E-rea Revue électronique d’études sur le monde anglophone 17.2 | 2020 1. Le dis

E-rea Revue électronique d’études sur le monde anglophone 17.2 | 2020 1. Le discours rapporté et l’expression de la subjectivité / 2. Modernist Non-fictional Narratives of War and Peace (1914-1950) Une analyse de la démultiplication des éthos dit et montré dans le discours du Bourget de François Hollande raconté par Laurent Binet Alain RABATEL Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/erea/9292 DOI : 10.4000/erea.9292 ISBN : ISSN 1638-1718 ISSN : 1638-1718 Éditeur Laboratoire d’Études et de Recherche sur le Monde Anglophone Référence électronique Alain RABATEL, « Une analyse de la démultiplication des éthos dit et montré dans le discours du Bourget de François Hollande raconté par Laurent Binet », E-rea [En ligne], 17.2 | 2020, mis en ligne le 15 juin 2020, consulté le 19 juin 2020. URL : http://journals.openedition.org/erea/9292 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/erea.9292 Ce document a été généré automatiquement le 19 juin 2020. E-rea est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. Une analyse de la démultiplication des éthos dit et montré dans le discours du Bourget de François Hollande raconté par Laurent Binet Alain RABATEL Introduction 1 Je voudrais analyser les manifestations de l’éthos de F. Hollande dans un extrait de Rien ne se passe comme prévu, récit de Laurent Binet qui a couvert la campagne de François Hollande en 2012, à l’instar de ce qu’avait fait Yasmina Reza en 2007 pour celle de Nicolas Sarkozy avec L’Aube le soir ou la nuit, paru en 2007 chez Flammarion, et Philippe Besson, pour la campagne d’Emmanuel Macron, avec Un personnage de roman. Ce genre de récit n’est pas vraiment une docu-fiction, car il repose sur un contrat de fidélité1 envers les événements en vertu du privilège exclusif consenti par le candidat d’accéder à l’ensemble de sa campagne, vue de l’intérieur d’un quartier général, au plus près de lui, même si ce contrat n’empêche pas l’auteur d’exprimer sa subjectivité d’écrivain. Comme le récit paraît une fois que l’élection est allée à son terme, son efficacité politique est nulle relativement à l’événement, mais intéressante pour la construction d’une certaine légende de la victoire et l’image du (candidat-)président. On est donc face à un genre émergent, le « récit-de-campagne-de-l’élection- présidentielle-écrit-par-un-écrivain-non-professionnel-de-la-politique-qui-suit-le- gagnant-de-l’élection-depuis-ses-débuts-jusqu’à-sa-victoire-finale-(et-qui-ne-publie- son-livre-que-si-son-candidat-est-victorieux »). 2 L’extrait – qui occupe les pages 128 à 138 de l’ouvrage – renvoie à un moment charnière de la campagne de François Hollande, celui de son discours d’entrée en campagne, le 22 janvier 2012, au Bourget, une fois que le candidat peut désormais s’adresser à tous les Français en ayant la légitimité que lui confère la victoire à la primaire. Mon choix Une analyse de la démultiplication des éthos dit et montré dans le discours d... E-rea, 17.2 | 2020 1 s’explique, rétrospectivement, par une autre raison : certes, si, en 2012, « rien ne s’était passé comme prévu », à cause du forfait de Dominique Strauss‑Kahn, avec l’affaire du Sofitel (Rabatel, Monte et Soares Rodrigues 2015), la lecture du récit de Laurent Binet, notamment celle du discours du Bourget, peut se lire aussi comme l’annonce prémonitoire (et bien involontaire) de la défaite de 2017. François Hollande a réussi là à redonner espérance à la gauche : mais cet espoir n’a cessé de lui revenir dans la figure tel un boomerang, à chaque fois que ses décisions étaient en décalage avec la mythologie d’une profonde transformation sociale. Laurent Binet (car c’est lui qui est en cause, dans cette affaire, plus que le narrateur) ne sélectionne dans son récit que les extraits qui vont dans le sens de ces/ses espérances, à les comparer avec l’ensemble du discours2. La stratégie du candidat, comme celle du narrateur, les place devant leurs responsabilités, y compris énonciatives. Tel sera le questionnement ultime de ce travail. 3 Mais avant d’en arriver là, j’examinerai d’abord la manière dont les formes du discours rapporté/représenté sont convoquées dans le récit (1). Je dégagerai les mécanismes d’une démultiplication de l’éthos, avec d’une part, la présentation de soi, renvoyant à l’éthos dit et montré imputable à F. Hollande, à travers ses discours directs (éthos dit 1, éthos montré 1) et, d’autre part, la représentation discursive de cet éthos représenté3 à partir de la contextualisation des discours directs par le narrateur (éthos dit 2, éthos montré 2) (2). Cette construction énonciativement déséquilibrée4, dans laquelle F. Hollande joue bien sûr un rôle fondamental, mais qui est cependant scénarisée par une instance surplombante, pose la question de la prise en charge des énoncés, du récit, de l’espérance ainsi suscitée, question à laquelle je répondrai à partir de la distinction entre prise en charge et responsabilité, au plan linguistique, non sans m’interroger sur le régime de croyance dans le domaine politique, articulé avec la notion d’éthos incorporé (3). 1. Les manipulations du discours représenté direct dans le récit du discours du Bourget 4 Les seules formes de discours représenté (DR) (Rabatel 2008 349‑355) utilisées sont des discours directs (DD), exclusivement. En principe, le DD est considéré comme la forme la plus autonome du rapport de paroles, dans le cadre des théories du discours rapporté, que ce soient celles d’Authier-Revuz ou de Rosier, autonomie qui se marque par le fait que les extraits de DD correspondent à des prédications le plus souvent complètes, dans des propositions ou ensembles de phrases simples ou complexes. Or, et c’est un argument supplémentaire en faveur du choix de la dénomination discours représentés, les DD qui sont cités ici le sont toujours en laissant à l’auteur du DD la bride courte, pour ainsi dire, ce qui revient à priver ce dernier d’autonomie et à le mettre constamment sous la coupe du locuteur citant. Cette situation de domination du locuteur citant sur le locuteur cité est en principe rare, car les DD sont des citations, et la tendance est en principe au respect des paroles citées, à proportion de l’importance de la source, comme du contenu. À ces deux titres, on serait normalement en droit de s’attendre à ce que le narrateur/locuteur citant soit dans une situation de révérence. Or ce n’est pas vraiment le cas, et la domination irrévérencieuse du locuteur citant est Une analyse de la démultiplication des éthos dit et montré dans le discours d... E-rea, 17.2 | 2020 2 massive et diversifiée dans les manipulations qu’il fait subir au DD, qui justifient amplement qu’on traite du DD comme d’un discours représenté direct. i): Le DD est incomplet, tant au plan syntaxique qu’au plan sémantique, car la citation (1) est coupée par le narrateur/locuteur citant5 : (1) « Présider la République, ce n’est pas… » (132) 5 Il est significatif que le narrateur reformule (1) par (2), non par un DI, mais par un discours narrativisé réduit à l’essentiel6, comme si l’alliance du dire et du dit était anecdotique, alors qu’elle est capitale pour la performance de l’orateur : (2) Dénonciation méthodique de l’affairisme et du lepénisme qui a régné depuis cinq ans. (132) ii) : Le DD est rapporté incomplètement avec ses maladresses d’expression (en italiques), soulignées par le narrateur, ce qui est rarement de mise, surtout dans ce genre de texte et avec ce type de locuteur : (3) Une maladresse sans conséquence mais qui trahit encore un peu de nervosité : « le dévouement de ceux qui se dévouent… » (132) iii) : Les fragments guillemetés, incomplets, intègrent les commentaires du narrateur, en italiques, sous la forme d’une onomatopée qui réduit le discours à une langue de bois tournant à vide (4) ou d’une explicitation des implicites fielleux du discours (5) : (4) « Présider la République, c’est, blablabla… » (132) (5) « Rien ne m’a été donné (coucou, Martine !)… J’ai réussi à remporter les primaires quand bien peu imaginaient mon succès à l’origine » (133). iv) : Lorsque le DD est complet, il est fréquemment interrompu par des points de suspension, et entrelardé de commentaires du narrateur. Cet effet est redoublé lorsque le texte accumule de nombreux bouts de DD et de commentaires en italiques, ce qui intensifie les effets de surplomb exemplifiés en ii) et en iii) : (6) Avant même qu’il commence à parler, je vois qu’il n’est pas comme d’habitude. « Mes chers amis… je suis, euh, venu vous parler de la France… ». Soit il est ému, soit il a la trouille, ou bien les deux. « … de la France d’aujourd’hui, une page est en train de s’effacer, et de la France de demain, nous sommes en train de l’écrire. » Applaudissements polis, il a l’air tendu, pour l’instant il récite son truc. « Je le fais ici, en Seine-Saint-Denis… ». Apologie en creux de la diversité, avec en creux le FN désigné comme le premier adversaire, OK. « L’enjeu de cette campagne… qui commence… ». Surmonte ta peur, jeune Jedi. « L’enjeu, c’est la France… c’est la France, toujours… ». Du calme. C’est un diesel. Au début, c’est jamais transcendant. (131-132) 6 L’effet produit est encore plus fort lorsque les commentaires font ressortir les tics, les habiletés du candidat (ou de ses uploads/Litterature/ une-analyse-de-la-demultiplication-des-ethos-dit-et-montre-dans-le-discours-du-bourget-de-francois-hollande-raconte-par-laurent-binet.pdf

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