La conversion baudelairienne Author(s): Jérôme Thélot Source: L'Année Baudelair

La conversion baudelairienne Author(s): Jérôme Thélot Source: L'Année Baudelaire , 1999, Vol. 5, Hommage à Claude Pichois. Nerval, Baudelaire, Colette (1999), pp. 119-142 Published by: Honoré Champion Stable URL: https://www.jstor.org/stable/45073900 JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to L'Année Baudelaire This content downloaded from 194.254.129.28 on Tue, 01 Mar 2022 07:25:55 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms La conversion baudelairienne Quant à moi qui sens quelquefois en moi le ridicule d'un prophète, je sais que je n'y trouverai jamais la charité d'un médecin. Fusées. Il y a chez Baudelaire un motif que la critique n'a guère relevé, un motif littéralement marginal et littérairement mineur, dont pourtant l'expérience qu'il atteste a dans le devenir de l'œuvre comme dans son destin culturel un rôle si décisif qu'on peut rouvrir cette œuvre aujourd'hui avec cette clef. Ce motif thématiquement peu visible mais structurellement instaurateur, ce motif qu'il faudra dire secret comme le plus caché parce qu'il secrète ce qui le cache, c'est celui de la « conversion ». Je parlerai donc ici de la conversion baudelairienne , d'abord pour relire quelques textes où ce motif se trouve, ensuite pour recueillir une vue de l'œuvre entière par le point de vue de ces textes rares. Conversion baudelairienne : l'adjectif indique que cette conversion a parmi ses traits ceux que Baudelaire lui donne, mais non pas qu'elle soit propre à Baudelaire, en particulier il ne s'agit pas de laisser croire qu'il y aurait eu dans sa vie ou dans son œuvre quelque conversion que ce fût. Parler de conversion baudelairienney c'est refuser l'idée d'une conversion de Baudelaire, et c'est former l'hypothèse, cependant, qu'une expérience liée à une possible conversion non seulement travaille l'œuvre comme son secret, mais nous travaille dans notre relation historique à cette œuvre. Le motif de la conversion est nôtre : s'il donne une clef pour relire l'œuvre, c'est aussi parce qu'il nous désigne à nous-mêmes notre situation et nos besoins. * Ce texte a été lu non pas le jour où nous rendions hommage à Claude Pichois - assez de communications ayant été alors offertes -, mais peu après, le 26 mars 1999, lors de la journée de « Réflexions sur la poésie » organisée au Collège de France par Yves Bonnefoy, que je remercie ici de son invitation. 119 This content downloaded from 194.254.129.28 on Tue, 01 Mar 2022 07:25:55 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms JÉRÔME THÉLOT Le texte par le point de vue duquel il est fécond d'observer l'évolution de l'oeuvre est un fragment de l'un de ces feuillets où Baudelaire notait des idées de romans, des projets de nouvelles ou de poèmes en prose, des titres ou des canevas : Le voluptueux, ayant oscillé longtemps, est tiré de la férocité dans la charité. Quel genre de malheur peut opérer sa conversion ? La maladie de son ancienne complice. Lutte entre l'égoïsme, la pitié et le Remords. Sa maîtresse (devenue sa fille) lui fait connaître les sentiments de la paternité. - Remords : qui sait s'il n'est pas l'auteur du mal ? 1 On peut dater ce texte de 1859 : de l'année où Jeanne Duval fut frappée, en avril, d'une attaque de paralysie et transportée dans un hospice par les soins de Baudelaire, puisque dans trois lettres de celui-ci on trouve des éléments de cette « conversion » ici rêvée comme sujet de roman. Le 15 octobre 1859, à sa mère : Tu supposes toujours que je suis ingrat, - absurde ! - et puis tu oublies qu'après avoir été longtemps un fainéant et un libertin, je suis obligé de jouer maintenant (ce qui est fort douloureusement comique) le rôle de papa et de tuteur. Il ne s'agit pas seulement de dépenses, il s'agit de penser pour un esprit affaibli. 2 À lire cette lettre on peut croire qu'un début de conversion - de la « férocité » à la « charité » - eut bien lieu dans la vie du poète quand le corps de Jeanne eut perdu ses charmes et fut désormais malade, et en effet, comme le dit Claude Pichois, « Jeanne [fut] vraiment pour Baudelaire la passion de la charité, au sens le plus fort de ce mot » 3. De même le 8 décembre, encore à sa mère, il écrit : « Tu oublies encore que moi, prodigue, je suis transformé en tuteur et en soeur de charité. » 4 Enfin sa lettre à Jeanne, la seule que nous possédions, datée du 17 décembre 1859, 1. OC, 1,598. 2. CPU 1,609. 3. Bio . (Julliard, 404, Fayard, 411). On ne saurait mieux dire. À Madame Paul Meurice qui lui avait proposé de s'occuper de Jeanne pendant qu'il serait absent de Paris, Baudelaire écrit en septembre 1859 : « je vous lègue l'œuvre de Charité pour laquelle vous vous êtes si généreusement offerte » (CPI, I, 603). 4. CPU 1,624. 120 This content downloaded from 194.254.129.28 on Tue, 01 Mar 2022 07:25:55 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms LA CONVERSION BAUDELAI RIENNE débute ainsi : « Ma chère fille » 5. Ces trois lettres certifient ďune part que le projet de récit consigné dans le fragment sur la conversion (nous rappellerons désormais : le fragment du feuillet 24, suivant la numérotation de Claude Pichois) est habité par une expérience concrète et douloureuse - puisqu'il s'agit de Jeanne - où le poète rencontra son obligation personnelle d'accomplir des choix, de prendre des décisions irréversibles engageant lui- même et quelqu'un d'autre, d'agir dans l'urgence pour le corps d'autrui ; et, d'autre part, réciproquement, ce fragment suggère que le sens de ces choix auxquels le contraignait l'état de Jeanne ne lui était pas entièrement clair et appelait, pour son elucidation, un récit qui en prît le thème. Il semble que le mot « conversion » soit dans le fragment à la fois l'indice et le résultat de ce désir d elucidation. Ce mot ne figure pas dans les trois lettres mentionnant la nouvelle tâche et la nouvelle relation que Baudelaire assume vis-à-vis de Jeanne : il supporte la signification spirituelle qu'un récit eût analysée, de cette transformation de la vie commune où l'amant devient « père », et le voluptueux charitable, parce que sa maîtresse devient infirme. Non seulement donc la « conversion » demeure inaccomplie - même si, de fait, des secours furent portés à Jeanne -, mais elle appartient à l'ordre de la fiction, au projet de récit plutôt qu'au projet d'existence, et au désir de faire œuvre bien plutôt qu'à celui de se convertir. Sauf qu'ici, du coup, ce mot de « conversion » interfère avec les autres mots de l'œuvre, et nul doute que ce récit demeuré projet n'eût pas simplement élucidé ce que la transformation de l'amant en tuteur signifiait, il eût aussi contribué à l'examen de l'œuvre elle-même, il fut entré parmi les éléments de la conscience de soi interne à cette œuvre. Projetant ce récit, Baudelaire concevait assurément non pas quelque autobiographie rapportant ses efforts auprès de Jeanne, mais un examen 5. CPI, I, 639. À ces textes il faut joindre en particulier la lettre à Madame Aupick du 26 mars 1833, où déjà Baudelaire avait écrit au sujet de Jeanne : « Or maintenant, elle est sérieusement malade, et dans la plus positive misère. [...] Mais en face d'une pareille ruine, d'une mélancolie si profonde, je me sens les yeux pleins de larmes, - et pour tout dire, le coeur plein de reproches » (CPI, I, 213). Et encore à la même, au moment d'une rupture d'avec Jeanne : « Car tout cela est arrivé par ma faute ; j'ai usé et abusé ; je me suis amusé à martyriser, et j'ai été martyrisé à mon tour » (11 septembre 1836, CPI, I, 357). À Poulet- Malassis Baudelaire parle ainsi de Jeanne : « Je ne veux pas qu'on mette ma paralytique à la porte » (29 avril 1859, CPI, I, 567) ; « [...] son malheureux cerveau abêti par la maladie » (8 mai 1859, CPI, I, 572). 121 This content downloaded from 194.254.129.28 on Tue, 01 Mar 2022 07:25:55 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms JÉRÔME THÉLOT proprement poétique de la poésie elle-même, un récit comparable à celui de La F an far lo, à ceux des Paradis artificiels , à ses poèmes en prose, où toujours c'est une interrogation de l'activité poétique qui est entreprise, et le sens de l'art qui est questionné. Il s'ensuit que dans ce fragment du feuillet 24 le « voluptueux » dont la conversion est imaginée de la « férocité » à la « charité », est une allégorie uploads/Litterature/ syriot-paul-la-conversion-rimbaldienne 2 .pdf

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