Charles Baudelaire, « Au lecteur », Les Fleurs du Mal, 1857. Lecture analytique

Charles Baudelaire, « Au lecteur », Les Fleurs du Mal, 1857. Lecture analytique et commentaire composé du poème « Au Lecteur » extrait des Fleurs du Mal, 1857. Par Julie Cuvillier, professeur de lettres, académie de Nantes Activité interactive sur Education & Numérique : http://www.education-et- numerique.fr/0.3/activity/embed.html?id=535f74d93361eb112e6fb145 Introduction Le poème de Baudelaire est placé en tête de son recueil : Les Fleurs du Mal publié en 1857. Dès sa parution, il fait scandale et est interdit. Baudelaire, poète du XIXe siècle, se situe à la croisée des mouvements romantique et symboliste. Il initie le mouvement symboliste en considérant que le langage poétique est une façon d’accéder à la Beauté et à un monde idéal que la réalité révèle et masque à la fois. Les Fleurs du mal montrent les tentatives successives du poète pour s'extraire de la réalité associée au spleen, et atteindre l'Idéal. Celles-ci sont vaines comme le suggère le titre de la partie sur laquelle le recueil se referme : « La Mort ». « Au lecteur » est le premier poème et ne fait partie d’aucune des six parties qui structurent le recueil. Par cette position liminaire et par l’introduction des thèmes essentiels de la poétique baudelairienne, il semble servir d’introduction aux Fleurs du Mal. Nous étudierons donc ce poème en nous demandant en quoi celui-ci se présente comme une préface à l'ensemble du recueil. Nous verrons, dans un premier temps, comment ce poème établit un pacte de lecture, avant d'examiner en quoi le poète s'y présente comme incarnation de la condition humaine, pour, enfin, montrer comment dans ce poème il s'agit d'« extraire la beauté du mal », principe qui régit le recueil dans son ensemble. Lecture analytique Composition générale du poème  1. « Au lecteur » est constitué de dix strophes, nommées quatrains, composées en alexandrins, vers de douze syllabes. Les rimes sont embrassées tout au long du poème signifiant ainsi l’enfermement du poète et des hommes en général dans la condition humaine. Première strophe 2. « Au lecteur » débute par un épitrochasme ("La sottise, l'erreur, le péché, la lésine") qui présente les vices de l’homme comme omnipotent. Ils sont l’objet du poème : l’homme leur est soumis comme le suggère la fonction de COD que remplissent les groupes nominaux (« nos esprits » et « nos corps ») dans la phrase. 3. L’oxymore (« aimables remords ») présente d’emblée l’homme comme déchiré entre aspiration à l’idéal, à la Beauté et jouissance de la chute, de la décadence. Cette tension se retrouve à travers l’emploi de mots renvoyant à la trivialité (« mendiant », « vermine ») qui deviennent poétiques grâce aux jeux sur les sonorités (allitération en [r] et [m], assonanceen [en] : "Et nous alimentons nos aimables remords, Comme les mendiants nourrissent leur vermine." 4. Par ailleurs, la comparaison « Comme les mendiants nourrissent leur vermine » rend concret, palpable l’effet du remord dévorant la conscience. La seconde strophe  5. La seconde strophe montre le tiraillement entre plaisir coupable et volonté impuissante de ne pas y céder par des couples antithétiques : péchés /repentirs ; têtus/ lâches), des expressions proches de l’oxymore (« payer grassement nos aveux », « rentrons gaiement dans le chemin bourbeux) et le champ lexical de la souffrance morale (« remords, repentirs, aveux, pleurs, taches »). Troisième strophe 6. Par une métaphore (« le riche métal de notre volonté/Est tout vaporisé par ce savant chimiste »), le poète montre les effets du Malin sur l’homme : alors que le poète transfigure la laideur en beauté par l’emploi du langage poétique, comme un chimiste transforme le plomb en or (mythe de la pierre philosophale employée par l’alchimiste), Satan s’amuse à faire disparaître ce qu’il y a de bon en l’homme. Quatrième strophe 7. Par l'emploi du présentatif (« c’est…qui ») employé deux fois et le titre de Trismégiste (trois fois grand) Baudelaire montre comment l’homme est voué à la damnation parce qu’il est réduit, comme l’exprime la périphrase « les fils qui nous remuent », à n’être qu’un pantin dirigé par Satan.  8. Le goût de l’homme pour la déchéance et son aspect contradictoire réapparaît dans l’antithèse : « objets répugnant »/ « des appas » et à travers l’usage d’un vocabulaire concret (remuent/puent) et bas normalement proscrit à la rime pour mettre en avant l’idée paradoxale que l’homme se plaît à s’enfoncer dans le vice, à se perdre, comme le souligne le complément circonstanciel de manière: « Sans horreur ». Cinquième strophe 1. La cinquième strophe du poème repose sur une comparaison : le plaisir que prend l’homme, comparé à un « débauché » dans le vice est comparable à celui pris avec une prostituée : la déchéance morale est rendue plus concrète en étant ramenée à celle du corps. Le plaisir pris est d’ailleurs présenté de manière péjorative par l’emploi des adjectifs qualificatifs « pauvre », « martyrisé », « antique, « clandestin » et la comparaison dégradante : « comme une vieille orange ». Sixième strophe 2. Le lecteur assiste alors à une transfiguration du réel par l’emploi d’une métaphore redoublée par une comparaison le « peuple de Démons » représente nos vices, nos pensées impures et le comparant est ensuite lui-même comparé à des vers intestinaux (« comme un million d'helminthes »). Septième strophe 3. La vie, symbolisé par la respiration, est paradoxalement présentée comme une longue mort, devenue par métaphore, « fleuve invisible ». Le rejet du verbe « Descend » au début du vers suivant renvoie à l’idée de chute, de déchéance, de l’humanité. 4. Enfin, tout espoir de voir un homme échapper à cette fatalité du mal est balayée par la proposition hypothétique (« Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,/ N'ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins ») qui montre par une série de métonymies (manifestations concrètes d’un principe abstrait), que si certains ne se comportent pas de manière immorale, c’est non parce qu’ils sont vertueux mais parce qu’ils sont trop lâches pour le faire. Ainsi, le vice se cache même derrière ce qui semble être de la vertu comme le souligne l’exclamation (« hélas ») traduisant la déception et peut-être même le dégoût du poète. Les trois dernières strophes du poème sont consacrées à celui que le poète considère comme le pire des maux, celui pour lequel il sera nécessaire d’avoir recours à la langue anglaise pour le désigner : le Spleen, ce mélange d’ennui teinté de désespoir et d’un sentiment d’enfermement. 1. Pour mettre en lumière cet ennemi de l’homme, le poète crée un effet d’attente, introduit par l’emploi du connecteur logique d’opposition (« Mais »), qui s’étend sur deux strophes. Il emploie d’abord un épitrochasme, prenant la forme d’une succession de métaphores qui présentent sous la forme d’animaux dangereux ou repoussants, repris par l’expression générique, « Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants », les vices. Il souligne ensuite la singularité de « l’Ennui » par le comparatif de supériorité, « plus », employé à trois reprises et le met en valeur par l’emploi du présentatif : « C’est » en début de strophe. L’Ennui est enfin personnifié et littéralement mis en scène : « Il rêve d'échafauds en fumant son houka ». 2. Le poème se referme alors sur une apostrophe au lecteur (« lecteur », « Hypocrite lecteur ») et des appositionssoulignant la proximité du poète et du lecteur et faisant du poète un représentant de l’humanité, scellant ainsi une fraternité suggérée tout au long du poème par l’usage du pronom personnel « nous ». Commentaire littéraire I. L’établissement d’un pacte de lecture a) Un poème ou une préface ? - Position liminaire du poème lui confère un statut particulier - Titre suppose une adresse au lecteur et une présentation du recueuil b) La complicité des damnés - Apostrophes au lecteur - Tutoiement final - Appositions font du poète et du lecteur des complices c) L'homme déchiré entre Spleen et Idéal - Couples antithétiques (péchés /repentirs ; têtus/ lâches) - Expressions proches de l’oxymore - Champ lexical de la souffrance morale : ces procédés laissent apparaître une tension entre les contraires. II. La figure du poète comme incarnation de la condition humaine a) Le poète comme représentant de l’humanité - Fraternité suggérée par le pronom personnel « nous » - Discours de portée générale : emploi de présentatifs et du présent de l'indicatif Le poète parle au nom de l'ensemble des hommes. b) Un homme en proie à la déchéance - Comparaison « Comme les mendiants » - Champ lexical de la pourriture - Rejet du verbe « Descend », au début du vers suivant renvoie à l’idée de chute, de déchéance, de l’humanité Procédés qui mettent en avant l’idée paradoxale que l’homme se plaît à s’enfoncer dans le vice c) L’homme victime de ses vices et de celui qui les fait naître - Epitrochasme initial - Mise en valeur de Satan (Présentatifs, titre : Trismégiste) - Image du pantin Procédés qui montrent l'homme comme soumis à ses vices et manipulé par Satan uploads/Litterature/ to-the-reader.pdf

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