“Gérondif”, “participe présent” et “adjectif déverbal en –ant” en morphosyntaxe

“Gérondif”, “participe présent” et “adjectif déverbal en –ant” en morphosyntaxe comparative Paulo de Carvalho ERSSàBordeaux (UMR 5610) Université Michel de Montaigne- Bordeaux 3 Vieux pédagogue de la Cour, appelé le tyran des mots et des syllabes, et qui s’appelait lui-même le grammairien à lunettes et à cheveux gris … qui traite gravement l’affaire des gérondifs et des participes, comme si c’était celle de deux peuples voisins l’un de l’autre et jaloux de leurs frontières (Guez de Balzac, Socrate des Chrétiens, dans Littré s.v. Participe) M Meyer Lübke nous fait remarquer que les langues romanes ont remplacé le participe dans la tournure “Catonem vidi in biblioteca sedentem” par le gérondif. Pour le prouver, il allègue l’italien “lo trovai giocando”, le castillan “le hallaron leyendo”, le portugais “achou-o jazendo”, mais il allègue aussi le français “je l’ai trouvé lisant”. Pour le français, la nature gérondive de la tournure reste à prouver. (Damourette & Pichon, Des mots à la pensée) ABSTRACT The unique issue this paper aims at is to argue that the traditional opposition, in French, between a “participe présent” and a “gérondif” is a quite inadequate one : there is positively nothing, in the syntax of French, which could be called a gerund. The demonstration, which is founded upon an analysis, on new grounds, of the so-called “participium præsens and “gerundivum / gerundium” in Latin, brings out notable differences between the French construction en –ant and the gerund in Spanish or Portuguese. In conclusion a new approach of the “parts of speech” is suggested. La présente étude est issue de recherches récentes, et destinées à un public de spécialistes de linguistique latine∗ (DE CARVALHO 2001 et 2002), sur les formes verbonominales latines dites, selon la terminologie scolaire française, “gérondif”, “adjectif verbal” et “participe présent”. Elle portera néanmoins, essentiellement, sur la morphosyntaxe du français, et n’aura, même, dans ce domaine, qu’un unique objectif : montrer, à la lumière d’un regard comparatif1, que le concept de “gérondif”, dont la légitimité paraît, aujourd’hui2,, au- ∗ « Du nom (dé)verbal en -ndo/a- : “gerundium” vs. “gerundivum” », in Actes du 10ème Colloque International de Linguistique Latine Paris, 2001, 307-320.. 1 Renouant, donc, mais sur d’autres bases, avec B. Weerenbeck, 1927, ouvrage abondamment et heureusement nourri par une réflexion comparative de haut niveau. 2 Mais cela n’a sans doute pas toujours été le cas, même dans les temps modernes. Ainsi, H. Bonnard, en 1971 (dans le Grand Larousse de la langue française, p. 2222), notait que le terme “gérondif” était absent de la nomenclature élaborée par la commission ministérielle en 1910, et qu’il manquait encore dans la réédition de 1949, comme, d’ailleurs, dans la Progression Beslais, imposée aux 2 dessus de tout soupçon n’a aucune pertinence en français, et ne fait que brouiller les pistes. De fait, ce qui est ainsi nommé dans les grammaires de cette langue3 — soit : l’expression en + Vant — n’est rien d’autre, comme on entend le faire apparaître4, qu’un emploi substantival du nom adjectif qu’est, en lui-même, le participe “présent”, l’opérateur de substantivation5 étant, en l’occurrence, la préposition en6. Cette introduction dicte le plan de l’exposé qui suit : 1° après un aperçu des propriétés des objets grammaticaux latins appelés “gérondif”, ”adjectif verbal” et ”participe présent”, on s’attachera 2° à mettre en évidence des différences considérables quant au fonctionnement des “gérondifs” d’autres langues romanes et de ce à quoi on donne traditionnellement ce nom en syntaxe française, et, enfin, 3° à dire ce que représente le signifiant français en -ANT et quelles sont les conditions de son fonctionnement tantôt, par connexion directe, en fonction adjectivale — adnominale ou prédicative — , tantôt, par connexion indirecte, réalisée au moyen de la préposition, en fonction substantivale, avec des effets de sens spécifiques, pas toujours aperçus, que détermine ce fonctionnement alternatif. Les signifiants verbonominaux latins à suffixe -nt/-nd- Un latiniste linguiste un peu attentif, et pas trop à l’aise dans la clôture hexagonale, ne peut manquer d’être frappé par le caractère extrêmement réducteur de la doctrine, toujours en vigueur, qui consacre l’existence, en français, d’un signifiant verbonominal classes du 1er cycle en 1910. Selon le même auteur, le terme n’aurait été officialisé qu’en 1960/1961, par la commission Le Lay. 3 Il n’est sans doute pas inutile de rappeler ici, comme le faisait d’ailleurs B. WEERENBECK (1927, 14), cet avertissement d’A. MEILLET (1948 [= 1920, « Sur les caractères du verbe], 181) : « En donnant les mêmes noms à des formes grammaticales de langues diverses et en construisant autant que possible sur le même plan la grammaire de langues différentes, les grammairiens ont beaucoup péché ; ils ont répandu bien des idées fausses. » 4 Et comme d’autres, d’ailleurs, l’avaient bien compris et dit, dans l’indifférence générale : « Cette construction, qui porte le nom de gérondif, est un cas particulier de l’emploi du participe. Elle est analogue à celle ou à, après, pour servent à construire un infinitif. En permet au participe d’assumer la fonction de complément circonstanciel… Le participe construit au moyen de en se distingue ainsi du participe, qui, de nature, est un adjectif. La portée de cette distinction est toutefois restreinte en français moderne du fait de la règle qui veut que le gérondif se rapporte à l’agent du procès exprimé par le verbe principal… » 5 Cf. WILMET, Grammaire critique, p. 531, à propos de j’ai rencontré Pierre en sortant du cinéma : « (… = au sortir du cinéma). Elle [la préposition] transfère le participe en nom déverbal (en sortant du cinéma = “à la sortie du cinéma”). » 6 On rejoint donc — n’en déplaise à ARNAVIELLE 1996, 50 n.6, et 1997b, 18 — la première des deux positions théoriques définies par cet auteur (ARNAVILLE 1997a), selon laquelle le prétendu “gérondif” ne serait qu’un participe “présent” prépositionnel. Dans son ouvrage de 1927, B. Weerenbeck semblait, d’ailleurs, tenté d’aller dans ce sens, en revendiquant les droits du “participe présent” en syntaxe française, contre les empiètements d’un “gérondif” envahissant. 3 “gérondif”, généralement porté, comme tel, de nos jours en tout cas, par le signifiant en. Tout d’abord, qu’appelle-t-on, au juste, “gérondif” ? Quelle idée se fait-on des propriétés et du fonctionnement du signifiant latin couramment désigné par ce terme ? La grammaire latine élémentaire est-elle à ce point oubliée qu’il faille rappeler ici que le gérondif latin — pour conserver, provisoirement, un concept qu’il faudra discuter — n’est, comme le reconnaissent d’ailleurs les spécialistes qui s’en sont occupés (BENVENISTE, 1973 [=1935], 1437 ; AALTO, 1949, 14 ; ERNOUT & THOMAS, 1989 [= 1953], 262-263) ; HASPELMATH, 1987, 2, et passim ; RISCH, 1983, 3), qu’un cas particulier de réalisation, en phrase, d’un signifiant nominal, donc déclinable, dont l’autre version, à incidence « externe », pour parler comme Gustave Guillaume, est ce qui s’appelle dans la description française grammaire latine, un “adjectif verbal“ ; de celui-ci, qui ne semble pas d’ailleurs avoir laissé des descendants en morphosyntaxe romane, les manuels de grammaire latine nous disent qu’il pouvait, dans certaines conditions, « remplacer » le “gérondif”. Il apparaît donc pour le moins simpliste d’avoir pris une (petite) partie pour le tout, en réduisant, sans autre forme de procès, et comme si cela allait de soi, le gérondif latin à ce qui n’était qu’un, parmi d’autres, des cas d’emploi d’une forme verbonominale aux compétences beaucoup plus larges (cf. ERNOUT & THOMAS, 1983, 262-270 et 285-287. On surprend ici un exemple de plus de cet étrange cercle vicieux — fondé, finalement, en traduction —qui consiste, d’abord, à exporter vers ou sur le latin une construction typiquement française, pour ensuite, fâcheux retour des choses, à réimporter, de façon non moins frauduleuse, dans la description de la syntaxe du français, ce latin quelque peu fantastique. Or dans l’un des deux articles déjà mentionnés (DE CARVALHO 2001), il est démontré que l’adjectif verbal et le gérondif que la grammaire scolaire latine s’évertue à distinguer, depuis la fin du 15e siècle8, sont deux argumentations, en syntaxe, d’une seule et même entité morphosyntaxique, qui est, non une “forme nominale du verbe“, mais un “nom post- ou déverbal, “dérivé“ du verbe, adossé au verbe, donc au Temps. Un Nom, par conséquent, engendré9, comme ne le prévoyait pas la théorie guillaumienne, au-delà du Verbe, et fait, en quelque sorte, du prolongement notionnel d’une expérience personnelle, celle-ci étant, dans le cas qui nous occupe, structurée en fonction, non d’un principe personnel d’existence — c’est-à-dire la 7 « Le “gerundium” et le “gerundivum” [ = “adj. verbal”] sont issus en même temps du nom verbal et remplissent théoriquement le même rôle ». Mais il est vrai que Benveniste ne s’était guère risqué à vérifier cette identité théorique de rôle par l’analyse des conditions d’emploi, en syntaxe latine, du gérondif et de l’adjectif verbal. Sur celles-ci, cf. DE CARVALHO, 2000). 8 Avec Érasme et, en France, Jean Despautère, dont les ouvrages « ont constitué la base de l’enseignement du latin dans la plupart des collèges français pendant deux siècles ». (COLOMBAT, 1999, 14), et Érasme. On trouvera dans ce même ouvrage uploads/Litterature/ quot-gerondif-quot-quot-part-pres-quot-langage-pdf.pdf

  • 30
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager