réussie » (notons bien la précision téléologique), « du nombre et de la nature des parties qui la constituent, et également de toutes les autres questions qui relèvent de la même recher- che ». Du coup il inaugurait (officiellement, car avant lui il y avait eu Platon) la tradition européenne multiséculaire de l'Art poétique (Arspoetica) et de tous les textes apparentés - préfaces, examens, réflexions, discours, arts de..., conseils (souvent sous forme de lettre) à de jeunes poètes, etc. - qui abordent l'art de poésie (ars poesis)2. Malheureusement, la transmission du « pro- gramme » aristotélicien devait, au fil du temps, connaître de nombreuses modifications que les seuls problèmes de traduction et d'adapta- tion ne peuvent expliquer. C'est ainsi qu'a été occultée, au profit d'un didactisme toujours tenté par le dogmatisme, l'importante notion de recherche qui, chez le théoricien grec, fai- sait pendant à celle de leçon. Quelques excep- tions peut-être ? Je pense à certains arts de seconde rhétorique forcés par le passage à la langue vernaculaire de s'interroger à propos, par exemple, du e muet dans le vers ; aux dis- cussions XVIIe qui allaient aboutir à la Querelle des Anciens et des Modernes et dont l'ouver- ture était réelle ; plus près de nous, à ces poétiques d'auteur qui, bien qu'autojustificatives parfois, sont des sortes de sondes dans l'inconnu d'une poésie en train de se faire ; aux nom- breux travaux théoriques des cinquante der- 1 Watzlawick, P., J. Helmick Beavin et Don D. Jackson, Une logique de la communication, Paris, Seuil (Points), 1979, p. 31. 2 II faut entendre le mot poésie au sens restrictif qu'il a depuis qu'il est passé dans le domaine français et non au sens large de littérature avant la lettre, chez Aristote. Études Littéraires Volume 22 N° 3 Hiver 1989-1990 ETUDES LITTERAIRES VOLUME 22 N" 3 HIVER 1989-1990 nières années enfin, dont le but est moins explicatif ou législatif que cognitif \ Il y a aussi le manifeste qui lance violem- ment la poésie dans l'arène du changement et fait le pari utopique de la ramener à ses sour- ces par une « fuite en avant » vers l'Origine. Et il y a la poésie elle-même, toujours neuve quand elle est excellente - « divine » alors, précise Montaigne - et qui n'a pas nécessairement pour se mettre en question à se dire Art poé- tique, comme le fait le dernier recueil de Guillevic, sous-titré significativement poème au singulier, bien qu'il contienne cent soixante- dix textes. Le présent numéro d'Études littéraires se propose de cerner le phénomène du métadiscours poétique français, en insistant sur l'apport spécifique des traités appelés « Art poétique ». Une double hypothèse le sous-tend : à travers les siècles, l'« Art poétique » qui a choisi d'as- sujettir l'analyse du fait poétique et de sa fonction à ce que l'on pourrait nommer une économie et une éthique de l'écriture, a fini par se constituer en genre ; il a atteint son point culminant avec Boileau et ses avatars XVIIIe pour être bientôt remplacé par le manifeste (abondant on le sait au tournant des XIXe et XXe siècles), les poétiques d'auteur et la critique comme institution. De la critique, il sera à peine fait mention. Celle-ci s'intéresse d'abord à l'oeuvre indivi- duelle dont elle est toujours une lecture parmi d'autres, alors que l'« Art poétique » cherche à classer, à ordonner - les « espèces » dont parle Aristote et leur « finalité propre » -, à légiférer - le « il faut [...] si l'on veut... » -, dans tout le champ d'une pratique. La critique est écri- ture. L'« Art poétique » également, mais comme par excès, la conscience qu'il a des codes lui donnant souvent une allure autoparodique. La critique relève de l'œuvre au sens strict, ne serait-ce qu'à cause de l'inévitable intrusion du sujet dans le discours qu'elle tient ; aussi n'appartient-elle au métadiscours poétique que métaphoriquement. L'« Art poétique » au con- traire n'a de sens que par l'objectivité apparente de ce dernier malgré une allégeance occasion- nelle à un certain lyrisme. N'emprunte-t-il pas la plupart du temps le ton neutre de la Loi ? Ton apparemment neutre d'ailleurs puisqu'en fait, T« Art poétique » décide et impose. Hors du faire qu'il décrit, point de salut pour le poète. Encore y a-t-il lieu de distinguer entre les arts poétiques et les époques. Les articles qui portent sur un siècle précis se trouvent contri- buer à cette distinction, tout en ouvrant des pistes vers une meilleure connaissance du genre. Éric Mechoulan situe les arts de seconde rhé- torique des XIVe et XVe siècles par rapport au Quadrivium médiéval. Il montre comment la poésie,« musique du vulgaire », y est dégagée de la musique instrumentale, quelle part est faite au « former » et au « créer » (re- et récréer), il signale le lien politique - « français contre latin, laïc contre clerc, état national contre 3 Sont exemplaires sur ce point les travaux de Jakobson, Kristeva, Cohen, Fonagy (je cite au hasard), qui relèvent de la Poétique au sens moderne du mot. Je ferais une place particulière à ceux de Benoît de Cornulier dont le projet est moins de comprendre comment fonctionne le langage poétique, que de savoir décoder une certaine poésie qui existe déjà ; également à la Vieillesse d'Alexandre de Roubaud, qui ajoute au cognitif une dimension performative. N'est-ce pas logique ? Roubaud est poète... 8 ARS POETICA ARS POESIS pouvoir religieux » - qui marque les débuts de la littérature. Peut-on mieux indiquer le rôle important joué par les textes préfigurant les arts poétiques des XVIe et XVIIe siècles, égale- ment la valeur de la poésie dans toute société ? Avec « les Masques de Du Bellay », Robert Melançon entre dans le vif de la question. Il distingue un texte programmatique, comme la Deffence, d'écrits qui cherchent à contrôler une pratique devenue, depuis les Grands Rhétoriqueurs, excessivement technique. Il insiste surtout sur l'effet que doit provoquer la poésie, effet dont était bien conscient Du Bellay, au point que son destinateur changeait de statut - de persona, de masque - à chaque œuvre nouvelle. Problème intéressant s'il en est que celui de la performativité de la poésie et d'autant que cette performativité doit exis- ter sans dépendre de quelque réfèrent que ce soit. Problème que l'on croit moderne, et pourtant... n'était-il pas déjà implicite dans la notion anti- que de « furor » ? Don des dieux que cette fureur poétique, qui transforme le poète en une sorte de mé- dium et forme l'une des deux principales thématiques de YArspoetica à travers les siècles - depuis Horace en fait, et son Épître aux Pisons ; l'autre étant son pendant humain, soit la maîtrise du métier, le travail éclairé par des règles précises que l'on peut et doit apprendre. D'autant d'ailleurs que celles-ci contribuent au plaisir du lecteur, heureux d'en vérifier l'application réussie. « Apollon ou Orphée. La Poétique déchirée », déclare Bernard Beugnot du métadiscours poétique XVIIe dont il révèle les certitudes et uploads/Litterature/ jeanne-demers-ars-poetica-ars-poesis.pdf

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