UNIVERSITÉ DE LIMOGES FACULTÉ DES LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINES L'ÉCRITURE D
UNIVERSITÉ DE LIMOGES FACULTÉ DES LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINES L'ÉCRITURE DE PATRICK MODIANO OU LA FRUSTRATION DE L'ATTENTE ROMANESQUE THÈSE DE DOCTORAT EN SCIENCES DU LANGAGE présentée et soutenue publiquement par Hélène ANDREEVA – TINTIGNAC 31 janvier 2003 sous la direction de Monsieur le Professeur Claude Filteau UNIVERSITÉ DE LIMOGES FACULTÉ DES LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINES L'ÉCRITURE DE PATRICK MODIANO OU LA FRUSTRATION DE L'ATTENTE ROMANESQUE Etude stylistique Membres du Jury : Madame Eda BEREGOVSKAΪA, Professeur à l'Université de Smolensk. Monsieur Claude FILTEAU, Professeur à l'Université de Limoges. Monsieur Gérard PEYLET, Professeur à l'Université de Bordeaux III. Monsieur Jean-François SABLAYROLLES, Maître de conférences à l'Université de Paris VII et membre du CERES de Limoges. REMERCIEMENTS Je remercie Monsieur Jean-François Sablayrolles pour sa direction vigilante, ses conseils éclairés et ses encouragements. Je remercie les professeurs qui m'ont fait l'honneur de constituer mon jury et en particulier Monsieur Claude Filteau en tant que directeur de recherche. Mes remerciements s'adressent aussi à tous ceux qui jadis ont enrichi mes connaissances de la langue française. J'ai une pensée particulière pour Madame Eda Beregovskaïa qui a su me transmettre ses connaissances et sa passion pour la stylistique. Je remercie tous ceux qui, à des titres divers m'ont soutenue en me témoignant leur confiance tout au long de mes années universitaires à Smolensk et à Limoges. A mes parents, à mon mari, à mon fils. L'œuvre littéraire, au même titre que toute autre communication, fournira (…) à la stylistique les matériaux dont elle a besoin pour ses enquêtes : matériaux commodes parce qu'on se les procure aisément, et de qualité parce qu'ils portent sur des faits volontaires et conscients. Marcel Cressot, Le style et ses techniques. INTRODUCTION 7 "Vivre, c'est s'obstiner à achever un souvenir", modifiant cette citation de René Char prise comme épigraphe au roman Livret de famille, nous trouverons sans doute la principale raison de l'activité romanesque de Modiano. C'est en écrivant qu'il s'obstine à achever ses souvenirs, dont de nombreux morceaux ne seront jamais reconstitués. Toute l'œuvre de Modiano, abondante et variée, est tournée vers le passé dont le narrateur cherche constamment les traces : Ma recherche perpétuelle de quelque chose de perdu, la quête d'un passé brouillé qu'on ne peut élucider, l'enfance brusquement cassée, tout participe d'une même névrose qui est devenu mon état d'esprit.1 Notre analyse de différentes études consacrées à Patrick Modiano a montré que la voie thématique de son œuvre était très sollicitée et que plusieurs travaux de recherche y avaient déjà été consacrés. Nous pouvons citer à titre d’exemples : La quête de l’identité dans Les boulevards de ceinture, Villa triste et Rues des boutiques obscures de Patrick Modiano, Mémoire, quête de soi et structures narratives dans Les boulevards de ceinture, Mémoire, amnésie, imaginaire dans Rues des boutiques obscures de Patrick Modiano ou Patrick Modiano : pièces d’identité : écrire l’entretemps2. Certes la veine thématique peut encore offrir de nombreuses directions de travail. Toutefois, il nous a semblé qu’une autre voie d’accès à l’écrivain pouvait être davantage exploitée, celle qui consiste à prêter une attention spécifique au langage modianiste. Comme le style est tout d’abord une simple préférence, une tendance et que par la suite seulement "ces modalités de l’âme se traduisent par une prédominance d’adjectifs ou de substantifs : par la raréfaction des signes de liaisons ou leur prolifération"3, notre démarche partira "de l'esprit pur aux lois contenues dans les formes matérialisées de la phrase."4 On va essayer d'aller, comme le suggère Léo Spitzer : de la surface vers le "centre vital interne" de l'œuvre d'art : observer d'abord les détails à la superficie visible de chaque œuvre en particulier (…); puis 1 Magazine Lire N° 176, mai 1990, Dossier consacré à Patrick Modiano, cité par B. Doucey dans Profil N° 144, p. 6. 2 Les références de ces travaux seront présentés dans la bibliographie. 3 Pierre Guiraud et Pierre Ruentz, La stylistique, Séries A. Lectures, Editions Klincksieck, Paris, 1975, p. 142. 4 Ibid. p. 142. 8 grouper ces détails et chercher à les intégrer au principe créateur qui a dû être présent dans l'esprit de l'artiste; et finalement revenir à tous les autres domaines d'observation pour voir si la "forme interne" qu'on a essayé de bâtir rend bien compte de la totalité.1 Cette voie stylistique nous est apparue d'autant plus stimulante que l'acte d'écrire est très important pour Modiano : chaque phrase doit être définitive. (…). Souvent je tourne une journée entière autour d'une même phrase. Je l'écris. Je la raie. Je la récris.2 L'écrivain avoue ses difficultés : (…) Je n'ai aucune facilité de plume, et écrire pour moi est un travail un peu pénible, bien que le résultat donne une impression de facilité. J'essaie de dire les choses avec le moins de mots possible.3 Cette économie recherchée par l'écrivain est décisive pour son œuvre, car elle touche tous les niveaux textuels. C'est au moyen de l'économie narrative, descriptive, explicative et syntaxique que les romans de Modiano frustrent l'attente romanesque. Cette frustration est déterminée par le fait de style qui est selon la définition de J.- M. Adam : le produit perçu d'une récurrence ou d'un contraste, d'une différence par rapport à des irrégularités micro-linguistiques observées et attendues d'un texte, d'un auteur, d'une école, d'un genre. La perception d'un fait de style est par définition, le produit d'une attente ou d'une rupture ponctuelle de cette attente.4 C'est pour cette raison que nous proposons dans la première partie de définir l'horizon d'attente romanesque et générique du lecteur, car : Toute œuvre littéraire appartient à un genre, ce qui revient à affirmer purement et simplement que toute œuvre suppose l'horizon d'une attente, c'est-à- 1 Léo Spitzer, Etudes de style, Editions Galimard, Paris, 1970, pp. 60 et 61. 2 Entretien avec J. L. de Rambures, dans Le Monde, Paris, 14 mai 1973, p. 24. 3 Paris-Match, 13 mars 1981, p. 56. 4 Georges Molinié et Pierre Cahné, Qu'est-ce que le style ?, Presses Universitaires de France, Collection Linguistique nouvelle, Paris, 1994, p. 19. 9 dire d'un ensemble de règles préexistant pour orienter la compréhension du lecteur (du public) et lui permettre une réception appréciative.1 Nous allons relever les principaux traits génériques qui caractérisent les romans de Modiano, ce qui nous permettra de comprendre si on peut ou non les classer dans une des catégories connues. Dans la deuxième partie nous allons théoriser la famille des supports formels de la frustration. Nous allons également montrer comment ces supports formels s'actualisent dans les romans de Modiano. Nous analyserons les trois principaux domaines vers où cette frustration se porte : l'organisation textuelle, la description et la syntaxe. Pour étudier les problèmes d'organisation textuelle nous emprunterons les outils à la narratologie qui "s'efforce d'analyser le mode d'organisation interne de certains types de textes."2 Ce mode de composition suppose l'agencement entre eux des différents moments de l'histoire racontée, ainsi que l'organisation "d'un système d'échos, d'annonces et de rappels qui assurent la cohérence du texte."3 Nous analyserons les principaux mécanismes d'organisation textuelle (thématique et temporelle) permettant de créer avec des phrases et des mots une structure sémantique unie. Comme le fonctionnement du récit est conditionné dans son ensemble par la description, nous orienterons la suite de notre travail vers ce problème. "Il est plus facile de décrire sans raconter que de raconter sans décrire"4, cette remarque de G. Genette nous rappelle que chaque récit possède un minimum d'indications descriptives. Avec l'arrivée sur la scène littéraire du "nouveau roman" le statut de la description a changé : La description servait à situer les grandes lignes d'un décor, puis à en éclairer quelques éléments particulièrement révélateurs; elle ne parle plus que d'objets insignifiants ou qu'elle s'attache à rendre tels. Elle prétendait reproduire une réalité préexistante; elle affirme à présent sa fonction créatrice. Enfin, elle faisait 1 Hans Robert Jauss, Littérature médiévale et théorie des genres, dans Théorie des genres, Editions du Seuil, Paris, 1986, p. 42. 2 Jean-Michel Adam, Le Récit, Presses Universitaires de France, Paris, 1984, p. 4. 3 Michel Raimond, Le roman, Editions Armand Colin, 1989, Paris, p. 100. 4 Gérard Genette, Figures II, Collection Poétique Editions du Seuil, Paris, 1969, p. 57. 10 voir la chose et voilà qu'elle semble maintenant les détruire, comme si son acharnement à en discourir ne visait qu'à en brouiller les lignes, à les rendre incompréhensibles, à les faire disparaître totalement.1 Les choix de Modiano dans une telle situation nous paraissent particulièrement intéressants à étudier. La stylistique dont la tâche, selon M. Riffaterre, est "d'identifier la réaction du lecteur devant le texte et de retrouver la source de ces réactions dans la forme du texte", nous fournira des outils pour l'étude des principales figures du discours dans les textes de Modiano. L'utilité d'une telle analyse est soulignée par P. Fontanier qui considère qu'il n'y a : rien de plus utile, et même de plus nécessaire, pour ceux qui veulent pénétrer le génie du langage, approfondir les secrets du style, et pouvoir saisir en tout le vrai rapport de l'expression avec l'idée ou avec la pensée.2 Même uploads/Litterature/ theses-modiano.pdf
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- Publié le Mai 16, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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