Revue d'histoire et de philosophie religieuses Romains 7,23, une glose qoumrâni

Revue d'histoire et de philosophie religieuses Romains 7,23, une glose qoumrânisante sur Job 40,32 (Septante) et trois textes qoumrâniens Marc Philonenko Résumé En Romains 7,23, Paul transpose une tradition qoumrânienne, attestée indirectement par une glose qoumrânisante sur Job 40,32 (Septante) et directement par 4Q511 et 4Q444. Abstract In Romans 7,23 Paul transposes a Qumranic tradition, which is indirectly attested by a «Qumranizing » gloss on Job 40,32 (Septuagint), and directly by 4Q511 and 4Q444. Citer ce document / Cite this document : Philonenko Marc. Romains 7,23, une glose qoumrânisante sur Job 40,32 (Septante) et trois textes qoumrâniens. In: Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 87e année n°3, Juillet-Septembre 2007. pp. 257-265; https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_2007_num_87_3_1275 Fichier pdf généré le 05/12/2019 M. PHILONENKO, ROMAINS 7,23, JOB 40,32 (LXX) ET TROIS TEXTES QOUMRÂNIENS REVUE D’HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES 2007, Tome 87 n° 3, p. 257 à 265 257 ROMAINS 7,23, UNE GLOSE QOUMRÂNISANTE SUR JOB 40,32 (SEPTANTE) ET TROIS TEXTES QOUMRÂNIENS Marc Philonenko Membre de l’Institut Résumé : En Romains 7,23, Paul transpose une tradition qoumrânienne, attestée indirectement par une glose qoumrânisante sur Job 40,32 (Septante) et directement par 4Q511 et 4Q444. Abstract : In Romans 7,23 Paul transposes a Qumranic tradition, which is indirectly attested by a « Qumranizing » gloss on Job 40,32 (Septuagint), and directly by 4Q511 and 4Q444. L’Épître aux Romains surplombe par sa vigueur systématique le corpus paulinien. Le chapitre 7 pose des problèmes spécifiques traités magistralement par W. G. Kümmel en 1929, dans un ouvrage republié en 1974 1. M. Goguel a pu écrire, en 1926, que « le déve- loppement 7,7-25 est un des plus difficiles à interpréter de toutes les épîtres pauliniennes » 2. Ce jugement reste d’actualité. C’est ce passage sur lequel nous voudrions apporter des lumières nouvelles, en particulier sur le verset 23. Rappelons la teneur de ce verset : « Mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon intelligence et qui me rend captif de la loi du péché qui est dans mes membres ». * * * L’Apôtre s’exprime à la première personne du singulier. Il parle en « je » tout en évoquant, semble-t-il, des questions générales. Certains exégètes ont cru que Paul exposait, ainsi, une expérience personnelle et individuelle 3. La plupart des critiques estiment ————— 1 Kümmel, 1974. 2 Goguel, 1926, p. 227 , note 1. 3 Deissmann, 1925, p. 73 ; Davies, 1998, p. 24. M. PHILONENKO, ROMAINS 7,23, JOB 40,32 (LXX) ET TROIS TEXTES QOUMRÂNIENS REVUE D’HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES 2007, Tome 87 n° 3, p. 257 à 265 258 aujourd’hui que ce « je » n’est pas autobiographique 4. Nombre des commentateurs énumèrent patiemment les thèses développées par les uns et les autres 5. Quant à nous, il nous semble qu’une attention insuffisante a été apportée à l’article fondamental de K. G. Kuhn, paru il y a plus d’un demi-siècle, souvent cité, mais plus rarement exploité. C’est Kuhn qui a évoqué, le premier, la thèse d’un « je » ni individuel, ni biographique mais « gnomique » 6. Il se fondait essentiellement sur la Règle de la Communauté 11,9-10, trouvée sur le site de Qoumrân, et sur le livre des Hymnes où le « je » est constamment employé pour désigner le Maître de justice, chef de la secte, ou l’un de ses disciples 7. Ce « je », selon K. G. Kuhn, devait être rapproché de très près du « je » de Romains 7. Cette thèse est entrée dans l’histoire de la critique, sans que l’on puisse dire qu’elle ait fait l’objet d’un large consensus. Ce sont les textes rassemblés par Kuhn qui ont été cités : ce n’est pas sa thèse qui a été discutée. De plus, les nombreux textes qoumrâniens édités depuis 1952 n’ont pas fait l’objet d’un examen très attentif. Nous pensons, en parti- culier, à 4Q511, édité en 1982, et à 4Q444, édité en 1999, restés inexplicablement négligés par les commentateurs. Romains 7,14-25 est dominé par l’évocation du combat entre la « chair » et l’« Esprit », qui déchire le cœur de l’homme : c’est une lutte intérieure, un combat désespéré, un drame profond 8. Il faut reconnaître là un véritable dualisme qui ne doit rien à l’hellénisme, mais qui plonge ses racines dans le judaïsme, et, plus spécialement, dans le judaïsme qoumrânien 9. Nous avons montré jadis que Romains 7,14 fait écho à des for- mules qoumrâniennes 10. C’est une démonstration similaire que nous nous proposons d’apporter à propos de Romains 7,23. Le conflit qui oppose les deux « lois », la « loi de Dieu » (7,22) et l’« autre loi qui est dans mes membres », est marqué par la terminologie militaire dont use Paul. Déjà, en 6,13, l’Apôtre oppose aux « armes d’injustice pour le péché » (ὅπλα ἀδικίας τῇ ἁμαρτίᾳ) les « armes de justice pour Dieu » (ὅπλα δικαιοσύνης τῷ θεῷ) et, plus loin, en 13,12, « les œuvres des ténèbres » aux « armes de la lumière ». Le caractère dualiste de ces expressions qui opposent la « justice » à l’« injustice », « Dieu » au ————— 4 Voir, parmi beaucoup d’autres, Bousset, 1916, p. 50-52 ; Kümmel, 1974, p. 138 ; Michel, 1978, p. 225 ; Aletti, 2002 ; Lichtenberger, 2004, p. 126-127. 5 Fitzmyer, 1993, p. 463-465 ; Jewett, 2007, p. 440-445. 6 Kuhn, 1958, p. 102. 7 Voir Dupont-Sommer, 1996, p. 215-216. 8 Kuhn, 1958, p. 104. 9 Comparer Kuhn, 1958, p. 105. Voir aussi Romains 8,5-6 ; Galates 5,17. 10 Philonenko, 1986. M. PHILONENKO, ROMAINS 7,23, JOB 40,32 (LXX) ET TROIS TEXTES QOUMRÂNIENS REVUE D’HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES 2007, Tome 87 n° 3, p. 257 à 265 259 « péché », les « ténèbres » à la « lumière » est patent. En 7,22, Paul mentionne « une autre loi qui lutte contre la loi de mon intelligence et qui me rend captif de la loi du péché qui est dans mes membres ». Ces images militaires se retrouvent ailleurs dans les épîtres de Paul 11. Ces métaphores guerrières seront reprises dans le christianisme ancien. Il suffit ici de renvoyer à l’ouvrage classique de Harnack 12. Cet idéal guerrier fait penser irrésistiblement aux spéculations de la secte de Qoumrân 13. Comme l’écrit excellemment A. Dupont- Sommer, « chaque adepte de la secte, chaque Essénien est essen- tiellement un soldat, un combattant de cette guerre future et doit constamment être prêt pour ce ‘jour de la Vengeance’ » 14. Ce combat eschatologique est fortement intériorisé dans l’affron- tement des deux Esprits dans le cœur de l’homme. Ainsi lit-on dans la Règle de la Communauté 4,23 : « Jusqu’à présent luttent les (deux) Esprits de Vérité et de Perversion dans le cœur d’un chacun ». C’est la doctrine essénienne des deux Esprits, si vigoureuse- ment exprimée dans l’« Instruction sur les deux Esprits », qui est à l’origine de la doctrine paulinienne et non la doctrine pharisienne des deux penchants 15. Au reste, la doctrine des « deux penchants » n’est pas uniquement « pharisienne », comme paraissent le penser si souvent ceux qui invoquent, à ce propos, le « pharisaïsme » de Paul 16. Il est fait mention du « mauvais penchant » dans les Psaumes pseudo-davidiques trouvés à Qoumrân : « Que la douleur et le mauvais penchant ne s’emparent pas de mes os ! » 17. En outre, le Testament d’Aser, dont l’origine essénienne nous paraît assurée 18, fait, dans son développement sur les « deux voies » 19, une large place aux « deux penchants » : « Deux voies, c’est ce que Dieu a donné aux fils des hommes, deux penchants, deux actions, deux conduites et deux fins » 20. Et plus loin : « C’est au bien et au mal ————— 11 II Corinthiens 10,3-4 ; I Thessaloniciens 5,8 ; II Timothée 6,12 ; II Timothée 2,3-4 ; 4,7. Voir aussi Éphésiens 6,14 ; I Pierre 2,11. 12 Harnack, 1905. 13 Voir Kuhn, 1954 ; Michel, 1978, p. 209, note 25 ; Lohse, 2003, p. 196. Métaphores reprises en milieu hermétique. Selon le Poimandrès 23, le démon vengeur arme (ὁπλίζει) l’insensé pour les actions impies. Cet homme guerroie dans les ténèbres (σκοτομαχῶν). 14 Dupont-Sommer, 1996, p. 180. 15 Comme le pensent Moore, 1927, p. 484 ; Bousset-Gressman, 1926, p. 388 ; Strack- Billerbeck, 1954, p. 92-96 et p. 239 ; Davies, 1998, p. 25-26. 16 Sur le pharisaïsme de Paul, voir Kümmel, 1974, p. 111-118 ; Davies, 1998, p. 2-3 ; Hengel-Schwemer, 1998, p. 259-260. 17 11QPsa, 19, 15-16. 18 Voir Philonenko, dans Dupont-Sommer – Philonenko, 2006, p. LXXV-LXXXI. 19 Testament d’Aser 1,3-5. Voir Philonenko, dans Dupont-Sommer – Philonenko, 2006, notes p. 894-895 et p. 914. Sur une origine essénienne du traité des Deux voies dans le judaïsme, voir Philonenko, 1998, p. 468. 20 Testament d’Aser 1,3. M. PHILONENKO, ROMAINS 7,23, JOB 40,32 (LXX) ET TROIS TEXTES QOUMRÂNIENS REVUE D’HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES 2007, Tome 87 n° 3, p. 257 à uploads/Litterature/ une-glose-qumranienne-de-romains.pdf

  • 29
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager