COnTEXTES n°1 (2006) Discours en contexte .....................................

COnTEXTES n°1 (2006) Discours en contexte ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Paul Aron Sur les pastiches de Proust L’ethos et le champ ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. T oute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique Paul Aron, « Sur les pastiches de Proust », COnTEXTES [En ligne], n°1 | 2006, mis en ligne le 15 septembre 2006, consulté le 18 mai 2012. URL : http://contextes.revues.org/59 ; DOI : 10.4000/contextes.59 Éditeur : Groupe de contact F .N.R.S. COnTEXTES http://contextes.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://contextes.revues.org/59 Document généré automatiquement le 18 mai 2012. © T ous droits réservés Sur les pastiches de Proust 2 COnTEXTES, n°1 | 2006 Paul Aron Sur les pastiches de Proust L’ethos et le champ 1 Le pastiche peut être défini comme l’imitation, parodique ou non, du style d’un auteur ou d’un courant littéraire. Cette définition implique qu’on ne pastiche généralement pas un texte singulier mais les traits typiques d’un ensemble de textes (sauf dans le cas où l’œuvre d’un auteur se confond avec un seul texte, comme par exemple le célèbre sonnet de Félix Arvers dont il existe des centaines de pastiches). Elle implique par ailleurs que le pastiche, activité imitative, peut relever du registre parodique, mais qu’il ne s’y inscrit pas nécessairement ; d’autre part, il existe bien entendu des parodies qui ne sont pas des pastiches. 2 Marcel Proust a pratiqué le pastiche dès ses années d’étude, mais également tout au long de sa carrière. On connaît de lui une quarantaine de pastiches, la plupart publiés ou au moins rendus publics dans sa correspondance et dans son œuvre de fiction même. Ces pastiches sont relativement bien connus. Ceux de L’Affaire Lemoine ont été étudiés méticuleusement par Jean Milly (1970) et le pastiche des Goncourt dans La Recherche a fait l’objet de plusieurs études (Bouillaguet). Ces travaux philologiques et de commentaire interne ne prennent toutefois pas la mesure des phénomènes que je voudrais souligner. 3 Il faut insister à la fois sur la permanence et la régularité de l’activité pastichante de Marcel Proust. 4 Son tout premier projet littéraire destiné à la publication est une imitation des « Pronostics pour l’année 1887 » que Jules Lemaitre publie dans le Figaro. Il l’envoie à son ami Robert Dreyfus pour paraître dans La revue lilas dans le courant de l’année 1888, avant même la publication de son modèle en volume. C’est au même moment que ses amis réalisent que le délicat Marcel n’était pas dépourvu d’ambitions académiques 1. Paraît ensuite « Violante ou la Mondanité », dans la revue Le Banquet 2, récit « pastiché des contes de Voltaire » d’après Dreyfus 3, puis, dans La revue blanche, « Mondanité de Bouvard et Pécuchet 4 », pastiche de Gustave Flaubert et, brièvement, de Maurice Maeterlinck. À l’autre bout de sa carrière littéraire, il imite encore Paul Souday dans une lettre à celui-ci en mai 1922 5. Son premier livre publié, Les Plaisirs et les jours (1893) contient plusieurs pastiches. Le recueil des Pastiches et mélanges publiés chez Grasset en 1919 en comporte de nombreux autres. Entre les deux, des contributions au Figaro, à la Presse, de très nombreuses notations dans la correspondance et des essais divers restés longtemps inédits notamment indiquent que Proust n’a pas été un pasticheur régulier et non pas occasionnel, et surtout, on y reviendra, qu’il a tenu à faire connaître son goût de l’imitation à ses intimes et aussi à un cercle plus large de lecteurs. Le pastiche est donc inséparable à la fois d’un discours sur cette pratique et d’un discours sur soi. Cette attitude lui permet de construire ce que j’appellerai un ethos de pasticheur. Mais pour comprendre ce fait, il nous faut faire un détour. Son activité prend en effet sens dès lors qu’on la lie au statut de l’art du pastiche à la fin du XIX e siècle. Il nous faut donc nous interroger sur le genre, ses motivations, mais aussi sur son « image de marque » littéraire. C’est ainsi que le trait discursif qui nous intéresse révélera ses implications dans l’usage concret qu’en font des écrivains en concurrence dans le champ littéraire français. 5 Le pastiche est un exercice scolaire assez commun. L’imitation des grands auteurs, latins et français, est au centre de l’apprentissage littéraire depuis le XVII e siècle. Il se décline en exercices variés comme les applications, les amplifications, les transpositions, etc. Au moment où Proust rédige ses premiers pastiches, son presque contemporain Antoine Albalat affirme : La lecture bien faite comprend non seulement des fiches, des notes, des analyses, mais une foule d’autres exercices profitables comme les comparaisons, le pastiche, la transposition. […] On fait ainsi du bon Rousseau, du bon Bossuet, du bon La Bruyère, du bon Montesquieu. Savoir imiter, c’est apprendre à ne plus imiter, parce que c’est s’habituer à reconnaître l’imitation, et à s’en passer quand on y sera rompu. Le danseur de corde use du balancier pour le quitter 6. Sur les pastiches de Proust 3 COnTEXTES, n°1 | 2006 6 Cet usage est d’autant plus important que la France connaît depuis 1880 une série de réformes de l’enseignement visant à substituer à la rhétorique traditionnelle et à la connaissance du latin une meilleure compréhension du style des auteurs français modernes. Dans son discours en latin, lors de la remise des prix aux lauréats du concours général, Jules Ferry annonce la disparition de la composition latine au Baccalauréat et du discours latin au Concours général. Cet enseignement est désormais conçu comme vecteur de culture plutôt que comme apprentissage linguistique. Disparaît en conséquence le parallèle entre l’Antiquité et le monde moderne qui nourrissait nombre d’exercices. Les lycéens qui écrivaient au nom de Cicéron, d’Auguste ou de César étaient censés apprendre du même geste la langue, l’histoire et la morale. Les récits des Anciens étaient des recueils de faits exemplaires. L’altérité, qu’assurait l’allégorie antique, doit désormais être prise en charge par l’étude des textes modernes. Le décret du 19 juin 1880 impose la Composition française sur un sujet de littérature ou d’histoire en lieu et place de la composition latine. Françoise Douay-Soublin constate ainsi que les thèmes à sujets littéraires (du type : Lettre de Fénelon à La Motte sur la querelle des Anciens et des Modernes), inconnus avant 1859, en viennent à occuper les quatre cinquièmes des exercices proposés dans les années 1880-1890. Les sujets dits historiques (du type : Réponse du Conseiller Portalis au tsar Alexandre qui lui demandait d’établir un code de justice, en 1804) s’effondrent en proportion, même si la distinction entre les deux genres d’exercices n’est pas toujours aisée à établir 7. 7 Rétablie en 1808, la classe de rhétorique s’était maintenue tout au long du siècle. Le rapport de Gustave Merlet en 1889 (Rapport sur l’Enseignement du français) insiste sur le fait qu’on peut se dispenser de l’enseignement de la rhétorique pour former les élèves à l’art d’inventer, de composer et d’écrire : c’est à l’étude des textes français que sera confié cet objectif pédagogique. La réforme de 1902, dans laquelle Gustave Lanson joue un grand rôle, rendra cette suppression effective. Entre ces deux dates, l’évolution est sensible. Les autorités sont amenées à revoir le « canon » des auteurs mobilisés à des fins pédagogiques. Bossuet et Corneille sont présents à chacun des trois niveaux de l’enseignement des lettres, Molière, Fénelon, Voltaire, Racine et La Bruyère viennent ensuite. Le premier auteur « moderne » est Chateaubriand, suivi immédiatement par Hugo, Lamartine, Musset, Vigny 8. En parallèle, se développe l’exercice de l’explication française, qui doit assurer l’apprentissage pratique des règles de l’expression écrite. Une série d’exercices sont recommandés : l’élève rédigera des lettres, dialogues, discours, dissertations, parallèles, portraits, tableaux voire testaments en imitant les modèles qu’on lui propose. La plupart des consignes inscrivent ces pratiques narratives dans un contexte de référence ancien, qui mobilise le savoir historique des élèves. On leur demande d’écrire une « Lettre de Boileau à Colbert en faveur du vieux Corneille délaissé et réduit presque à la misère » (1881, Grenoble) 9; une « Lettre de Madame de Sévigné à sa fille après la représentation du Misanthrope », un « dialogue entre Scudéry et Rotrou, après la première représentation du Cid ». Le dialogue des morts est mis en valeur : « Vous supposerez un dialogue aux enfers entre l’Iphigénie d’Euripide et l’Iphigénie de Racine » (1883, Aix). La suite d’une œuvre possède uploads/Litterature/ sur-les-pastiches-de-proust 1 .pdf

  • 12
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager