LE ROMAN AFRICAIN D'EXPRESSION FRANCAISE Xavier GARNIER Université Paris 13 PER

LE ROMAN AFRICAIN D'EXPRESSION FRANCAISE Xavier GARNIER Université Paris 13 PERMANENCE DU RECIT ORAL DANS LE SILLAGE DU ROMAN COLONIAL LES ROMANS DE DENONCIATION LES ROMANS DE COMBAT DEUX ROMANS DISCORDANTS A L’HEURE DES INDEPENDANCES DES ROMANCIERS RESPONSABLES L’INSCRIPTION PROSPECTIVE DE LA TRADITION ORALE ELOGE DE L’IRRESPONSABILITE ROMANESQUE ROMAN ET ECRITURE DU DESTIN PERSISTANCE ET RENOUVEAU DU ROMAN DE CONTESTATION LE ROMAN FAMILIAL LE ROMAN ENTRE MYTHE ET PHILOSOPHIE ECRIRE LES DICTATURES LES ROMANS DE L’ANOMIE LES ROMANS DE LA REVOLTE SOLITAIRE LA MONTEE DES MARGINAUX VERS UNE ECRITURE POLYPHONIQUE L’HISTOIRE REVISITEE LA TRAJECTOIRE PICARESQUE 1 RACONTER POUR EXISTER COMME SUJET A l’image du français en Afrique, le roman francophone africain est l’écume d’un immense océan narratif plurilingue. La prise de conscience de l’importance de ce soubassement est un point de départ incontournable. Certes, on l’a souvent dit, le roman est un genre européen et c’est en Europe qu’il faut chercher les modèles et les références des romans africains. La méthode sera parfois opératoire, cependant elle ne permettra pas de rendre compte de la spécificité de l’évolution du genre en Afrique Noire. La filiation européenne est l’enveloppe visible d’une écriture qui dès ses premiers pas a posé son autonomie. Très rares sont pourtant les romanciers africains qui s’inscrivent en rupture. Tout se passe comme si la stratégie de continuité était le moyen le plus sûr de creuser un écart en toute tranquillité, à l’ombre d’une intrigue conventionnelle qui reprend souvent sans sourciller les clivages coloniaux de la ville et du village, de la modernité et de la tradition, du Blanc et du Noir. Retracer l’évolution du roman africain est un exercice piégé qui s’appuie nécessairement sur des effets de surface. Le caractère tranché de la distribution que nous proposons risque d’occulter le réseau complexe de lignes de fractures qui poussent discrètement, dès les premiers romans, et se ramifient d’un roman à l’autre, obstinément et dans tous les sens. La tentation de ne voir que dans les romanciers les plus récents l’avènement d’un authentique roman africain dégagé des influences coloniales est un effet d’optique dont il ne faut pas être dupe. Dans le cas de l’Afrique Noire la difficulté est accrue par le redoutable partage, hérité de l’époque coloniale, en grandes zones d’influence des langues européennes. Le roman africain anglophone tisse avec le roman francophone une toile contrastée mais cohérente que les grands regroupements centrifuges que sont le Commonwealth et la Francophonie tendent à déchirer. La cohérence de l’évolution du roman francophone en Afrique tient, par delà le lien francophone, à son intrication avec le roman anglophone. A l’instar des contes, les grands courants romanesques ne connaissent pas les frontières linguistiques et étendent sur le continent un réseau qu’il est moins rentable d’analyser en termes d’influences que de résonances ou d’échos. Il ne sera pas rendu compte ici de la consistance de ce réseau qui s’étend également au roman lusophone, afrikaans, swahili, yoruba, etc. L’enjeu de cette présentation consistera à retrouver un centre de gravité à un fragment. La colonisation française (et son singulier prolongement) en Afrique Noire sera le ciment du roman francophone. D’une certaine façon le roman africain, qui est né de la colonisation, ne parle que de ça, n’existe que par ça et pour ça. Le roman va investir les situations coloniale et postcoloniale avec une telle force qu’il en sortira des résonances inédites. Les tentatives, souvent velléitaires, d’ inventer un roman authentiquement africain, sont autant de ruses que le roman emploie, peut-être parfois à l’insu des auteurs, pour s’insinuer plus profondément dans les arcanes de la colonisation. Rattacher le roman africain à la colonisation ne revient pas à le cantonner dans une problématique marginale ou tiers-mondiste. Césaire clame dans son Discours sur le colonialisme (1950) que la colonisation est la grande affaire de la modernité, le roman, forme moderne, va le montrer. L’Europe, qui tend souvent à penser que les affaires africaines n’existent qu’à la périphérie et qui attend dans le meilleur des cas des auteurs africains une parole régénératrice venue des lointains, découvre avec déception et malaise des oeuvres 2 d’une étrange familiarité. En se plaçant au coeur du système (post)colonial, le roman africain ne parle ni de l’Afrique, ni de l’Europe, mais d’un entre-deux instable et chaotique, qui est au coeur de la modernité et dont les romanciers africains ont commencé avant les autres l’exploration. PERMANENCE DU RECIT ORAL Les histoires foisonnaient depuis bien longtemps sur le continent africain lorsque les Français, leur langue, leurs cahiers et leurs plumes firent leur apparition. Une fois installés, des administrateurs ou des missionnaires comme Equilbecq, Jacottet, Monteil, Zeltner s'occupèrent à recueillir, transcrire, traduire et adapter certaines de ces histoires afin de révéler l'âme nègre aux Français. Ces ouvrages plurent. Un auteur reconnu comme Blaise Cendrars reprend les histoires contenues dans ces recueils et compose une petite Anthologie nègre (1921) qui élève ces quelques histoires prélevées dans des villages de brousse au rang de la littérature universelle. Du plus local au plus universel, le parcours de ces quelques histoires est exemplaire. La langue française, la papier et la plume ont arraché ces récits à la bouche des villageois, aux silences, aux mimiques et aux gestes des conteurs, aux rires des auditeurs, pour les faire voyager sous forme de textes. Pourtant, sans aucun doute, toute l'histoire est là, Elquibecq ou Monteil sont dignes de foi. De l'oral à l'écrit, l'histoire à changé de support ou de régime narratif, elle est toute entière ici et là mais on en attend pas les mêmes effets. Transcrits et traduits, sortis de leur contexte culturel, les contes perdent leur rôle éducatif mais gardent leur caractère ludique et distrayant. Dans le contexte européen, ils revêtent un aspect exotique, qui n’est bien évidemment qu’un effet de perspective mais va expliquer le succès de ces recueils auprès du public. Parallèlement à des compositions plus personnelles, beaucoup d’écrivains africains vont publier à leur tour des recueils de contes en français. Le Sénégalais Birago Diop nous transmet des contes wolof dans Les contes d’Amadou Koumba (1958), Les Nouveaux contes d’Amadou Koumba (1963) et Contes et Lavanes (1963). La critique a beaucoup insisté sur le remarquable travail de transposition littéraire de la tradition orale. Birago Diop est un styliste capable de rendre par la vigueur de sa plume la vitalité et l’humour de l’énonciation orale. Suivant les régions les personnages des contes animaliers, qui sont les plus appréciés des lecteurs, vont changer. Le décepteur, le petit animal rusé qui déjoue la force physique de ses adversaires sera suivant les régions le lièvre, l’araignée, la tortue ou la grenouille. La Côte d’Ivoire avec Bernard Dadié (Le pagne noir, 1955), le Cameroun avec René Philombe (Passerelle divine, 1959), le Congo avec Guy Menga (Les aventures de Moni-Mambou, 1971, ou Les indiscrétions du wagabond, 1974) et Tchicaya U Tam’si (Légendes africaines, 1969). D’un pays à l’autre, d’un recueil à un autre, les contes se répondent pour former un tissu narratif dense qui témoigne de la vitalité de la narration orale sur le continent. 3 En dehors de ses fontions éducatives et distractives, l’oralité est aussi en charge du passé. La mémoire des griots et des anciens est immense. La célèbre formule du Malien Amadou Hampaté Bâ: "En Afrique, chaque fois qu'un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle" explique le désir de transposer par écrit. Il s'agit de sauvegarder une mémoire. La mémoire du passé suppose des récits longs qui remontent à la nuit des temps et s'écoule au fil de généalogies interminables. Au cours de ce siècle, seront transcrits et traduits, par des auteurs européens ou africains, des mythes de création, des récits initiatiques, des épopées, des chroniques historiques... tirés de la mémoire des peuples. La transcription de la cosmogonie Dogon par Marcel Griaule dans Dieu d’eau a été saluée comme un événement ethnographique à portée littéraire. De fait, nombre de ces textes seront des événements littéraires. En 1943, le Grand Prix Littéraire de l'A.O.F. est attribué à Hampaté Bâ pour Kaydara, l'adaptation d'un conte initiatique peul. Hampaté Bâ est modeste, il ne tient pas à être considéré comme un auteur. Il considère ce texte comme une simple transcription. Il travaille en collaboration avec des chercheurs européens (Lylian Kesteloot, Germaine Dieterlen, Christiane Seydou) pour collecter, transcrire et traduire les traditions orales de son peuple et publiera principalement des récits initiatiques: Koumen (1961), L’Eclat de la grande étoile (1974). Le souci d’Hampaté Bâ de sauvegarder la tradition ne doit pas nous entraîner à assimiler l’oralité à la tradition. Inutile de préciser que les histoires continuent de foisonner dans les villages et dans les métropoles africaines et que si les récits oraux changent de forme c'est que la vie sociale est en perpétuelle mutation. La création romanesque africaine n’est certainement pas à considérer comme le prolongement d’une tradition narrative orale qui aurait passé le relai avant de se taire. Son enracinement est tout autre et doit être recherché chez les Européens d’Afrique, dans la mouvance du roman colonial. DANS LE SILLAGE DU ROMAN COLONIAL Dans ses Etudes sur le roman colonial, parues en 1930, uploads/Litterature/ le-roman-africain-d-x27-expression-francaise.pdf

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